dimanche, novembre 19, 2006

Des discours creux
Article publié dans La Presse, dimanche 19 novembre 2006, p. A14

Dans son dégourdissant essai La passion d’autonomie[1], le poète François Charron nous disait que notre débat national nous place devant deux options: soit «abandonner toute position critique pour s’adonner à l’opinion dominante du moment», ou soit «opposer une éthique de la dissidence, quitte à déplaire à ceux qui s’accrochent religieusement à l’impératif catégorique d’une rédemption nationale appréhendée». Cette «opinion du moment» se perçoit notamment de nos jours avec cette manière dont le terme de « Nation» est martelé par l’élite indépendantiste dominante, comme s’il s’agissait d’un dogme sacré que nous devrions tous avaler sans question ni débat, et qui résoudrait tous nos problèmes comme par enchantement.

Par définition, toute croyance dogmatique vise à imposer une lecture simpliste et réductrice de la réalité et elle s’accompagne toujours d’une rhétorique qui, si elle peut parfois réussir à soulever une certaine ferveur, n’en demeure pas moins bien creuse tout en détournant l’attention d’une réalité qui est toujours tout sauf simple. Il en va ainsi de Bernard Landry qui, le 16 novembre dans La Presse, proclame que «la première raison de faire l’indépendance, c’est d’assumer notre destin et notre identité nationale, la tête haute». Ce serait même selon lui une question de «dignité», rien de moins. Mais il n’en demeure pas moins que de tels propos restent d’un creux déconcertant.

Car justement, parlons-en donc d’«assumer notre destin et notre identité», mais faisons-le en nous méfiant des discours creux et portons une attention lucide à la réalité des faits propres à notre société. Il est évident que le mouvement indépendantiste et nationaliste carbure essentiellement à l’insécurité culturelle ressentie par plusieurs devant le fait que le Québec forme la seule société majoritairement francophone en Amérique. Mais, par-delà leurs envolées lyriques sur la «Nation», les leaders indépendantistes parlent bien peu du véritable fiasco qu’est devenu l’enseignement de la langue française dans notre système d’éducation au cours des dernières décennies. On se souvient que, le printemps dernier, certains leaders indépendantistes s’étaient montrés motivés à laver le cerveau de nos enfants avec leur manuel intitulé «Parlons de souveraineté à l’école», comme si on pouvait faire un peuple «digne» avec le bourrage de crânes (il serait intéressant de savoir ce qu’en pense M. Landry). Cependant, on ne trouve nul mot dans ce beau manuel de propagande quant à la nécessité d’adopter d’urgence les mesures qui s’imposent pour que notre système d’éducation puisse réellement offrir un meilleur enseignement de notre langue et, ainsi, contribuer à ce que l’on parle encore français dans le Québec des générations à venir.

Heureusement toutefois, une publication récente se révèle d’une mouture radicalement différente, et on peut même espérer qu’elle contribue à déniaiser bien des esprits. Trois praticiens québécois de l’enseignement, Luc Germain, Luc Papineau et Benoît Séguin, dans leur livre Le grand mensonge de l’éducation, sonnent l’alarme et dénoncent le fait bien réel que, rendus à l’université, trop peu de nos jeunes maîtrisent correctement le français : «Actuellement, maintenant, présentement, demandent nos trois auteurs, les finissants du secondaire et du collégial écrivent-ils bien? Maîtrisent-ils leur langue? Et la réponse est non.» Et aussi : «Au-delà des grandes envolées patriotiques rassurantes, les Québécois sont de véritables tartuffes et la langue française est l’objet d’un discours hypocrite. […] On malmène et on enseigne de façon parfois médiocre ce qui nous assure un caractère unique, distinct : notre langue»[2].

Sévère mais lucide, le constat général des auteurs de ce livre nous renvoie à nos propres responsabilités d’assumer le destin de notre langue. Impossible en effet, sur cette question, de blâmer qui que ce soit d’autre que nous-mêmes, car l’éducation primaire, secondaire et collégiale étant une compétence strictement québécoise, ce n’est certes pas de la faute du «méchant Ottawa», et encore moins celle des Anglos de Red Deer en Alberta, si nous sommes aujourd’hui mis devant un tel gâchis. Incidemment, on a vu ces derniers jours les dirigeants du PQ s’auto-louanger avec le 30e anniversaire de la première prise du pouvoir par leur parti. Mais en réalité le PQ, ayant occupé le pouvoir durant plus de la moitié des trois dernières décennies, porte lui aussi une très lourde part de responsabilité dans cet échec qui constitue la menace la plus sérieuse à notre avenir linguistique. L’indépendance en elle-même n’y changerait strictement rien car puisque le Québec contrôle déjà son système d’éducation, il en va de nous, et de nous seuls, d’assurer la perpétuation de notre langue par un enseignement plus solide et plus efficace.

Donc, au lieu de nous contenter de discours creux qui ne nous responsabilisent en rien comme celui sur la «Nation» ou sur l’indépendance qui règlerait prétendument tous nos problèmes, nous devrions plutôt nous rendre compte à quel point l’esprit critique auquel nous conviait le poète François Charron est devenu nécessaire, sinon urgent, et cela au nom même de notre destin linguistique et culturel.


[1] François Charron, La passion d’autonomie, éditions Les Herbes Rouges, 1997.
[2] Luc Germain, Luc Papineau et Benoît Séguin, Le grand mensonge de l’éducation, Lanctôt éditeur, 2006.