jeudi, juin 28, 2007


Cité Laïque : nouveau numéro


Le nouveau numéro de la revue Cité Laïque, publiée par le Mouvement Laïque Québécois (MLQ), est récemment sorti de presse.

On y trouve une intéressante série d'articles tout aussi éclairants les uns que les autres. D'abord, en éditorial, le rédacteur en chef Daniel Baril y va d'une analyse incisive qui remet les pendules à l'heure concernant le hidjab : « Loin d'être un simple bout de tissu, écrit-il, ce voile est la marque du fondamentalisme musulman». Daniel Baril nous rappelle l'histoire et la signification réelles de ce voile qui, en plus de consacrer la soumission des femmes, a été imposé par les tenants de l'interprétation la plus intégriste de l'Islam.

Claudette Jobin, présidente de la Ligue des femmes du Québec, dans le courrier des lecteurs, dénonce le fait que la nourriture cachère est imposée dans un hôpital public. Elle évoque notamment la cause d'un ambulancier qui avait été chassé de la cafétéria d'un hôpital parce que le sandwich qu'il mangeait n'était pas cachère. Le texte de Mme Jobin reproduit également de larges extraits de la lettre qu'elle avait envoyée au PDG de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, afin de dénoncer une telle imposition qui n'a pas sa place dans une institution publique, où la liberté de choix doit régner.

Le mémoire du MLQ au comité consultatif du ministère de l'Éducation est aussi présenté, sous forme de résumé détaillé, dans ce même numéro de la revue, avec la liste des recommandations soumises au ministère par le MLQ.

David Rand, de son côté, soulève bien des questions troublantes au sujet de l'obtention par le philosophe Charles Taylor du Prix Templeton. En effet, il y a lieu de s'interroger sur le fait que M. Taylor, qui co-présidera avec le sociologue Gérard Bouchard la commission du gouvernement du Québec sur les accommodements religieux, ait reçu un tel prix, doté d'une bourse de près de $1 900 000, de la part d'une fondation surtout connue pour ses positions religieuses fondamentalistes et apparentées à la droite religieuse radicale. Les médias avaient béatement salué l'obtention de ce prix par M. Taylor, mais sans éclairer le public sur la réalité de la Fondation Templeton. M. Taylor se trouve-t-il en situation de conflit d'intérêts, et cela alors qu'il doit co-diriger une commission publique censée définir la place du religieux dans une société comme la nôtre, où la laïcité fait partie intégrante de la culture publique ? La question mérite certainement d'être posée, et David Rand le fait brillamment dans son article qui nous convie à une sérieuse prise de conscience.

Cité Laïque offre aussi le texte d'une allocution récente de Mme Bobbie Kirkhart, militante américaine de la laïcité, devant des libres penseurs français, dans laquelle elle appelle à une coopération plus étroite entre organisations laïques à l'échelle internationale. À l'heure où l'internationale des intégrismes réussit un peu partout dans le monde à imposer les dogmes religieux contre les libertés publiques, la réflexion de Mme Kirkhart s'avère certes des plus pertinentes et nécessaires.

Claude Braun nous présente un portrait très inspirant de Marian Dale Scott (1903-1996), une peintre d'origine bourgeoise qui s'était engagée auprès de la classe ouvrière, et amie de Jean-Paul Borduas, ce peintre qui fut le principal animateur du mouvement du Refus Global. Mme Scott, active dans la gauche politique de chez nous, représente une autre de ces grandes figures de notre histoire qui a été occultée par les gardiens de l'histoire officielle.

Côté humour et sarcasme, Claude Braun signe un deuxième article, où il se demande si l'abolition des limbes par le pape Benoît XVI constitue en fait non pas un progrès, mais plutôt un recul de la liberté de conscience. Aussi, David Rand nous procure de bonnes pouffées de rire avec une parodie inspirée de l'actualité vaticane, et qui a pour titre: «Le pontife du Temple de l'astral dénonce le sécularisme».

Enfin, votre humble serviteur présente deux ouvrages, L'affaire des caricatures, du journaliste français et musulman laïque Mohamed Sifaoui, et La contagion sacrée, ou histoire naturelle de la superstition, du grand philosophe de l'époque des Lumières, Paul-Henri Thiry d'Holbach, dont les analyses ont gardé, au su et au vu de l'actuelle résurgence des intégrismes, toute leur actualité.

On peut se procurer Cité Laïque à Montréal à la Librairie du Square, 3453 rue St-Denis (près du métro Sherbrooke et en face du carré St-Louis), ou encore en contactant le MLQ via son site web.

vendredi, juin 15, 2007







Nécessaire, vitale liberté de penser

Certains amis m'ont demandé pourquoi je me suis lancé ces derniers temps dans la promotion de la laïcité et dans la critique des religions. Ces amis me connaissent surtout pour ma critique de l'idéologie nationaliste telle qu'elle prédomine de nos jours au Québec, et certains parmi eux se demandaient même si j'allais changer de «cause». Pourtant, les deux relèvent pour moi de la même chose : la nécessité de défendre la liberté de penser contre toute forme de dogmatisme, que celui-ci soit religieux ou idéologique.

Concernant l'idéologie nationaliste, il est vrai que j'ai une méfiance certaine par rapport à ce qu'elle véhicule et à ses présuppositions. C'est que je suis réfractaire à tout ce qui englobe les individualités dans un «Tout» et qui fait l'apologie de ce même «Tout» au risque d'oublier que ce «Tout» est essentiellement composé de personnes humaines tout aussi différentes les unes que les autres, et qui ont toutes une singularité intrinsèque. La nationalité est un donné qui caractérise les individus qui en sont issus ou qui s'y joignent. Mais de là à faire passer ce donné avant les personnes qui le constituent, il y a une limite que je me refuse à franchir.

Politiquement par exemple, personne ne peut, à mon sens, prétendre que son idéologie particulière incarnerait la volonté et l'intérêt de tout le Québec ou de tous les Québécois. Les nationalistes d'ici sont particulièrement férus de ce genre de discours englobant qui, le plus souvent, est mystificateur. Aussi, le nationalisme tend à constamment opposer «notre Tout» contre une prétendue «menace» extérieure, elle aussi est présentée comme un autre «Tout». Ici, cette menace qu'on aime bien agiter pour indiquer au peuple qu'on peut mieux défendre ses intérêts que lui-même serait capable de le faire, c'est le «Canada anglais», toujours abordé comme un bloc monolithique dont chacune des composantes serait entièrement dédiée à «assujettir», sinon à «humilier» les Québécois. Pourtant, la réalité, surtout politique, et encore plus quant on s'attarde à prendre en compte la dimension humaine des choses, est beaucoup plus complexe que ce que veut laisser croire ce genre de discours réducteur qui déborde dans une démagogie qui est toujours trompeuse.

Donc, ce ne sont là que quelques-unes des raisons qui m'incitent à me méfier de l'idéologie nationaliste. Ceci dit, je ne crois pas pour autant que chacune des personnes qui s'affirment nationalistes au Québec verrait les choses ainsi. Bon nombre parmi eux portent des valeurs humaines et sociales généreuses qui sont tout à fait exemplaires. Et si je dis cela, c'est que, justement, je refuse de voir les nationalistes québécois comme un grand «Tout», ou comme un autre bloc monolithique. Des extrémistes antidémocrates et racistes, ils en ont certes de leur côté, et pour ma part je ne me gêne pas pour les dénoncer à chaque fois que je le peux.

Voltaire, qui avait tant fait pour la tolérance, était aussi celui qui disait : «Ce qui est méprisable reste dangereux tant qu'il n'est pas assez méprisé». C'est dans cet esprit-là, d'ailleurs, que je dénonce par exemple les propos haineux et délirants que tient constamment l'Imam Pierre Falardeau. Ce que dit ce personnage est plus souvent qu'autrement méprisable, et doit être vu comme tel. Par exemple, lorsqu'il insulte quiconque ose ne pas penser exactement comme lui, ou encore, entre autres imbécillités, lorsqu'il proclame, comme il l'a fait dans l'émission de Arcand sur TVA il y a quelques années: «Si t'es contre moé, j't'haïs!». Ou encore lorsque, durant la même émission, l'Imam s'était mis à donner les noms de ceux qu'il disait avoir hâte de voir crever parce qu'il voyait en eux des ennemis politiques...

Mais de mon propre côté politique, on trouve aussi l'équivalent d'un Imam Falardeau. Ceci est principalement dû au fait que des crétins, des intolérants et des fanatiques aveugles, on en trouve partout dans le monde, et le Québec et le Canada dit «Anglais» n'y échappent pas. La bêtise est d'ailleurs l'un des phénomènes les plus répandus dans le genre humain, et cela depuis le début des temps.

Ainsi donc, on a au Québec des intolérants fanatisés et ethnicistes jusqu'à la haine comme un Imam Pierre Falardeau ou un Raymond Villeneuve, et au Canada dit «Anglais», on trouve de leurs semblables, comme Barbara Kay, Diane Francis et Don Cherry. Et pour une poignée de crétins qui s'amusaient à piler sur le drapeau du Québec à Brockville (Ontario) en 1990 (bon sang qu'on les a montrées et remontrées, ces images, depuis ce temps-là!), on a ici les disciples de l'Imam Falardeau qui, à chaque 1er Juillet, piétinent, barbouillent et brûlent le drapeau du Canada.

On s'était indignés au Québec, et à juste titre, lorsque Barbara Kay avait écrit l'été dernier que les Québécois étaient tous des pro-Hezbollah, ou encore quand l'autre idiote dont j'oublie le nom avait écrit que ce serait la loi 101 qui aurait été la cause de la fusillade au collège Dawson. Mais pendant ce temps-là, pas grand monde chez nous avait trouvé de quoi à redire lorsque l'Imam Falardeau, dans le numéro de décembre 2005 du journal Le Québécois, avait insulté deux chroniqueurs anglophones de La Presse en en traitant l'un de «nouille» parce qu'il est Terre-Neuvien, et l'autre de «blôke de service». J'aimerais bien voir un jour un chroniqueur du Canada dit «Anglais» se mettre à traiter dans une publication quelconque une personnalité québécoise francophone de «French Pea Soup» ou de «frog». J'entends déjà les hauts cris d'indignation que ça donnerait, chez certains de nos nationalistes les plus invétérés, lesquels sont eux-mêmes ceux qui ont le plus souvent l'insulte grossière à la bouche pour accabler quiconque ne partage pas leur point de vue...

Donc, certaines nuances s'imposent, surtout quand on aborde les questions politiques. La tendance à mettre tout le monde dans le même paquet me déplait «souverainement», si vous me prêtez le terme. Et si d'un côté je suis ouvertement critique vis-à-vis l'idéologie nationaliste pour des raisons qui me sont propres, j'en ai pourtant moins contre le nationalisme en tant que tel, qui après tout est une idéologie comme une autre et dont on peut discuter raisonnablement, que contre le fait que, pour bien des gens chez nous, il faudrait être absolument nationaliste pour être un vrai Québécois. Autrement, on devient pour la nation un «traître», un «vendu», un «collabo», et ce ne sont là que quelques-uns parmi l'interminable liste d'insultes que fusent constamment les plus zélés parmi les nationalistes contre ceux qui ont le malheur d'avoir un point de vue différent du leur.

Et cette tendance à désigner constamment de soi-disant «traîtres» ou «agents de l'Ennemi de la Nation», elle s'oppose directement à la liberté de penser. En fait, le simple fait de prétendre qu'il faut être d'une idéologie particulière pour avoir le droit d'être considéré comme un vrai Québécois est aussi une autre manière d'amoindrir la liberté de penser. Donc, je m'y oppose, car je pense que durant la seule vie que chacun des êtres humains que nous sommes a à vivre, il nous faut la vivre librement, cette vie-là. La liberté de penser est justement ce qui fait de nous des humains. Quand elle est réprimée, c'est ce qui nous distingue comme espèce qui se trouve aussi amoindri. La démocratie, qui est le meilleur régime pour la liberté de penser, c'est aussi le droit de discuter, de critiquer, de questionner et de ne pas suivre le courant dominant, tout cela librement et sans aucune entrave, et sans aussi se voir boycotté professionnellement comme cela arrive pourtant bel et bien chez nous, notamment dans le monde artistique et culturel.

Même chose pour les religions, que je critique dans leurs fondements et leurs dogmes parce que ce que je dis à leur sujet correspond à ce que je pense et ce à quoi m'amènent mes recherches. Et d'elles aussi je me méfie, surtout à cause de la superstition qu'elles propagent, et aussi de leur tendance intrinsèque, dès qu'elles se trouvent en situation de pouvoir, à imposer à l'ensemble de la société leurs dogmes, lesquels sont d'ailleurs tout aussi farfelus et fantaisistes les uns que les autres, et on s'en rend bien compte lorsqu'on se met à examiner de près leurs sources et leurs fondements.

Mais ici encore, je dis seulement ce que je pense. Je ne prétends pas pour autant que tous les croyants seraient des sots. Il y en a certes pas mal parmi eux, mais je connais bien des personnes croyantes qui sont des gens de bien, très intelligents, et dont les valeurs humaines et sociales sont très proches des miennes. Mais ce que je pense, j'ai le droit de l'exprimer librement, tout comme les croyants de n'importe quelle religion ont le droit eux aussi de dire leur pensée tout aussi librement que moi. Et tout ça (comme pour ce qui devrait d'ailleurs en être de la politique) peut se faire dans le respect mutuel, malgré les désaccords fondamentaux et les points de vue qui nous distinguent les uns des autres.

Cette longue digression en forme de mise au point me paraissait nécessaire pour aborder le sujet de ce billet, qui est justement la liberté de penser. Deux tout petits livres récemment parus (et pas chers du tout) nous permettent d'y réfléchir, et leur petit nombre de pages n'enlève rien à la profondeur de leur contenu. Leurs auteurs sont disparus depuis très longtemps, mais leurs propos sur la liberté de penser restent d'une grande actualité, particulièrement avec la montée des fanatismes religieux et idéologiques à laquelle on assiste de nos jours. Même chez nous on n'en est pas épargnés. Je vais donc vous donner un avant-goût de ces deux petits livres, et j'espère que certains voudront ensuite mettre la main dessus.

Le premier, qui fait seulement 77 pages, a pour titre De la liberté de penser dans un État libre (éditions de L'Herne) et nous vient du fameux philosophe Spinoza. Il s'agit en fait d'un court extrait de son Traité théologico-politique, que Spinoza avait publié en 1670 pour défendre la liberté de penser. Exclu en 1656 de la communauté juive, il a été aussi interdit de séjour et de publication par le Temple calviniste. Il avait même échappé à une tentative d'assassinat. Devenu un paria dans sa propre communauté et exclu de tout enseignement, Spinoza en a ensuite été réduit à gagner sa vie comme nettoyeur de lentilles. Tel fut en effet le sort du fameux Spinoza.

C'est dire ce à quoi peut conduire un climat qui étouffe toute dissidence. On ne peut pas dire que notre époque est bien différente, dépendamment de vers où l'on regarde. En fait, je dirais même qu'il n'est jamais inutile à cet égard de regarder également un peu du côté de chez soi, et si on y portait quelque attention, on verrait qu'aucune société, même la nôtre, n'est à l'abri de ce genre de phénomène.

Les extraits suivants que j'ai tirés de ce livre ont en effet de quoi nous faire réfléchir pour notre société et pour le monde d'aujourd'hui, de même que sur certains des points sur lesquels je me suis étendu plus haut:

"Quoi de plus funeste que d'envoyer en exil, comme des méchants, d'honnêtes citoyens, parce qu'ils n'ont pas les opinions de la foule et qu'ils ignorent l'art de feindre ? Quoi de plus fatal que de traiter en ennemis (...) des hommes qui n'ont commis d'autre crime que celui de penser avec indépendance ?"

"Ce violent désir de domination qu'éprouvent ceux qui condamnent les écrits des autres et animent contres les écrivains la foule effrénée, (...) qui, dans un État libre, veulent détruire cette liberté de pensée que rien ne saurait étouffer."

"La liberté de la pensée est absolument nécessaire au développement des sciences et des arts, lesquels ne sont cultivés avec succès et bonheur que par les hommes qui jouissent de toute la liberté et de toute la plénitude de leur esprit."

"Chacun peut penser, juger, et par conséquent parler avec une liberté entière, pourvu qu'il se borne à parler et à enseigner en ne faisant appel qu'à la raison, et qu'il n'aille pas mettre en usage la ruse, la colère, la haine."

"Si donc personne ne peut abdiquer le libre droit qu'il a de juger et de sentir par lui-même, si chacun par un droit imprescriptible de la nature est le maître de ses pensées, n'en résulte-t-il pas qu'on ne pourra jamais dans un État essayer, sans les suites les plus déplorables, obliger les hommes, dont les sentiments et les sentiments sont si divers et opposés, à ne parler que conformément aux prescriptions du pouvoir suprême ? "

"Il y a mille manières de prévenir les jugements des hommes et de faire en sorte qu'ils s'abandonnent avec tant de confiance aux directions du pouvoir qu'ils semblent jusqu'à un certain point en être devenus la propriété."


Le deuxième livre nous vient du philosophe Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), et il a pour titre Revendication de la liberté de penser. Il vient d'être publié par la petite collection des Mille et une nuits, et ne coûte que $4. 50, donc avis aux intéressés: ça ne vaut vraiment pas la peine de s'en passer. En voici des extraits qui me paraissent significatifs, et qui se révèlent tout aussi parlants concernant notre époque que peuvent l'être les propos de Spinoza:

"On sait comment la prétendue vérité est agitée par ceux-là même qui souhaitent exercer une domination. La vérité est alors synonyme de pouvoir et d'asservissement des pensées."

"La contrainte est fatale à la vérité ; celle-ci ne peut fleurir que dans la libre atmosphère de sa patrie, le monde de l'esprit. "

"La liberté de penser, la liberté de penser sans obstacles, sans limites, fonde seule et assure le bien des États."

"Que craignez-vous donc de ces pays inconnus, situés au-delà de votre horizon et où vous n'iriez jamais ? (...) Voyez ces hardis circumnavigateurs tourner autour de vous : ils sont aussi sains moralement que vous-mêmes. Pourquoi craignez vous donc si fort les lumières qui éclateraient tout à coup, si chacun y concourait pour sa part autant qu'il serait en lui ? "

"Vous continuerez de ramper au milieu de votre époque ; vous conserverez votre petite troupe d'élus et la conviction de vos rares mérites. (...) Si le jour luit pour d'autres autour de vous, vous et vos chers élèves, vous tiendrez vos faibles yeux dans un crépuscule commode ; même, pour votre consolation, il fera encore plus sombre autour de vous."

"On laisse trop longtemps subsister comme la vérité une seule et même vérité ; c'est une faute qu'a commise la politique moderne. Le peuple s'est enfin accoutumé à cette vérité, et l'habitude qu'il a d'y croire passe pour une preuve à ses yeux. "

Je laisse donc ces quelques extraits à votre libre réflexion, tout en vous invitant à inclure comme toile de fond ce qui se passe actuellement dans notre monde, et aussi dans notre propre société. Et je ne doute pas que vous en arriverez à une conclusion proche de la mienne, qui est que dans toute société démocratique, le droit à la liberté de penser de chacun doit être protégé, et cela pas seulement par des lois, mais aussi par des attitudes et des comportements qui en soient dignes, surtout de la part de ceux qui défendent quelque «cause» ou idéologie.

Autrement, ce serait tuer la vie de cet esprit qui fait de chacun de nous un être humain, en cherchant à imposer une pensée unique. C'est là d'ailleurs qu'on trouve toujours la genèse de tout totalitarisme, qu'il soit religieux ou idéologique. Et le second est aussi pire que le premier.

dimanche, juin 10, 2007

Intégrisme
laïque ?

Par Daniel Laprès. Article publié dans La Presse, Montréal, dimanche le 10 juin 2007, p. A14, sous le titre Chère laïcité... et dans le cadre de la rubrique D'un Canada à l'autre.

(N.B. : Je dois dire que le titre choisi par La Presse en publiant cet article dans ses pages me paraît plutôt bizarre...)



Le débat sur les revendications d’accommodements religieux dans nos institutions publiques a permis de constater que, par-delà les divergences d’opinions politiques, la laïcité est une valeur qui rassemble de plus en plus de Québécois et Québécoises. Ce fait est une bonne nouvelle pour notre démocratie et nos libertés fondamentales. Mais en même temps, on constate que les partisans du retour en arrière ou du relativisme culturel se plaisent à agiter l’épouvantail d’un soi-disant «intégrisme laïque». En plus de son caractère fallacieux, il s’agit là d’une grossière contradiction dans les termes qui vise surtout à semer la confusion et à nourrir le relativisme, histoire de mieux faire avaler des positions religieuses intégristes.

Selon le Petit Robert, intégrisme signifie: « Doctrine qui tend à maintenir la totalité d’un système ; attitude des croyants qui refusent toute évolution ». Et laïcité : «Principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les églises aucun pouvoir politique ». Ainsi, la laïcité est l’exact contraire de l’intégrisme qui vise à placer le politique sous le contrôle du religieux, tandis que l’État laïque repose sur la distinction claire entre la sphère publique et la sphère privée. Il est aussi nécessaire de souligner que la laïcité, parce que prônant la neutralité religieuse de l’État, ne vise en rien à faire de l’athéisme une religion d’État. En ce sens, l’État laïque, c’est le règne de cette liberté absolue de conscience qui permet à chacun de croire à ce qu’il veut, et aussi de ne pas avoir de croyance religieuse.

Il en va bien autrement des États soumis au pouvoir religieux : hier comme aujourd’hui, la preuve est faite que dès qu’une religion se trouve en position d’asservir l’État ou la sphère publique, les libertés fondamentales sont toujours les premières à être attaquées, et ce sont d’ailleurs souvent les croyances religieuses concurrentes qui en souffrent le plus. C’est donc l’État laïque qui assure le mieux le pluralisme des croyances, tandis que l’intégrisme vise à contraindre l’ensemble des individus d’une société à se plier à un dogme religieux particulier.

Comme l’exprimait le président du Mouvement Laïque Québécois (MLQ), Henri Laberge, dans le numéro de janvier dernier de la revue Cité Laïque, « la meilleure garantie de la pleine liberté de croire ou de ne pas croire, c’est que l’État se reconnaisse totalement incompétent dans les questions d’ordre surnaturel et qu’il abandonne ces questions au libre examen des personnes et à la libre délibération au sein des groupes religieux et des groupes religieux entre eux. […] Une société laïque, c’est celle où la liberté religieuse est la même pour tous, mais surtout, c’est celle où le droit à l’égalité s’applique à toutes les personnes sans égard à leur foi ». À moins de recourir à de spécieux sophismes, personne ne peut affirmer qu’il s’agirait ici d’une pensée visant à imposer l’athéisme ou qui pourrait être qualifiée d’intégriste ou de dogmatique.

Si les laïques se révèlent de plus en plus nombreux à faire entendre leur voix, c’est d’abord et avant tout parce qu’ils veulent que notre société continue à évoluer sous le régime des libertés fondamentales auxquelles a droit chaque citoyen et citoyenne. Ce régime des libertés, les Québécois et Québécoises laïques savent ce qu’il a coûté en dures luttes, persécutions et sacrifices personnels subis par les défenseurs des libertés qui ont œuvré tout au long de notre histoire. Ils sont conscients du fait que le plus souvent, chacune des libertés dont nous jouissons aujourd’hui a été conquise en luttant contre le pouvoir religieux et l’ignorance imposée par son idéologie. Au Québec en effet, qui était contre l’éducation gratuite et obligatoire? Le pouvoir religieux. Qui était contre l’égalité entre hommes et femmes? Le pouvoir religieux. Qui était contre la liberté de la presse ? Le pouvoir religieux. Qui interdisait le théâtre libre ? Le pouvoir religieux. Qui persécutait les tenants de croyances religieuses ou convictions philosophiques différentes ? Le pouvoir religieux. Et on pourrait allonger cette liste bien davantage encore…

Ce que les laïques refusent, c’est que notre société revive cette époque, encore pas si lointaine, où le pouvoir religieux, assisté de politiciens à sa botte, était en mesure d’étouffer la liberté de penser et de créer. Et lorsque les laïques expriment leurs inquiétudes devant certaines revendications d’accommodements religieux, c’est avant tout parce qu’ils ne veulent pas que nos institutions communes soient soumises au diktat des tenants de l’idéologie intégriste sous-jacente à certains symboles religieux, comme par exemple la soumission des femmes.

Essentiellement, vouloir la laïcité, c’est être contre l’imposition des interprétations intégristes des religions dans notre société. C’est aussi vouloir que chacun et chacune puisse jouir de la liberté de croire à sa manière et du droit de penser par soi-même, tout en pouvant s’exprimer sans aucune contrainte dogmatique. Est-ce assez clair ?

mercredi, juin 06, 2007

Un
sur
Mille...

Il y a quelque temps, je vous présentais sur ce blogue le dernier livre du dramaturge René-Daniel Dubois, Entretiens (éditions Leméac), qui nous présente un bon exemple de ce que signifie concrètement mener sa vie en toute liberté, particulièrement dans le contexte de conformité bien particulière que nous connaissons de nos jours au Québec.

Je crois que Dubois est l'un de ceux qui seraient bien en droit de signer un jour un livre qui aurait pour titre Revendication de la liberté de penser, tout comme Fichte le fit il y a deux siècles. Toute son oeuvre, et aussi ses interventions publiques, en témoignent assez fortement, et c'est là le moins qu'on puisse en dire...

Un documentaire lui a été consacré (il est intitulé Un sur mille), par le cinéaste Jean-Claude Coulbois. Il vaut certainement la peine de le découvrir, du moins pour les gens qui apprécient les esprits réellement libres. Et pour ceux et celles qui sont susceptibles de succomber à la tentation, ça tombe bien, puisque ce documentaire sera diffusé dans les prochains jours à la télé.

Tout ce que vous avez à faire, c'est d'écouter Télé-Québec dimanche qui vient (le 10 juin, donc) à 20 h 30.

Il sera aussi présenté en reprise mercredi de la semaine prochaine (le 13, donc) à 22 h 51 (sic).

Donc, avis à ceux et celles qui ne craignent pas la liberté de penser ni de s'aventurer au-delà du confort des idées reçues : ce film est vraiment à ne pas manquer.

dimanche, mai 27, 2007



De la cruauté religieuse

Dimanche soir dernier, j'ai capté sur la chaîne franco-ontarienne (TFO) le premier de trois épisodes d'une série documentaire intitulée L'Inquisition révélée. Le deuxième épisode sera diffusé aujourdhui dimanche le 27 mai à à 23 h, suivi du troisième mercredi le 30 mai (à 21 h, en reprise jeudi à 13 h et dimanche à 14 h et à 23 h).

L'intérêt particulier de cette série est qu'elle est basée sur les archives de l'Inquisition catholique elle-même, suite à leur ouverture finalement autorisée par le Vatican ces dernières années. D'après les propos du prélat responsable, en ouvrant ces archives aux chercheurs, le Vatican aurait voulu faire cesser les «exagérations» répandues depuis longtemps sur les horreurs perpétrées par la Sainte Inquisition.

Si le but était ainsi d'atténuer la portée des faits historiques quant à l'atrocité institutionnelle de l'Inquisition, on peut dire que c'est raté, et de beaucoup. En fait, on ne risque guère de se tromper en affirmant que ces archives révèlent encore plus l'atrocité et la cruauté de cette institution effroyable, car elles dévoilent sans aucun fard, et cela à partir de leurs propres notes, la pensée même des inquisiteurs, qui était fortement teintée à la fois d'un fanatisme encore plus troublant que tout ce qu'on pouvait imaginer, ainsi que d'une insensibilité des plus atroce à l'égard des victimes qu'ils tourmentaient.

Mais bon, dans un certain sens on pouvait s'y attendre, compte tenu des faits qui sont assez connus et constamment ressassés depuis des siècles, avec notamment les affaires Giordani Bruno et Galilée, sans mentionner les bûchers, tortures et exactions innommables infligés par les responsables de l'Inquisition.

Ce qui toutefois m'a complètement renversé durant le premier épisode, c'était d'entendre le pape actuel, Joseph Ratzinger, qui, au moment du tournage était encore à la tête de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi (laquelle a pour ancêtre la Sainte Inquisition, justement) affirmer en toute candeur que ces inquisiteurs tortionnaires étaient réellement animés d'une authentique foi en l'Évangile de Jésus-Christ, pour ensuite déplorer le «contexte historique» qui les aurait amenés à commettre des atrocités aussi nombreuses que diverses.

Ces propos de Ratzinger m'ont renversé, et je n'en reviens pas encore. J'ai beau ne partager en rien ses croyances dogmatiques, je reconnais tout de même que cet homme, étant l'un des plus importants théologiens du catholicisme contemporain et qui, par dessus tout, est maintenant devenu pape, n'est pas dépourvu d'un intellect assez brillant, ce à quoi son conservatisme forcené n'enlève d'ailleurs rien.

Mais là, c'était vraiment sidérant de constater que Ratzinger ne semblait pas se rendre compte du fait que cette même «foi authentique» dont il soulignait la ferveur chez ces sinistres personnages est précisément à la source de ce fanatisme qui suscite des «contextes historiques» barbares et inhumains, et cela particulièrement lorsque la religion et le pouvoir sont associés. Car dès l'instant où une religion quelconque exerce le pouvoir sur une société donnée, la liberté de conscience devient vite niée et combattue, et quiconque osant exprimer la moindre pensée dissidente, ou dont le comportement n'apparaît pas conforme aux règles et dogmes édictés par les gardiens de l'orthodoxie religieuse régnante, se voit impitoyablement pourfendu, souvent jusqu'à l'élimination physique. Le fait qu'un homme aussi intelligent que Ratzinger ne semble pas se rendre à cette évidence, qui fut et qui demeure amplement attestée par l'histoire passée et présente, dépasse tout simplement l'entendement.

En relevant ce fait quant à l'Inquisition et à son interprétation lénifiante par le pape actuel, je ne veux pas accabler uniquement les seuls catholiques. Toutes les religions, dès qu'elles se retrouvent en position de dominer une société ou une nation, ont toujours et font encore montre d'une propension très nette à abuser de leur pouvoir pour persécuter ceux que leurs dirigeants considèrent comme «infidèles» et «hérétiques». Le fait que certaines religions auraient elles-mêmes été persécutées à une certaine période de leur histoire n'y change rien, bien au contraire. Le christianisme par exemple, dont les tenants aiment bien rappeler les persécutions subies par ses adeptes à l'époque de son émergence, ne s'est révélé que plus persécuteur et plus barbare encore que ses anciens pourfendeurs dès qu'il fut institué en tant que religion d'État par l'empereur romain Constantin.

S'ensuivirent dès lors des siècles de massacres, de tortures et d'atrocités qui noyèrent des dizaines de millions d'êtres humains dans le sang, tout cela au nom du Très Saint Évangile et des dogmes, tout aussi absurdes et insensés les uns que les autres, que les dirigeants de l'Église ont sans cesse ajoutés à la doctrine chrétienne. Cette inhumanité a d'abord été le fait de l'Église catholique, mais ensuite, ce furent les protestants qui, auparavant persécutés, se mirent à persécuter les catholiques, et même d'autres protestants dont les croyances n'entraient pas exactement dans les canons des fondateurs de la Réforme protestante. Martin Luther et Jean Calvin (cette «âme atroce», selon le mot si juste de Voltaire), entre autres fondateurs du protestantisme, n'ont pas manqué de se révéler aussi pires dans leur cruauté et dans leur perfidie que les inquisiteurs catholiques auxquels ils avaient échappés avant de se retrouver à leur tour en position dominante.

Le fanatisme chrétien fait encore ses ravages à notre époque, même si son influence se fait moins directe que jadis. Il n'y a qu'à songer, entre autres, à l'alliance de l'Église catholique avec les impitoyables dictatures militaires de l'Amérique latine des années 1970 et 1980, ou encore à l'hécatombe du Sida qui, dans des pays d'Afrique et d'Asie où l'Église a encore assez de pouvoir pour imposer sa superstition aux peuples concernés, est nourrie par la criminelle condamnation de l'usage du préservatif par le Vatican.

Une autre image me vient à l'esprit au moment d'écrire ces lignes. Durant la campagne des élections présidentielles américainces, en 2000, George W. Bush était, on s'en souvient, gouverneur de l'État du Texas. À ce titre, Bush avait procédé à une augmentation fulgurante du nombre des mises à mort de détenus condamnés à la peine capitale dans son État (rien que durant ses six années en tant que gouverneur du Texas, Bush avait signé pas moins de 156 décrets de mise à mort).

Ayant toujours été viscéralement opposé à la peine de mort, je suivais de près ce qui se passait alors au Texas. Cette année-là, Gary Graham, qui avait été condamné à mort suite à un procès injuste et grâce à des preuves très douteuses, avait quand même été mis à mort par les autorités texanes, et cela malgré ses protestations d'innocence et aussi l'opposition de nombreuses organisations de défense des droits humains de partout dans le monde.

Je suivais donc en direct les événements, espérant jusqu'à la toute dernière minute que Bush allait au moins accorder un sursis au condamné, compte tenu des doutes sérieux qui planaient quant à sa culpabilité. Mais ce n'est pas arrivé, Bush s'étant révélé incapable de faire preuve du minimum d'humanité que les circonstances, et aussi la décence la plus élémentaire, appelaient pourtant à grands cris.

George W. Bush, c'est très connu, se revendique haut et fort d'une fervente foi chrétienne. Mais ce soir-là, j'ai pu constater jusqu'à quel degré d'insensibilité la superstition religieuse peut amener un individu, et cela jusqu'à lui permettre de justifier ce que l'humanité et la raison considèrent à juste titre injustifiable. Au cours d'un bref point de presse tenu dans les minutes ayant suivi la mise à mort de Gary Graham, Bush, en plus d'affirmer avec toute l'arrogance qui lui est coutumière sa satisfaction que «justice ait été faite», avait d'une voix fervente conclu son propos d'un : «God Bless Mr. Graham». Ces quelques mots m'ont alors littéralement glacé le sang. Je venais donc d'entendre Bush appeler son «Dieu» à «bénir» celui-là même qu'il venait tout juste de faire mettre à mort, et par surcroît un homme dont l'innocence était plus que probable !

À mes yeux, ce fut là une autre démonstration, cinglante je dois dire, qui atteste du fait qu'une croyance religieuse peut parfois servir à conforter la conscience malade d'un homme ayant sur lui la responsabilité d'avoir fait couler du sang humain. En d'autres termes, ce que Bush venait de signifier, c'est qu'il ne doutait pas que, peu importe les doutes quant à la culpabilité du condamné, son «Dieu miséricordieux» allait «accueillir» ce dernier dans l'«au-delà». Donc, la miséricorde «divine» était là pour servir à dispenser Bush de son propre devoir d'humanité et de raison. Et tant pis si une vie humaine, probablement innocente, venait d'être cruellement fauchée.

C'est ce jour-là que j'ai compris à quel point un homme capable de faire preuve d'une superstition aussi bête et inhumaine pouvait se révéler dangereux pour l'humanité s'il accédait au pouvoir suprême. Sa présidence n'a depuis que trop confirmé cette appréhension, et cela à plus d'un titre.

Et pas plus tard qu'au cours de la dernière semaine, je constatais que la cruauté religieuse continue d'étendre ses ravages sur notre planète. En Iran, une jeune fille d'à peine 16 ans a récemment été pendue par des mollahs impitoyables, pour cause d'«adultère». L'été passé, toujours en Iran, c'était deux garçons d'âge mineur qui étaient pendus pour homosexualité. Et on apprenait, encore tout récemment, que deux jeunes canado-palestiniens de 16 et 21 ans, qui vivaient ici-même à Montréal il n'y a encore pas si longtemps, risquent la décapitation en cette «Terre Sainte» de l'Islam qu'est l'Arabie saoudite, un pays où la vie humaine ne vaut pas cher aux yeux des dirigeants de cette théocratie fanatisée à l'extrême, et où le système judiciaire n'est plus souvent qu'autrement qu'une vulgaire et sinistre parodie.

Donc, la cruauté religieuse reste un phénomène d'actualité, et qui n'est pas en voie de se résorber. Il est impossible de rester froid ou indifférent à la lumière de tels faits, parce que ce qu'ils signifient concrètement, c'est que, aujourd'hui même, des êtres humains qui, comme nous, n'ont qu'une seule vie à vivre, subissent l'opression religieuse sur une base quotidienne, et cela jusqu'à l'assassinat pur et simple. C'est toute notre humanité qui demeure ainsi brimée et blessée par la cruelle imposition de dogmes fondés sur des croyances essentiellement irrationnelles et superstitieuses qui n'ont rien strictement à voir avec la réalité ni de la nature, ni de l'être humain.

Même s'il dépasse l'entendement de constater que des êtres humains se complaisent toujours à faire souffrir et à tuer leurs semblables au nom des rêveries et des spéculations oiseuses de «prophètes» (qui, il faut le souligner, se sont toujours autoproclamés comme tels) ou de leaders religieux avides de pouvoir et dont ils suivent aveuglément les préceptes barbares, nous sommes quand même tenus de nous efforcer de comprendre les racines d'un pareil phénomène. Faute de quoi, ce serait baisser les bras devant la bêtise et la déraison religieuses, et se contenter d'être les témoins impuissants des cortèges de cruauté qu'elles ne cessent de provoquer.

Un livre, nouvellement arrivé chez nous, peut s'avérer très utile et éclairant à ceux et celles qui veulent bien assumer ce nécessaire effort de compréhension. Il s'agit en fait d'un volume qui contient deux ouvrages publiés au 18e siècle, et ce qui surprend d'abord en le parcourant, c'est qu'on a la triste impression que, depuis ce temps, rien n'a vraiment changé, et que nous en sommes toujours au règne de la superstition la plus abjecte. En fait, c'est en lisant ce livre que me sont venus spontanément à l'esprit certains des faits récents que j'ai évoqués ci-dessus.

Le premier de ces deux ouvrages, Recherches sur l'origine du despotisme oriental, fut signé par un certain Nicolas-Antoine Boulanger. Mais il s'agit vraisemblablement d'un pseudonyme, car à l'époque les écrits du genre valaient encore les pires persécutions religieuses à leurs auteurs (d'ailleurs, l'Église ne manqua pas de mettre ce livre à son Index). Il est aussi à noter que ce texte est, en cette année 2007 et grâce aux éditions Coda, publié pour la première fois depuis... 1794.

Donc, quel qu'en soit l'auteur, ce texte procède à une analyse richement informée, notamment sur les plans culturel et historique, de l'émergence du phénomène religieux en tant que tel dans l'histoire de l'humanité. Ce faisant, il nous permet de comprendre comment le despotisme s'est de plus en plus conjugué avec la religion, et cela dans toutes les civilisations connues à l'époque de sa rédaction. Le moins qu'on puisse dire devant les faits dont nous sommes toujours les témoins en ce début de 21e siècle, c'est que cet ouvrage apporte un éclairage qui reste éminemment pertinent quant à l'association toujours perceptible entre la religion et le pouvoir, de même que pour saisir les causes du phénomène de ces dirigeants religieux qui sont la plupart assoiffés de domination sur les consciences.

L'auteur du deuxième ouvrage publié dans ce même volume, et dont le titre est De la cruauté religieuse, est connu avec plus de certitude : il s'agit de d'Holbach, à qui les libres penseurs et les humanistes des générations suivantes doivent énormément, et cela jusqu'à nos jours, compte tenu de son audace et de sa rigueur intellectuelles, de même que de l'étendue de son action. Remontant lui aussi jusqu'à l'époque primitive, d'Holbach procède à un parcours des diverses époques de l'histoire humaine, afin de mieux nous éclairer sur les mécanismes mentaux qui, si souvent, font que la foi religieuse devient synonyme non seulement de fanatisme, mais aussi de la plus impitoyable cruauté. Son analyse à lui aussi reste de nos jours d'une actualité déconcertante.

En somme, il s'agit d'un livre qui nous permet de mieux comprendre le phénomène de la cruauté religieuse, et aussi le fanatisme qui lui sert de justification. On peut en tirer bien des leçons, car l'exposition de tels faits historiques n'a pas été sans me faire songer à tous les fanatismes, qui n'ont pas été que religieux au cours des époques ayant suivi celle où ces deux ouvrages furent publiés pour la première fois. En effet, on a malheureusement trop souvent vu dans bien des contrées la domination religieuse n'être que simplement remplacée par une domination tout aussi perverse et impitoyable, celle-là idéologique, avec son lot similaire de fanatiques et de barbares tous persuadés de détenir la «Vérité» absolue sur toute chose. Le communisme, le fascisme, n'en sont que quelques exemples parmi d'autres.

L'une de ces principales leçons à tirer de tout cela se retrouve d'ailleurs en conclusion de l'ouvrage de d'Holbach, lorsqu'il affirme la nécessité de maintenir les religions hors de tout pouvoir sur la société. Aujourd'hui, on peut donc soutenir la même chose concernant les idéologies, et particulièrement leurs tenants qui désignent constamment des «traîtres» ou des «infìdèles» à quelque «Cause» que ce soit. Ces «traîtres» et ces «infidèles», ce sont d'abord et avant tout ceux et celles qui tiennent à préserver leur liberté de pensée et de parole, sans jamais s'agenouiller devant quiconque prétend détenir le monopole de la «Vérité» ou de ce que devrait être le «bonheur collectif». On en a en effet vu bien souvent, au cours de l'histoire encore récente, des «libérateurs» autoproclamés se révéler, une fois au pouvoir, comme étant les pires bourreaux de ceux qu'ils prétendaient vouloir «libérer».

Toute idéologie ou croyance qui dénie ainsi la liberté nécessaire à l'individualité humaine, ou qui encore contient dans son discours la moindre tendance à pointer du doigt de prétendus «ennemis» à quelque «Vraie Foi» ou «Cause» que ce soit, devrait donc susciter quelque méfiance dans l'esprit de ceux et celles qui tiennent à garder leur liberté de penser, donc leur liberté tout court. Il nous faut donc porter attention à la violence de certains discours, qu'ils soient idéologiques ou religieux, et jamais ne nous montrer complaisant en quoi que ce soit à l'égard de ceux qui les tiennent car, comme l'histoire l'a démontré à maintes reprises, c'est toujours par la violence verbale, y compris par les dénonciations de «traîtres» et d'«infidèles» à des «Causes» qui se prétendent toutes aussi «Sacrées» les unes que les autres, que l'oppression totalitaire se dévoile à ses débuts.

En tout cas, c'est à ce genre de réflexion que la lecture de ce livre amène le lecteur, et ne serait-ce que pour cette raison, elle peut s'avérer des plus utiles, notamment pour aiguiser une lucidité qui nous sera toujours nécessaire pour prévenir les horreurs de la domination de la bêtise, qu'elle soit religieuse ou idéologique.

jeudi, mai 24, 2007

Pour que notre société reste un espace de liberté...
et de dignité aussi


Ceux et celles qui veulent comprendre ce qui est en cause concernant les demandes d'accommodements religieux (lesquels sont bien mal nommés «accommodements raisonnables»), ou encore les autres qui se préoccupent du haut degré de confusion qui s'est emparé de ce débat, se réjouiront fort de la sortie récente du livre de Yolande Geadah, Accommodements raisonnables : Droit à la différence et non différence des droits (éditions VLB).

Dans cet ouvrage remarquable pour sa concision (il ne fait pas cent pages) et dont l'écriture est claire et accessible, Mme Geadah réussit avec brio à cerner adéquatement l'enjeu, tout en mettant de l'avant une approche qui se révèle équilibrée et - dans son cas à elle on peut le dire - raisonnable. Ce faisant, elle permet aussi de nous sortir de la confusion ambiante en clarifiant les termes du débat. C'est que Mme Geadah affirme clairement son opposition à toute montée potentielle de xénophobie et de racisme à l'égard des personnes musulmanes, tout en insistant sur la nécessité de démasquer les intégrismes religieux, l'enjeu principal étant de protéger, voire de consolider les valeurs démocratiques, sociales et culturelles qui font du Québec ce qu'il est censé être: une société libre, ouverte et tolérante, et qui doit se donner les moyens de le rester, sinon de le devenir encore plus.

D'entrée de jeu, l'auteure procède donc à la très nécessaire clarification des termes du débat : "Sur le plan juridique, le concept (d'accommodement) implique qu'il y a obligation de la part de l'employeur ou d'une institution, quand des normes ou des pratiques ont sur un individu un impact discriminatoire fondé sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques." À quoi elle ajoute pertinemment que si on ajoute le terme «raisonnable» au concept d'accommodement, "il peut difficilement s'appliquer à des croyances religieuses qui font appel au dogme de la foi et non à la raison". C'est d'ailleurs pourquoi il me paraît que le terme employé par le Mouvement Laïque Québécois, «Accommodements religieux», est pas mal plus adéquat pour rendre compte exactement de ce qui est présentement en jeu. Précisons en passant que si les médias et les politiciens faisaient preuve d'un peu plus de rigueur, c'est ce terme qu'ils devraient employer eux aussi, car présentement chez nous, nous assistons bel et bien à des tentatives d'imposer à notre société des normes propres à certaines croyances religieuses dogmatiques, et dont les valeurs s'opposent de plein fouet aux libertés fondamentales pour lesquelles des générations de libres penseurs ont dû lutter.

Mme Geadah nous incite aussi à prendre conscience du fait que, derrière les demandes d'accommodements religieux, c'est l'intégrisme religieux qui tente de s'imposer à la société. Son propos est à cet égard on ne peut plus clair : "l'intégrisme cherche à manipuler la religion à des fins politiques, s'attaquant au pouvoir séculier et réclamant toujours plus d'espace social, juridique et politique." Ce fait devrait nous inciter à une plus grande lucidité, en particulier en ce qui concerne non seulement les droits et l'égalité des femmes, mais aussi les fondements mêmes de notre société démocratique et pluraliste: "La montée des intégrismes religieux menace non seulement les femmes, mais l'ensemble de la société. En cherchant à imposer ses valeurs dans l'espace public, l'intégrisme menace la liberté d'expression, au nom du respect des religions. En témoignent les menaces, les procès et les attaques, parfois meurtrières, tant en Occident que dans le monde musulman, menés par les mouvements intégristes contre des politiciens, des juges et des intellectuels (cinéastes, écrivains et autres) qui osent critiquer ouvertement les interprétations religieuses intégristes."

Devant quoi l'auteure critique, avec raison, l'approche strictement juridique qui, jusqu'ici, règne chez nous par rapport aux demandes intégristes d'accommodements religieux. En fait, en pliant devant les demandes intégristes qui se font de plus en plus fréquentes, nos tribunaux sont en train de présider actuellement à la fragilisation de nos libertés fondamentales et de notre démocratie elle-même. Il est plus que temps que la société se fasse entendre là-dessus, afin que les tribunaux en arrivent à faire preuve de plus de raison que ce qu'ils ont démontré jusqu'ici dans leurs jugements. Comme le souligne Mme Geadah, "l'approche juridique occidentale qui conçoit la liberté religieuse sous l'angle du choix individuel ne permet pas de tenir compte de cette réalité sociologique plus vaste, où des individus et des groupes organisés se réclament de la démocratie pour tenter de s'arroger un pouvoir abusif, niant ainsi les libertés fondamentales."

De lucidité, Yolande Geadah en fait preuve aussi lorsqu'elle appelle à éviter le double piège du racisme et du relativisme culturel. Ne serait-ce que pour cela, son livre devrait être mis dans les mains de toute personne qui s'oppose autant au racisme qu'à l'obscurantisme religieux. Car comme le dit si bien l'auteure, il est plus que temps que l'on se rende compte de la nécessité de "cesser de voir du racisme dans toute critique des accommodements, comme de cesser de croire que la seule façon de lutter contre les préjugés est d'appuyer toutes les revendications religieuses, y compris celles qui sont issues des interprétations les plus rigides de la religion. Les pratiques restrictives et discriminatoires à l'égard des femmes, perpétrées au nom des valeurs religieuses ou culturelles, contribuent à nourrir les préjugés à l'endroit des minorités. Par conséquent, on ne peut lutter efficacement contre le racisme sans remettre en question ces pratiques. (...) Il faut dégager l'espace de liberté nécessaire pour lutter à deux niveaux, contre les préjugés et le racisme, d'une part, et contre les interprétations misogynes ou trop rigides des religions, d'autre part."

En plus d'un très éclairant chapitre sur les défis posés par la mise en oeuvre de la laïcité dans des pays aussi différents que la France, les États-Unis et la Turquie, en plus d'un autre consacré à une critique très pertinente et juste de l'approche strictement juridique qui prévaut chez nous, Yolande Geadah rappelle certains faits essentiels quant à certains symboles religieux, dont selon elle (et en cela je l'approuve entièrement) nous ne devons surtout pas perdre de vue le sens.

Cette nécessité m'a amené à une réflexion personnelle sur certains de ces symboles. Le hijab par exemple, qui suscite chez nous bien des vagues suite aux pressions de groupes intégristes, est un symbole de soumission des femmes aux hommes. Ce qu'il signifie essentiellement, c'est que le corps de la femme serait source d'«impureté», donc à cacher jusqu'à sa chevelure. D'une telle logique, faudrait-il alors déduire que le corps des hommes, n'ayant pas à être voilé, n'inspirerait quant à lui que la «pureté» la plus immaculée ? Voilà à quel genre de réflexion peut mener une absurdité misogyne et dominatrice quand on l'érige en dogme auquel, dans ce cas-ci, seules les femmes doivent se soumettre. En plus de son immoralité inhérente, cette abjecte misogynie ne devrait que révolter la conscience humaine, car elle porte outrage non seulement à la dignité de la femme, mais aussi à celle de l'homme lui-même, que des intégristes obsédés réduisent à l'état d'un ignoble prédateur incapable de maîtriser les pulsions charnelles qui, selon eux, s'empareraient de lui dès que son regard se pose sur une chevelure féminine. N'en déplaise aux intégristes de tout poil, l'homme est capable de beaucoup plus de décence et de dignité que ce que laisse entendre leur idéologie qui rabaisse l'être humain à l'état animal.

En ce sens, il est bon de nous rappeler que l'idéologie qui accompagne le hijab est à combattre, et qu'on ne devrait surtout pas se gêner pour la dénoncer. Même chose pour le fameux kirpan, dont la Cour Suprême a bêtement autorisé le port à l'école : ce couteau symbolise le devoir de se faire justice à soi-même si la religion est «attaquée». Est-ce bien là le genre de valeurs que nous voulons voir prospérer dans notre société ? La question se pose, en tout cas, et il faut souhaiter que les tribunaux parviennent enfin à quelque bon sens à ce sujet.

D'ailleurs, l'auteure appelle, avec raison encore une fois, à "affirmer le principe selon lequel le discours religieux et l'éducation religieuse doivent respecter les droits inscrits dans les chartes. Ainsi, ils ne doivent pas nier l'égalité des sexes, ni porter atteinte à la dignité des femmes, ni encore inciter à la coercition dans l'imposition des valeurs morales. Cette règle doit s'appliquer à tous également, indépendamment de l'appartenance ethnique. Dans un système de droit, le discours et les pratiques religieuses ne peuvent pas avoir préséance sur les lois et les chartes. Toutes les religions seraient ainsi libres et respectées, mais devraient en contrepartie délaisser toute idéologie axée sur la domination mâle et sur la hiérarchie des groupes ethniques et religieux."

Ces propos de Yolande Geadah indiquent combien elle a su se faire la voix du bon sens et de la raison. C'est pourquoi on peut souhaiter que, suite à la désolante confusion qui s'est emparée de tout le débat sur les demandes d'accommodements religieux, son livre soit largement lu, réfléchi et débattu. En fait, par sa clarté et sa concision même, ce livre représente un outil essentiel à chaque citoyen et chaque citoyenne qui veut s'engager pour que notre société préserve l'espace de liberté et de dignité qu'elle s'est donné non sans avoir dû mener des luttes très difficiles au cours de son histoire, et cela souvent au prix de sacrifices importants pour ceux et celles qui ont eu le courage de les mener.

On ne doit jamais rien prendre pour acquis, surtout en matière de libertés, même fondamentales. Il appartient donc à chacune et chacun d'entre nous d'agir en conséquence. D'ailleurs, il y a plus de deux siècles, Johann G. Fichte nous avait légué ce message qui, de nos jours, est encore bien loin d'avoir perdu de son actualité :

«Si vos ancêtres avaient été aussi lâches que vous, vous seriez demeurés dans la servitude la plus honteuse qui puisse peser sur l'esprit et le corps: vous seriez toujours les esclaves d'un despote spirituel. Ils ont arraché par de durs combats ce qu'un peu de fermeté de votre part suffirait à conserver.» (J.G. Fichte, De la liberté de penser)

jeudi, mai 10, 2007

Exprimez-vous !


Par Daniel Laprès. Article publié dans le cadre de la rubrique D'un Canada à l'autre, journal La Presse, Montréal, le dimanche 13 mai 2007, p. A14.

(N.B. : Ce n'est pas moi qui ai choisi le titre tel que publié dans La Presse, car j'aurais mis plutôt « Fédéralistes, déniaisez-vous! » au lieu de « Exprimez-vous »... Mais bon, on ne peut pas tout avoir dans la vie... ;-)


En plus du résultat des dernières élections, la démission d’André Boisclair s’ajoute aux déboires que le mouvement indépendantiste connaît depuis quelque temps. S’il est vrai que ce mouvement se retrouve bel et bien en pleine tourmente, ça ne signifie pas pour autant que tout serait au beau fixe pour les fédéralistes. Croire le contraire, ce serait se préparer à d’éventuels lendemains bien pénibles. Il suffirait d’un simple retournement de conjoncture, et tout pourrait basculer dans l’autre sens, comme on l’avait vu suite à l’échec de l’accord du Lac Meech, en 1990, et aussi il y a deux ans avec le scandale des commandites.

On dirait que les fédéralistes se font encore une fois l’illusion qu’ils pourront gagner par défaut, ce qui les amène à dormir sur la «switch», une attitude qui leur est pas mal trop coutumière. Plusieurs parmi eux se réjouissent des divisions qui agitent le camp indépendantiste ; d’autres pensent qu’avec le succès récent de l’ADQ et les apparents mamours entre Stephen Harper et Mario Dumont, c’en serait fait du PQ, donc de l’idée indépendantiste elle-même ; enfin, il y en a qui aiment se dire entre eux que « les-Québécois-seraient-tannés-d’entendre-parler-de-référendum-et-veulent-passer-à-autre chose ». En un mot, la tendance actuellement en vogue chez les fédéralistes consiste à espérer que le camp adverse fasse tout le travail à leur place. Mais pendant ce temps-là, bien peu est fait pour inciter les Québécois à réellement adhérer à l’idée canadienne, ou encore à s’ouvrir à des idées différentes de la vulgate nationaliste qui tient lieu ici de pensée unique.

Mis à part quelques rares éditorialistes bien téméraires qui avancent certaines idées, ou encore certains auteurs tout aussi rares, comme Éric Montpetit avec son récent livre Le fédéralisme d’ouverture (éditions Septentrion), les fédéralistes sont encore totalement absents du débat d’idées au Québec. Aucun think tank, aucun mouvement ou organisation pour rassembler leurs forces ou débattre entre eux, aucune initiative politique ne sont perceptibles de leur côté. Ne parlons pas de leurs partis politiques, qui restent encore un désolant désert d’idées.

Si vous voulez avoir accès à une réflexion originale et créatrice sur la question nationale, il vous faudra chercher ailleurs que dans les milieux fédéralistes. Quand on fait ce petit effort, on se rend alors compte que c’est dans des cercles libres de toute partisannerie qu’on peut découvrir une pensée réellement critique quant au nationalisme, comme par exemple dans la revue Liberté, dont les deux dernières livraisons témoignent d’une réelle volonté de renouveler, avec un esprit d’une rafraîchissante audace, les termes de ce débat national et identitaire qui est figé depuis trop longtemps. (Voir mes commentaires sur les numéros 275-76 (numéro double) et 274 de la revue Liberté).

Pour ma part, quand je parle de ce genre de périodique ou de certains livres aux gens que je côtoie dans les milieux fédéralistes, je constate généralement qu’à peu près personne n’est au courant. C’est comme si nos bons fédéralistes ne savent pas ce que c’est que d’aller en librairie de temps en temps, ou encore de s’informer de certains débats ou idées qui émergent ou circulent dans notre société. On ne trouve pas non plus de leur côté d’intervention originale quant aux enjeux qui agitent la société québécoise, comme par exemples les accommodements religieux et les menaces qu’ils posent à la laïcité, la situation dans les régions, l’identité et la culture, l’environnement, les affaires internationales, le rôle de la société civile, et j’en passe. Tout cela comme si les fédéralistes trouvaient des vertus à se maintenir déconnectés des préoccupations concrètes d’un très large nombre de Québécois.

Parfois, il y en a qui déplorent «l’absence» du discours fédéraliste dans le débat public. Mais de quel « discours » parlent-ils alors ? Où est-il donc, ce « discours » ? Les fédéralistes ne débattent même pas entre eux, alors comment pourraient-ils produire un discours qui rejoindrait certaines cordes sensibles dans l’esprit des Québécois ? Ce n’est pourtant pas en restant dans une telle léthargie que les fédéralistes renouvelleront leurs idées, ou encore qu’ils pourront améliorer leur conscience de ce que vivent et pensent les Québécois.

S’ils veulent réellement reprendre l’initiative dans le débat, les fédéralistes doivent admettre au plus vite qu’il n’en tient qu’à eux de s’en donner les moyens. Qu’ils brassent leurs méninges un peu mieux et un peu plus qu’ils ne le font présentement, et aussi, qu’ils se donnent les moyens organisationnels requis ─ et financés démocratiquement, donc de leur propre poche ─ pour qu’ils puissent enfin intervenir plus efficacement et, surtout, avec des idées originales et pertinentes qui puissent rejoindre ceux à qui ils doivent s’adresser : les Québécois eux-mêmes. En somme, s’il est vrai que les difficultés présentes du camp indépendantiste leur procure une certaine accalmie, les fédéralistes ont intérêt à en profiter pour travailler et pour se renouveler. À défaut de quoi, ils prennent le risque de s’exposer, encore une fois, à des lendemains qui déchantent.

mardi, mai 08, 2007

Défendre la laïcité,
c'est défendre la liberté

Ce qu'on peut constater dans la foulée de l'affaire des accommodements religieux (qui n'ont en réalité absolument rien de «raisonnables») que l'on vit au Québec, c'est que le débat sur la place de la religion dans une société démocratique et libérale, de même que sur les fondements réels de ces mêmes religions, est complètement mis de côté. Des bien-pensants de toutes sortes occupent le devant de la scène en ressassant constamment la même rengaine : "Il faut", selon eux, "respecter toutes les croyances", comme s'il fallait absolument s'interdire de les critiquer. Je pense que c'est une grave erreur.

Bien sûr, il faut respecter le droit de quiconque à croire à ce qu'il veut, et même à des absurdités et loufoqueries, qui, soit dit en passant, ne sont pas le monopole des sectes ésotériques qui foisonnent un peu partout de nos jours. En effet, les grandes religions monothéistes que le sont christianisme, le judaïsme et l'islam sont toutes trois fondées sur des fables entièrement inventées par des hommes ; même si les recueils de ces fables (la Bible, la Torah et le Coran), sont appelés «Livres Sacrés» par les adeptes de ces religions, tout cela reste ce que c'est dans la réalité : des fables racontant des invraisemblances et des extravagances tout aussi farfelues les unes que les autres.

Mais bon, encore une fois, libre à chacun d'y croire à sa guise, ainsi qu'aux dogmes, tout aussi invraisemblables et absurdes, qui servent également de fondements aux religions. Par exemple, quelqu'un peut bien, dans sa tête, se convaincre mordicus de la véracité absolue du dogme de l'Immaculée-Conception de la «vierge» Marie, ou encore croire dur comme fer que l'Ange Gabriel en personne aurait bel et bien apparu à Mahomet, lequel aurait en prime fait un séjour au Paradis pour rencontrer Abraham, Jésus et Allah pour ensuite revenir sur terre pour répandre son interprétation de la «volonté divine» . De telles fables font partie de croyances qui sont certes complètement irrationnelles, mais qui en même temps ne font pas de mal à personne. À condition toutefois que ces mêmes croyances restent strictement cantonnées dans la sphère du privé.

Parce que là où le bât blesse avec les religions -- en particulier avec les religions monothéistes -- c'est quand elles manifestent leur propension intrinsèque à imposer leurs dogmes à la société humaine. Dans son très éclairant livre Les religions meurtrières (éditions Flammarion), Élie Barnavi permet de mesurer cette réalité que "la religion, toute religion, reste d'abord une affaire de groupe, c'est-à-dire de pouvoir. (...) Toute religion est politique. Qu'est-ce que cela veut dire ? D'abord que, sauf dans nos sociétés dûment sécularisées, il est de l'obligation du groupe de les imposer à l'individu, pour so propre bien comme pour le salut de la communauté, s'il le faut contre sa propre volonté. (...) Toute religion révélée est une religion de combat ; seules les armes changent, et l'ardeur à s'en servir".

"Sauf dans nos sociétés sécularisées", en effet. Barnavi a bien raison de le souligner. Parce que si ce n'était de cette laïcité acquise si durement dans l'histoire des sociétés démocratiques -- de cette laïcité qui, ne l'oublions pas, est la liberté -- il n'y aurait ni tolérance, ni pluralisme, ni respect des droits humains, parce que toute l'existence, sociale comme individuelle, serait dominée par le dogme religieux et ses «interprètes» autoproclamés. Ceci s'est toujours vérifié dans l'histoire, et cela se vérifie encore de nos jours dans certaines parties du monde. Mais pour que ce "sauf" qui concerne nos sociétés sécularisées puisse être préservé, il est clair qu'il nous faudra défendre la laïcité -- donc, je le répète, la liberté -- contre les tendances dominatrices et oppressives des religions. Parce que l'avènement de nos libertés démocratiques proviennent justement des luttes (et aussi des sacrifices, ne l'oublions jamais) des libre-penseurs contre le despotisme et la tyrannie imposées par les pouvoirs religieux. Sans leurs combats pour la laïcité, il n'y aurait pas de libertés dans les sociétés démocratiques occidentales.

Pour y arriver, il faut, plus que jamais de nos jours et même chez nous, affirmer le droit à l'expression libre de la critique des fondements des religions. Par exemple, prendre la liberté de dire ouvertement ce qu'il en est en réalité des «Livres Sacrés». Barnavi le fait d'ailleurs fort bien : "Les textes sacrés étant obscurs, pour en dégager la vérité cachée il faut les interpréter. Ces interprétations, sacralisées à leur tour, s'empilent au cours des siècles pour former un imposant et fort disparate corpus textuel, lui même interprétable à l'infini. (...) Il est aussi stupide d'aller chercher dans le Coran les sourates qui prêchent la guerre sainte pour rendre compte des agissements de Ben Laden que de glaner dans la Bible de quoi expliquer le geste de l'assassin de Rabin. Certes, c'est ce qu'ils font, eux. Mais leurs adversaires, au sein des mêmes religions, trouveront d'autres sourates, d'autres versets, pour justifier un comportement exactement contraire. Les Écritures sont des auberges espagnoles, on y vient avec ce que l'on a et l'on y trouve ce que l'on veut."

Quand on prend conscience de cette réalité concernant les «Livres Sacrés», comment peut-on ensuite vouloir «respecter» les croyances qui s'inspirent d'une lecture fondamentaliste de ces mêmes textes, qui furent écrits par des hommes qui ont prétendu, sans que cela soit jamais vérifiable, porter la soi-disant «parole divine», et que leurs disciples, en bons zélateurs qu'ils sont toujours, s'efforcent d'imposer à l'ensemble de la société ? N'a-t-on pas vu, et ne voit-on pas encore, tellement de calamités et de tragédies provoquées par le genre humain contre lui-même à cause de ces religions fondées sur une conception complètement dévoyée du «sacré» ? Je dis «dévoyée», car ce qui devrait toujours être considéré comme réellement sacré, n'est-ce pas justement l'être humain, sa dignité dont la liberté de conscience est une dimension centrale, de même que la nature concrète ? Tandis que ce qui est «sacré» pour les religions, ce sont leurs fables et leurs dogmes, et selon elles, l'être humain n'a qu'à s'y soumettre aveuglément, de même qu'aux volontés et dictats de leurs interprètes dont la principale passion consiste surtout à exercer leur contrôle absolu sur les consciences et sur la vie des individus et des collectivités.

La lecture du livre de Barnavi le montre bien : parce qu'aux yeux des religions seuls leurs dogmes sont sacrés, les religions méprisent l'être humain, et elles lui dénient son droit à la liberté de conscience. D'où le fait, trop souvent avéré et, malheureusement, encore actuel, que les religions, lorsque leurs préceptes sont appliqués de manière fondamentaliste, se révèlent toujours meurtrières. Elles ont alors une forte propension à tuer les gens dans leurs corps, ou, à tout le moins, dans leurs esprits.

Devant quoi ceux et celles qui sont attachés à la dignité et à la liberté de la personne humaine doivent lutter pour que soit préservée la laïcité. Devant les tentatives d'imposer chez nous l'observation de dogmes religieux jusqu'à prétendre faire plier nos institutions sociales et collectives -- comme le démontrent chez nous les demandes d'accomodements religieux -- la lutte est en effet redevenue nécessaire.

Comme l'écrit Barnavi, cette lutte "passe par la réaffirmation de quelques règles simples, dont l'application ne doit souffrir aucune discussion, aucune compromission, aucune dérogation. Ici, on ne bat pas sa femme, on n'excise pas sa fille, on ne tue pas sa soeur sous prétexte qu'elle a souillé l'honneur de la famille en refusant le mari qu'on voulait lui imposer. Ici, la conscience est autonome et la religion relève du libre choix de l'individu. Ici, on ne tolère aucune manifestation de sectarisme religieux, les prêches haineux sont proscrits, l'incitation à la violence est interdite par la loi. (...) Cette laïcité, sans laquelle il n'est pas de démocratie, il nous faut la défendre becs et ongles, sans nuances ni faiblesse. "

Bien entendu, affirmer de tels principes ne donne pas beaucoup dans le «politically correct». Mais j'ai l'impression que, sous prétexte de «respect des croyances», on est en train de perdre de vue ce sur quoi reposent les fondements de nos libertés, de même que nos valeurs démocratiques. Il y en a aussi certains qui parlent d'un certain "Dialogue des civilisations". Mais, là aussi, Élie Barnavi le montre bien : un tel "dialogue" est impossible : "Entre les sociétés qui respectent la laïcité, donc la liberté, et celles qui ne comprennent même pas ce que cela veut dire, on a inventé le «dialogue des civilisations». C'est un miroir aux alouettes. Car de quoi peut-on bien parler dans ces séances de «dialogue», où l'on fait assaut d'hypocrites amabilités ? Des textes ? Mais les textes, on l'a vu, ne disent que ce qu'on veut bien leur faire dire. C'est donc de cela qu'il faudrait parler ; mais c'est précisément ce dont on ne peut pas parler. (...) La ligne de fracture passe au coeur des systèmes de croyances. (...) Il y a la civilisation et la barbarie, et entre les deux il n'y a point de dialogue possible."

En effet, pour ma part, je me demande bien comment on peut «dialoguer» en toute honnêteté intellectuelle et morale avec, par exemple en ce qui concerne l'islam, les tenants d'une religion qui considère, tel que promulgué par son «livre sacré», que quiconque n'est pas musulman n'est qu'un vulgaire «mécréant». Faute d'admettre ce fait qui est l'un des principes mêmes de la religion islamique, et que les musulmans qui prétendent être désireux de «dialogue» doivent rejeter ouvertement et sans aucune ambiguïté, le «dialogue» en question n'est en effet que pure hypocrisie, et ne peut en bout de ligne aboutir à rien de contret.

Il y a aussi un autre fait important que souligne Barnavi. Et là, je suis bien conscient que je vais commettre une véritable hérésie en regard des convictions fédéralistes qu'on me connaît (je ne suis toutefois pas attaché à aucun dogme, même et surtout pas dans mon propre camp) : le multiculturalisme est un leurre, et un échec patent. Car, comme l'affirme Barnavi à juste titre, " on ne bâtit pas une société digne de ce nom (...) ce qui implique une culture commune, une mesure de mémoire partagée, en enfermant les gens dans leur propre culture et leur propre mémoire. (...) Le multiculturalisme refuse de voir que le corps social ne saurait supporter sans réagir n'importe quelle greffe, à n'importe quelles conditions. Qu'il soit pervers ou sincère, le multiculturalisme conduit au guetto".

Si on se montre le moindrement lucide, n'est-ce pas là ce qui est arrivé au Canada, avec ces replis identitaires et leur interminable lot de revendications, qu'elles soient ethniques ou religieuses, qu'on a nourries à même nos institutions publiques ? Résultat : on en est arrivé à avoir chez nous des communautés qui , sous prétexte de croyances religieuses dogmatiques, ne trouvent aucun intérêt à participer à la mise en oeuvre des valeurs démocratiques et libérales qui sont pourtant le socle de notre société. Pire encore, il y a de ces communautés qui, au nom de leurs croyances, méprisent profondément ces mêmes valeurs et qui vont jusqu'à s'en considérer les ennemis. Mais pourquoi donc ces gens ont-ils choisi de vivre ici ? Qu'ils déménagent donc à Téhéran ou à Ryad, ils ne s'en porteront que mieux puisque là-bas leur dogmatisme est appliqué à la lettre, et cela jusqu'à atteindre un effroyable degré de cruauté et de barbarie. Et nous aussi, ceux et celles qui, quelques soient leurs origines, croient que la liberté est sacrée et que la société n'a pas à se plier à aucun dogme religieux, nous ne nous en porterons que mieux.

Il nous faut donc travailler dès maintenant pour rectifier le tir. Et ça presse de plus en plus. Par exemple, en explorant l'une des propositions avancées par Barnavi dans son livre, lorsqu'il soutient que s'il est vrai qu'en France "la République (ici c'est de la démocratie dont il s'agit) est bonne fille, elle doit réapprendre à sortir ses griffes. Elle ne doit pas seulement interdire qu'on enfreigne ses lois, elle doit exiger qu'on embrasse son éthique. (...) L'octroi de la citoyenneté doit s'accompagner d'un serment d'allégeance aux principes fondamentaux de la démocratie." Sinon : «Dehors!» D'ailleurs, la France est dotée d'une procédure de destitution de la citoyenneté pour les cas où, sur une période s'écoulant sur dix ans après l'obtention du statut de citoyen, un individu commet des actes allant à l'encontre du respect d'un tel contrat. Une telle mesure ne me paraît pas du tout à exclure chez nous, si toutefois elle est appliquée dans un cadre clair et transparent, qui aussi ne laisserait place à aucun arbitraire.

Pour en arriver là, cependant, il est clair que nous aurons besoin de leaders politiques plus courageux et plus attachés à défendre nos libertés fondamentales que ce qu'on nous sert de nos jours. (Pour ma part, je suis libéral, mais je suis révolté de voir combien les partis qui se réclament de ce nom, et cela tant au niveau provincial que fédéral, à cause de leur clientélisme politique, se montrent éloignés de toute défense de cette valeur authentiquement libérale qu'est la laïcité. Ces partis libéraux, qui proviennent pourtant en droite ligne des Rouges anticléricaux du 19e siècle, ne sont plus qu'un très pâle reflet de ce qu'ils furent dans le passé, et c'est une véritable honte).

Mais ces leaders réellement démocrates dont nous avons besoin, ils ne surgiront pas du néant comme par enchantement. Il faut au préalable que, dans la société elle-même, de plus en plus de citoyens s'organisent et agissent pour défendre la laïcité et les valeurs démocratiques sans lesquelles notre société ne serait pas ce qu'elle est. Les politiciens étant surtout des «suiveux», il faut donc que ça vienne d'abord de nous tous. Sinon, qu'on n'y songe même pas...

mardi, mai 01, 2007

Cultures croisées,
monde de beautés


Histoire de poursuivre sur la lancée des plaisirs que procure ce croisement des cultures qui, selon la Parole Sacrée de l'Imam Pierre Falardeau, serait tellement méprisable qu'il en condamne ce crime de trahison nationale que serait à ses yeux l'ouverture des Québécois ( qui sont pour l'immense majorité d'entre eux beaucoup plus sains d'esprit que lui ) aux cuisines étrangères, je vais aujourd'hui m'entretenir avec vous de musique.

C'est que j'ai découvert récemment un album-double CD, intitulé Mozart l'Égyptien. Ma curiosité ayant été attisée par un pareil thème accolé à la musique de Mozart, je me le suis procuré sur-le-champ, mais sans trop savoir à quoi m'attendre.

Sans être en rien un "expert" en musicologie (je ne saurais lire une seule note d'une partition), j’ai un très gros faible pour l’œuvre de Mozart, à cause de sa vitalité, de sa diversité, de son intensité, de sa profondeur, de sa beauté, et aussi de la joie de vivre que, sans se démentir, elle transmet à l’humanité depuis déjà plus deux siècles. J'aime aussi Mozart pour l'esprit de fraternité universelle qui l'animait jusqu'au plus profond de son être, de même que pour ses vibrants appels à contrer les obscurantismes qui s'acharnent à consacrer la division de l'humanité en sectes ou nationalités. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à visionner son fameux opéra La Flûte enchantée, ou encore méditer le sens de cet extrait du texte de sa cantate K619:


Tendez la main fraternelle de l'éternelle amitié,
dont seule une illusion,
et non jamais la vérité,
vous a privés pendant si longtemps.

Brisez les liens de cette illusion !
Déchirez le voile de ce préjugé !
Arrachez ce vêtement
qui habille l’humanité en sectes !
Battez le fer qui jusqu’à maintenant
a divisé le sang des hommes, des frères !

Faites sauter les rochers
avec la poudre noire
qui souvent a précipité le plomb meurtrier
dans le coeur des frères !


Par l’œuvre qu’il a nous a laissée, et qui aide encore des multitudes d’hommes et de femmes à jouir des beautés que recèlent l’esprit humain de même que toute la nature dans son immensité infinie, Mozart a su nous toucher, en la rendant plus belle, dans cette vie concrète que nous avons tous en partage, et qu’il nous aide à aimer.

Et encore, quand on pense au fait que Mozart est mort avant même d’avoir atteint ses 36 ans, il y a là, pour chacun d’entre nous, de quoi se laisser stimuler à donner le meilleur de nous-mêmes au cours de cette vie qui nous est dévolue, pour contribuer nous aussi à rendre notre humanité plus belle, en répandant autour de nous une certaine générosité de cœur, une certaine grandeur d’esprit, sinon une certaine noblesse d’âme. Pour dire les choses encore plus simplement : en contemplant l’œuvre de Mozart, chacun de nous est en droit de se demander quelle œuvre il est en train de faire de sa vie. En ce sens, c'est à la meilleure part de nous-mêmes qu'il nous appelle, celle qui stimule l'ouverture et l'appréciation de ces différences, souvent riches de beautés, qui caractérisent le genre humain.

Je ne savais donc à quoi m'attendre en achetant cette oeuvre signée par l'audacieux compositeur Hugues de Courson, avec la collaboration de Ahmed El Maghraby et Nasredine Dalil. Mais bon sang que je ne l'ai pas regretté !

C'est que le résultat de cette fusion de la musique de Mozart avec les chants égyptiens est d'une beauté tout simplement émouvante, qui vient nous remuer au plus profond de nous-mêmes. Ce mariage entre ce sublime créateur venu d'Occident qu'est Mozart et les rythmes musicaux traditionnels d'Égypte incarne en quelque sorte une belle et inspirante rencontre de l'Orient et de l'Occident.

On peut penser que Mozart lui-même en serait fier : ayant adhéré en 1784 à la franc-maçonnerie et aux valeurs de fraternité universelle et à celles des Lumières dont les francs-maçons du 18e siècle ont grandement oeuvré à la propagation, Mozart était animé, comme on peut le voir notamment dans sa correspondance, d'une véritable passion pour l'Égypte et son symbolisme, de même que par les leçons enseignées par ses mythes. On en perçoit d'ailleurs nettement la trace dans certaines de ses oeuvres comme L'Oie du Caire ou Thamos Roi d'Égypte, ou même dans La Flûte enchantée.

Un autre motif de croire que Mozart se réjouirait du travail de Hugues de Courson, c'est que curieux, inventif et cultivé, Mozart était spontanément avide de découvrir les méthodes et inventions novatrices de son époque. Ses sources d'inspiration étaient des plus diversifiées, ce qui lui permit de réinventer tous les styles musicaux, souvent non sans une certaine audace qui choquait parfois certains de ses contemporains. Puisse Mozart, dont l'influence posthume sur la création musicale reste encore d'actualité, continuer à être contagieux en ce sens car, peu importe nos champs d'activité, n'est-ce pas justement cette soif de découvertes, cette ouverture vers l'étranger et l'inconnu, en un mot n'est-ce pas cette audace créatrice et cette sortie des habitudes, qui contribuent à rendre l'être humain meilleur, plus ouvert donc plus libre, sinon plus vivant ?

En tout cas, je vous souhaite ardemment l'occasion de vous faire un beau cadeau à vous-mêmes en prenant à votre tour le temps d'entendre cette oeuvre. L'écoute, par exemple, des étonnantes harmonies provoquées par de Courson entre ces sublimes chants égyptiens traditionnels et les tout aussi sublimes oeuvres mozartiennes que sont l'Ouverture de L'enlèvement au sérail, le concerto pour piano # 23, le double quartet en F, la 40e symphonie, le premier mouvement du Requiem, la Messe en Si Mineur et j'en passe, cette écoute donc, est propre à nous faire ressentir combien les êtres humains, en se donnant les uns aux autres le meilleur d'eux-mêmes, peuvent se révéler capables d'élévation, de beauté, et aussi d'ouverture vers ce qui est la source de la véritable grandeur d'âme.

Chacun de nous vaut bien plus et bien mieux que ces frontières trop étroites dans lesquelles la haine, les replis identitaires, la crainte et le refus de l'Autre tentent trop souvent de nous restreindre. Et cette valeur supérieure que chacun de nous porte en lui-même, on peut en quelque sorte en sentir la présence dans ce mélange des cultures et ce pont entre les musiques qu'Hugues de Courson, Ahmed El Maghraby et Nasredine Dalil auront su nous donner avec autant de génie que de sensibilité.

samedi, avril 28, 2007

L'Imam Falardeau
sera pas content...


Ce soir, j'ai eu le plaisir de recevoir à souper mon ami et collègue blogueur hérétique Yves, de Commentaires iconoclastes, qui nous vient de loin dans l'Est du Québec et qui était de passage à Montréal. C'était notre toute première rencontre, et nous nous sommes bien bidonnés à nous raconter les anecdotes désopilantes de nos aventures respectives avec nos séparateux enragés favoris.

Vous auriez dû entendre Yves me raconter ses bien téméraires incursions dans le forum du journal intégriste Le Québécois, c'était à s'en tordre de rire !

Pour faire une histoire courte : notre ami Yves se trouvait alors à personnifier l'agneau qui se retrouve en plein milieu d'une meute de loups enragés. Et figurez-vous aussi qu'aussitôt après avoir été déchiqueté à grandes et féroces mordées par les loups, ce qui restait de la carcasse de notre "agneau" s'est vite vu imposer le bannissement perpétuel de ce forum très "ouvert" et "tolérant", et cela par nul autre que le Dr. Patrick Bourgeoys, le Suprême Gardien de la Porte du Temple.

Parlant d'agneau, justement, j'avais décidé de préparer pour le souper une recette que j'affectionne particulièrement, et qui se nomme Agneau aux oignons blancs (voir image ci-dessus, tirée de Saveurs d'Algérie, de Fadéla Benabadji, éditions EDL). C'est que, compte tenu des propos complètement débiles et remplis de xénophobie maladive qu'a déjà tenus à l'encontre du cosmopolitisme culinaire le Guide Spirituel de l'aile intégriste du mouvement nationaliste et indépendantiste québécois, qui, bien sûr, n'est nul autre que Sa Splendeur l'Imam Pierre Falardeau, je me suis persuadé que je ne pouvais pas manquer de souligner la visite de Yves en préparant à son intention un plat de cette cuisine étrangère qui répugne si horriblement aux papilles gustatives de notre Imam national.

Donc, au lieu de ce « ragoût de pattes de nos mères » farouchement défendu par l'Imam Falardeau qui dénonce impitoyablement les méprisables «suceux de sushis» qui, selon lui, «crachent» dessus, j'ai donc décidé à mon tour de souscrire effrontément à ce qui, selon la Parole Sacrée de l'Imam, n'est que cette répugnante «idéologie à la mode, qui sert de pensée à tous les consommateurs d’exotisme culturel de surface».

Oui mes amis, vous avez bien lu (les citations de l'Imam sont exactes et elles ne sont en rien tirées de leur contexte) : selon la Science si Sublime de ce Grand Esprit qu'est l'Imam Falardeau, aimer la cuisine étrangère et manger de temps en temps autre chose que de la tourtière ou du ragout de pattes de cochon ne relèverait ni plus ni moins que d'une idéologie pernicieuse qui ne contribuerait qu'à souiller la Pureté de notre Grande Nation.

Vous aimez donc bouffer parfois de la cuisine vietnamienne, thaï, mexicaine, maghrébine, etc. Mais sachez donc, bande d'inconscients, que, ce faisant, ce n'est pas simplement votre appétit que vous vous trouvez à assouvir. Non, mes amis, réveillez-vous !!! Rendez-vous enfin compte que vous vous faites ainsi les ignobles complices d'une idéologie perverse qui détruit notre Âme Nationale tout en vous éloignant de ce Culte des Ancêtres dont la seule évocation fait se ramollir les jambes de notre Imam national. Comprenez aussi, gang de félons, qu'en vous adonnant à cette cuisine étrangère, vous commettez un abject crime de trahison nationale...

Devant un pareil sommet de bêtise, il faut dire que si le ridicule tuait, ça ferait longtemps qu'on aurait assisté aux funérailles de l'Imam Falardeau, car il est vrai que plus con que ça, tu meurs. Mais ces propos complètement débiles et xénophobes, l'Imam Falardeau les a bel et bien dits, pourtant, et publiquement par-dessus le marché. Après ça, on trouve encore des gens au Québec qui se croient sains d'esprit mais qui admirent quand même un personnage aussi réactionnaire et capable d'un crétinisme de si haute voltige, ou qui le trouvent encore "respectable". Trouvez l'erreur... parce que moi, ça fait déjà longtemps que j'ai lancé la serviette devant l'épaisseur d'un tel mystère...

J'ai donc, sans gêne aucune, rejoint moi aussi les rangs de ceux qui, toujours selon la Sainte Parole de l'Imam Falardeau, «se prennent pour le bout d’la marde, la crème de l’humanité, parce qu’ils mangent des sushis, des souvlakis ou de la panse de brebis farcie».

En fait, j'en suis d'autant plus fier après qu'une visiteuse de ce blogue m'ait rappelé, dans un commentaire laissé la semaine dernière, qu'il y a quelques années, l'Imam Falardeau s'en était pris au chroniqueur d'origine maghrébine Bernard Boulad, qui avait osé -- Ô l'infâme insolent! -- critiquer l'une de ses "oeuvres" si "géniales", du moins aux yeux de l'Imam lui-même. Et l'argument-massue de l'Imam Falardeau donnait en substance ceci : «C'est quoi, calisse, ton ostie d' problème, Boulad ? T'as pas digéré tes merguez ?».

C'est qu'il est vrai que l'Imam Falardeau a l'épiderme très sensible devant la moindre critique à l'égard de ce qu'il croit dur comme fer être son propre "génie". Mais quand la critique vient par surcroît d'un "étranger-qui-est-même-pas-né-icitte", l'Imam en perd vite les pédales et sa véritable nature se révèle alors dans ses plus beaux atours : se mettent alors à éructer de ses Lèvres Augustes de nauséabonds torrents d'insultes à caractère soit haineux, ou soit raciste comme lorsqu'il visait Bernard Boulad...

Toutefois, pour ce qui me concerne, ça me donne surtout le goût d'aimer les merguez encore plus qu'avant...

Donc, notre ami Yves et moi nous sommes régalés ce soir de ce savoureux mets algérien qu'est l'Agneau aux oignons blancs. Faut que j'avoue que j'en avais déjà fait à ma blonde, il y a quelques semaines, et son enthousiasme n'a pu que m'encourager à récidiver. Cette fois-ci, c'est donc Yves qui en a profité, le tout arrosé d'un excellent vin que ce connaisseur trop humble a judicieusement choisi.

Pour le cas où vous, cher lecteur ou lectrice, voudriez à votre tour vous adonner à cet affreux cosmopolitisme culinaire, donc joindre vous aussi les rangs de ces infidèles qui, en toute insolence, «se prennent pour le bout d’la marde, la crème de l’humanité» parce que vous osez, perfide graine de traître que vous êtes, manger parfois autre chose que la cuisine bien grasse de nos Glorieux Ancêtres, j'ai songé à vous partager la recette de ce plat algérien exquis qu'est l'Agneau aux oignons blancs. (Au fait, histoire de faire suer encore plus l'Imam Falardeau et ses adeptes dans leur dégoût pour tout ce qui est étranger, ça se dit ainsi en langue berbère : «Ilham bel bsal oua tomatech»). Et vous verrez, ça se prépare très facilement, un vrai charme, en fait...

Vous m'en donnerez des nouvelles... Bon appétit !

P.S. : Malgré les prétentions de l'Imam Falardeau, ne vous inquiétez pas trop : vous parlerez encore français après en avoir mangé, et votre identité québécoise n'en sera amoindrie d'aucune façon...


AGNEAU AUX OIGNONS BLANCS

Temps de préparation : 25 min.
Temps de cuisson : 1 h 20

Ingrédients :

500 g de côtelettes de longe d'agneau
500 g d'oignons
3 tomates
1/2 boîte de pois chiches
1/2 cuillerée à café de poivre noir
1 cuillerée à café de cannelle
1 cuillerée à café de paprika
2 cuillerées à soupe d'huile d'olive
sel/poivre

Déposer les côtelettes d'agneau dans une marmite avec la cannelle, le poivre noir et l'huile. Faites revenir puis couvrir d'eau en ajoutant le paprika et les pois chiches. Chauffer à feu moyen-doux.

Hacher grossièrement l'oignon. Couper les tomates en cubes de 3 cm. À mi-cuisson de la viande (donc après 40 minutes), ajouter l'oignon et les tomates dans la marmite et poursuivre la cuisson. Laisser mijoter pour réduire un peu la sauce.

Déposer sur un lit de couscous dans l'assiette. Déguster.

Astuce : les haricots verts frais conviennent également à cette recette à la place des oignons.