dimanche, mai 27, 2007



De la cruauté religieuse

Dimanche soir dernier, j'ai capté sur la chaîne franco-ontarienne (TFO) le premier de trois épisodes d'une série documentaire intitulée L'Inquisition révélée. Le deuxième épisode sera diffusé aujourdhui dimanche le 27 mai à à 23 h, suivi du troisième mercredi le 30 mai (à 21 h, en reprise jeudi à 13 h et dimanche à 14 h et à 23 h).

L'intérêt particulier de cette série est qu'elle est basée sur les archives de l'Inquisition catholique elle-même, suite à leur ouverture finalement autorisée par le Vatican ces dernières années. D'après les propos du prélat responsable, en ouvrant ces archives aux chercheurs, le Vatican aurait voulu faire cesser les «exagérations» répandues depuis longtemps sur les horreurs perpétrées par la Sainte Inquisition.

Si le but était ainsi d'atténuer la portée des faits historiques quant à l'atrocité institutionnelle de l'Inquisition, on peut dire que c'est raté, et de beaucoup. En fait, on ne risque guère de se tromper en affirmant que ces archives révèlent encore plus l'atrocité et la cruauté de cette institution effroyable, car elles dévoilent sans aucun fard, et cela à partir de leurs propres notes, la pensée même des inquisiteurs, qui était fortement teintée à la fois d'un fanatisme encore plus troublant que tout ce qu'on pouvait imaginer, ainsi que d'une insensibilité des plus atroce à l'égard des victimes qu'ils tourmentaient.

Mais bon, dans un certain sens on pouvait s'y attendre, compte tenu des faits qui sont assez connus et constamment ressassés depuis des siècles, avec notamment les affaires Giordani Bruno et Galilée, sans mentionner les bûchers, tortures et exactions innommables infligés par les responsables de l'Inquisition.

Ce qui toutefois m'a complètement renversé durant le premier épisode, c'était d'entendre le pape actuel, Joseph Ratzinger, qui, au moment du tournage était encore à la tête de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi (laquelle a pour ancêtre la Sainte Inquisition, justement) affirmer en toute candeur que ces inquisiteurs tortionnaires étaient réellement animés d'une authentique foi en l'Évangile de Jésus-Christ, pour ensuite déplorer le «contexte historique» qui les aurait amenés à commettre des atrocités aussi nombreuses que diverses.

Ces propos de Ratzinger m'ont renversé, et je n'en reviens pas encore. J'ai beau ne partager en rien ses croyances dogmatiques, je reconnais tout de même que cet homme, étant l'un des plus importants théologiens du catholicisme contemporain et qui, par dessus tout, est maintenant devenu pape, n'est pas dépourvu d'un intellect assez brillant, ce à quoi son conservatisme forcené n'enlève d'ailleurs rien.

Mais là, c'était vraiment sidérant de constater que Ratzinger ne semblait pas se rendre compte du fait que cette même «foi authentique» dont il soulignait la ferveur chez ces sinistres personnages est précisément à la source de ce fanatisme qui suscite des «contextes historiques» barbares et inhumains, et cela particulièrement lorsque la religion et le pouvoir sont associés. Car dès l'instant où une religion quelconque exerce le pouvoir sur une société donnée, la liberté de conscience devient vite niée et combattue, et quiconque osant exprimer la moindre pensée dissidente, ou dont le comportement n'apparaît pas conforme aux règles et dogmes édictés par les gardiens de l'orthodoxie religieuse régnante, se voit impitoyablement pourfendu, souvent jusqu'à l'élimination physique. Le fait qu'un homme aussi intelligent que Ratzinger ne semble pas se rendre à cette évidence, qui fut et qui demeure amplement attestée par l'histoire passée et présente, dépasse tout simplement l'entendement.

En relevant ce fait quant à l'Inquisition et à son interprétation lénifiante par le pape actuel, je ne veux pas accabler uniquement les seuls catholiques. Toutes les religions, dès qu'elles se retrouvent en position de dominer une société ou une nation, ont toujours et font encore montre d'une propension très nette à abuser de leur pouvoir pour persécuter ceux que leurs dirigeants considèrent comme «infidèles» et «hérétiques». Le fait que certaines religions auraient elles-mêmes été persécutées à une certaine période de leur histoire n'y change rien, bien au contraire. Le christianisme par exemple, dont les tenants aiment bien rappeler les persécutions subies par ses adeptes à l'époque de son émergence, ne s'est révélé que plus persécuteur et plus barbare encore que ses anciens pourfendeurs dès qu'il fut institué en tant que religion d'État par l'empereur romain Constantin.

S'ensuivirent dès lors des siècles de massacres, de tortures et d'atrocités qui noyèrent des dizaines de millions d'êtres humains dans le sang, tout cela au nom du Très Saint Évangile et des dogmes, tout aussi absurdes et insensés les uns que les autres, que les dirigeants de l'Église ont sans cesse ajoutés à la doctrine chrétienne. Cette inhumanité a d'abord été le fait de l'Église catholique, mais ensuite, ce furent les protestants qui, auparavant persécutés, se mirent à persécuter les catholiques, et même d'autres protestants dont les croyances n'entraient pas exactement dans les canons des fondateurs de la Réforme protestante. Martin Luther et Jean Calvin (cette «âme atroce», selon le mot si juste de Voltaire), entre autres fondateurs du protestantisme, n'ont pas manqué de se révéler aussi pires dans leur cruauté et dans leur perfidie que les inquisiteurs catholiques auxquels ils avaient échappés avant de se retrouver à leur tour en position dominante.

Le fanatisme chrétien fait encore ses ravages à notre époque, même si son influence se fait moins directe que jadis. Il n'y a qu'à songer, entre autres, à l'alliance de l'Église catholique avec les impitoyables dictatures militaires de l'Amérique latine des années 1970 et 1980, ou encore à l'hécatombe du Sida qui, dans des pays d'Afrique et d'Asie où l'Église a encore assez de pouvoir pour imposer sa superstition aux peuples concernés, est nourrie par la criminelle condamnation de l'usage du préservatif par le Vatican.

Une autre image me vient à l'esprit au moment d'écrire ces lignes. Durant la campagne des élections présidentielles américainces, en 2000, George W. Bush était, on s'en souvient, gouverneur de l'État du Texas. À ce titre, Bush avait procédé à une augmentation fulgurante du nombre des mises à mort de détenus condamnés à la peine capitale dans son État (rien que durant ses six années en tant que gouverneur du Texas, Bush avait signé pas moins de 156 décrets de mise à mort).

Ayant toujours été viscéralement opposé à la peine de mort, je suivais de près ce qui se passait alors au Texas. Cette année-là, Gary Graham, qui avait été condamné à mort suite à un procès injuste et grâce à des preuves très douteuses, avait quand même été mis à mort par les autorités texanes, et cela malgré ses protestations d'innocence et aussi l'opposition de nombreuses organisations de défense des droits humains de partout dans le monde.

Je suivais donc en direct les événements, espérant jusqu'à la toute dernière minute que Bush allait au moins accorder un sursis au condamné, compte tenu des doutes sérieux qui planaient quant à sa culpabilité. Mais ce n'est pas arrivé, Bush s'étant révélé incapable de faire preuve du minimum d'humanité que les circonstances, et aussi la décence la plus élémentaire, appelaient pourtant à grands cris.

George W. Bush, c'est très connu, se revendique haut et fort d'une fervente foi chrétienne. Mais ce soir-là, j'ai pu constater jusqu'à quel degré d'insensibilité la superstition religieuse peut amener un individu, et cela jusqu'à lui permettre de justifier ce que l'humanité et la raison considèrent à juste titre injustifiable. Au cours d'un bref point de presse tenu dans les minutes ayant suivi la mise à mort de Gary Graham, Bush, en plus d'affirmer avec toute l'arrogance qui lui est coutumière sa satisfaction que «justice ait été faite», avait d'une voix fervente conclu son propos d'un : «God Bless Mr. Graham». Ces quelques mots m'ont alors littéralement glacé le sang. Je venais donc d'entendre Bush appeler son «Dieu» à «bénir» celui-là même qu'il venait tout juste de faire mettre à mort, et par surcroît un homme dont l'innocence était plus que probable !

À mes yeux, ce fut là une autre démonstration, cinglante je dois dire, qui atteste du fait qu'une croyance religieuse peut parfois servir à conforter la conscience malade d'un homme ayant sur lui la responsabilité d'avoir fait couler du sang humain. En d'autres termes, ce que Bush venait de signifier, c'est qu'il ne doutait pas que, peu importe les doutes quant à la culpabilité du condamné, son «Dieu miséricordieux» allait «accueillir» ce dernier dans l'«au-delà». Donc, la miséricorde «divine» était là pour servir à dispenser Bush de son propre devoir d'humanité et de raison. Et tant pis si une vie humaine, probablement innocente, venait d'être cruellement fauchée.

C'est ce jour-là que j'ai compris à quel point un homme capable de faire preuve d'une superstition aussi bête et inhumaine pouvait se révéler dangereux pour l'humanité s'il accédait au pouvoir suprême. Sa présidence n'a depuis que trop confirmé cette appréhension, et cela à plus d'un titre.

Et pas plus tard qu'au cours de la dernière semaine, je constatais que la cruauté religieuse continue d'étendre ses ravages sur notre planète. En Iran, une jeune fille d'à peine 16 ans a récemment été pendue par des mollahs impitoyables, pour cause d'«adultère». L'été passé, toujours en Iran, c'était deux garçons d'âge mineur qui étaient pendus pour homosexualité. Et on apprenait, encore tout récemment, que deux jeunes canado-palestiniens de 16 et 21 ans, qui vivaient ici-même à Montréal il n'y a encore pas si longtemps, risquent la décapitation en cette «Terre Sainte» de l'Islam qu'est l'Arabie saoudite, un pays où la vie humaine ne vaut pas cher aux yeux des dirigeants de cette théocratie fanatisée à l'extrême, et où le système judiciaire n'est plus souvent qu'autrement qu'une vulgaire et sinistre parodie.

Donc, la cruauté religieuse reste un phénomène d'actualité, et qui n'est pas en voie de se résorber. Il est impossible de rester froid ou indifférent à la lumière de tels faits, parce que ce qu'ils signifient concrètement, c'est que, aujourd'hui même, des êtres humains qui, comme nous, n'ont qu'une seule vie à vivre, subissent l'opression religieuse sur une base quotidienne, et cela jusqu'à l'assassinat pur et simple. C'est toute notre humanité qui demeure ainsi brimée et blessée par la cruelle imposition de dogmes fondés sur des croyances essentiellement irrationnelles et superstitieuses qui n'ont rien strictement à voir avec la réalité ni de la nature, ni de l'être humain.

Même s'il dépasse l'entendement de constater que des êtres humains se complaisent toujours à faire souffrir et à tuer leurs semblables au nom des rêveries et des spéculations oiseuses de «prophètes» (qui, il faut le souligner, se sont toujours autoproclamés comme tels) ou de leaders religieux avides de pouvoir et dont ils suivent aveuglément les préceptes barbares, nous sommes quand même tenus de nous efforcer de comprendre les racines d'un pareil phénomène. Faute de quoi, ce serait baisser les bras devant la bêtise et la déraison religieuses, et se contenter d'être les témoins impuissants des cortèges de cruauté qu'elles ne cessent de provoquer.

Un livre, nouvellement arrivé chez nous, peut s'avérer très utile et éclairant à ceux et celles qui veulent bien assumer ce nécessaire effort de compréhension. Il s'agit en fait d'un volume qui contient deux ouvrages publiés au 18e siècle, et ce qui surprend d'abord en le parcourant, c'est qu'on a la triste impression que, depuis ce temps, rien n'a vraiment changé, et que nous en sommes toujours au règne de la superstition la plus abjecte. En fait, c'est en lisant ce livre que me sont venus spontanément à l'esprit certains des faits récents que j'ai évoqués ci-dessus.

Le premier de ces deux ouvrages, Recherches sur l'origine du despotisme oriental, fut signé par un certain Nicolas-Antoine Boulanger. Mais il s'agit vraisemblablement d'un pseudonyme, car à l'époque les écrits du genre valaient encore les pires persécutions religieuses à leurs auteurs (d'ailleurs, l'Église ne manqua pas de mettre ce livre à son Index). Il est aussi à noter que ce texte est, en cette année 2007 et grâce aux éditions Coda, publié pour la première fois depuis... 1794.

Donc, quel qu'en soit l'auteur, ce texte procède à une analyse richement informée, notamment sur les plans culturel et historique, de l'émergence du phénomène religieux en tant que tel dans l'histoire de l'humanité. Ce faisant, il nous permet de comprendre comment le despotisme s'est de plus en plus conjugué avec la religion, et cela dans toutes les civilisations connues à l'époque de sa rédaction. Le moins qu'on puisse dire devant les faits dont nous sommes toujours les témoins en ce début de 21e siècle, c'est que cet ouvrage apporte un éclairage qui reste éminemment pertinent quant à l'association toujours perceptible entre la religion et le pouvoir, de même que pour saisir les causes du phénomène de ces dirigeants religieux qui sont la plupart assoiffés de domination sur les consciences.

L'auteur du deuxième ouvrage publié dans ce même volume, et dont le titre est De la cruauté religieuse, est connu avec plus de certitude : il s'agit de d'Holbach, à qui les libres penseurs et les humanistes des générations suivantes doivent énormément, et cela jusqu'à nos jours, compte tenu de son audace et de sa rigueur intellectuelles, de même que de l'étendue de son action. Remontant lui aussi jusqu'à l'époque primitive, d'Holbach procède à un parcours des diverses époques de l'histoire humaine, afin de mieux nous éclairer sur les mécanismes mentaux qui, si souvent, font que la foi religieuse devient synonyme non seulement de fanatisme, mais aussi de la plus impitoyable cruauté. Son analyse à lui aussi reste de nos jours d'une actualité déconcertante.

En somme, il s'agit d'un livre qui nous permet de mieux comprendre le phénomène de la cruauté religieuse, et aussi le fanatisme qui lui sert de justification. On peut en tirer bien des leçons, car l'exposition de tels faits historiques n'a pas été sans me faire songer à tous les fanatismes, qui n'ont pas été que religieux au cours des époques ayant suivi celle où ces deux ouvrages furent publiés pour la première fois. En effet, on a malheureusement trop souvent vu dans bien des contrées la domination religieuse n'être que simplement remplacée par une domination tout aussi perverse et impitoyable, celle-là idéologique, avec son lot similaire de fanatiques et de barbares tous persuadés de détenir la «Vérité» absolue sur toute chose. Le communisme, le fascisme, n'en sont que quelques exemples parmi d'autres.

L'une de ces principales leçons à tirer de tout cela se retrouve d'ailleurs en conclusion de l'ouvrage de d'Holbach, lorsqu'il affirme la nécessité de maintenir les religions hors de tout pouvoir sur la société. Aujourd'hui, on peut donc soutenir la même chose concernant les idéologies, et particulièrement leurs tenants qui désignent constamment des «traîtres» ou des «infìdèles» à quelque «Cause» que ce soit. Ces «traîtres» et ces «infidèles», ce sont d'abord et avant tout ceux et celles qui tiennent à préserver leur liberté de pensée et de parole, sans jamais s'agenouiller devant quiconque prétend détenir le monopole de la «Vérité» ou de ce que devrait être le «bonheur collectif». On en a en effet vu bien souvent, au cours de l'histoire encore récente, des «libérateurs» autoproclamés se révéler, une fois au pouvoir, comme étant les pires bourreaux de ceux qu'ils prétendaient vouloir «libérer».

Toute idéologie ou croyance qui dénie ainsi la liberté nécessaire à l'individualité humaine, ou qui encore contient dans son discours la moindre tendance à pointer du doigt de prétendus «ennemis» à quelque «Vraie Foi» ou «Cause» que ce soit, devrait donc susciter quelque méfiance dans l'esprit de ceux et celles qui tiennent à garder leur liberté de penser, donc leur liberté tout court. Il nous faut donc porter attention à la violence de certains discours, qu'ils soient idéologiques ou religieux, et jamais ne nous montrer complaisant en quoi que ce soit à l'égard de ceux qui les tiennent car, comme l'histoire l'a démontré à maintes reprises, c'est toujours par la violence verbale, y compris par les dénonciations de «traîtres» et d'«infidèles» à des «Causes» qui se prétendent toutes aussi «Sacrées» les unes que les autres, que l'oppression totalitaire se dévoile à ses débuts.

En tout cas, c'est à ce genre de réflexion que la lecture de ce livre amène le lecteur, et ne serait-ce que pour cette raison, elle peut s'avérer des plus utiles, notamment pour aiguiser une lucidité qui nous sera toujours nécessaire pour prévenir les horreurs de la domination de la bêtise, qu'elle soit religieuse ou idéologique.

jeudi, mai 24, 2007

Pour que notre société reste un espace de liberté...
et de dignité aussi


Ceux et celles qui veulent comprendre ce qui est en cause concernant les demandes d'accommodements religieux (lesquels sont bien mal nommés «accommodements raisonnables»), ou encore les autres qui se préoccupent du haut degré de confusion qui s'est emparé de ce débat, se réjouiront fort de la sortie récente du livre de Yolande Geadah, Accommodements raisonnables : Droit à la différence et non différence des droits (éditions VLB).

Dans cet ouvrage remarquable pour sa concision (il ne fait pas cent pages) et dont l'écriture est claire et accessible, Mme Geadah réussit avec brio à cerner adéquatement l'enjeu, tout en mettant de l'avant une approche qui se révèle équilibrée et - dans son cas à elle on peut le dire - raisonnable. Ce faisant, elle permet aussi de nous sortir de la confusion ambiante en clarifiant les termes du débat. C'est que Mme Geadah affirme clairement son opposition à toute montée potentielle de xénophobie et de racisme à l'égard des personnes musulmanes, tout en insistant sur la nécessité de démasquer les intégrismes religieux, l'enjeu principal étant de protéger, voire de consolider les valeurs démocratiques, sociales et culturelles qui font du Québec ce qu'il est censé être: une société libre, ouverte et tolérante, et qui doit se donner les moyens de le rester, sinon de le devenir encore plus.

D'entrée de jeu, l'auteure procède donc à la très nécessaire clarification des termes du débat : "Sur le plan juridique, le concept (d'accommodement) implique qu'il y a obligation de la part de l'employeur ou d'une institution, quand des normes ou des pratiques ont sur un individu un impact discriminatoire fondé sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques." À quoi elle ajoute pertinemment que si on ajoute le terme «raisonnable» au concept d'accommodement, "il peut difficilement s'appliquer à des croyances religieuses qui font appel au dogme de la foi et non à la raison". C'est d'ailleurs pourquoi il me paraît que le terme employé par le Mouvement Laïque Québécois, «Accommodements religieux», est pas mal plus adéquat pour rendre compte exactement de ce qui est présentement en jeu. Précisons en passant que si les médias et les politiciens faisaient preuve d'un peu plus de rigueur, c'est ce terme qu'ils devraient employer eux aussi, car présentement chez nous, nous assistons bel et bien à des tentatives d'imposer à notre société des normes propres à certaines croyances religieuses dogmatiques, et dont les valeurs s'opposent de plein fouet aux libertés fondamentales pour lesquelles des générations de libres penseurs ont dû lutter.

Mme Geadah nous incite aussi à prendre conscience du fait que, derrière les demandes d'accommodements religieux, c'est l'intégrisme religieux qui tente de s'imposer à la société. Son propos est à cet égard on ne peut plus clair : "l'intégrisme cherche à manipuler la religion à des fins politiques, s'attaquant au pouvoir séculier et réclamant toujours plus d'espace social, juridique et politique." Ce fait devrait nous inciter à une plus grande lucidité, en particulier en ce qui concerne non seulement les droits et l'égalité des femmes, mais aussi les fondements mêmes de notre société démocratique et pluraliste: "La montée des intégrismes religieux menace non seulement les femmes, mais l'ensemble de la société. En cherchant à imposer ses valeurs dans l'espace public, l'intégrisme menace la liberté d'expression, au nom du respect des religions. En témoignent les menaces, les procès et les attaques, parfois meurtrières, tant en Occident que dans le monde musulman, menés par les mouvements intégristes contre des politiciens, des juges et des intellectuels (cinéastes, écrivains et autres) qui osent critiquer ouvertement les interprétations religieuses intégristes."

Devant quoi l'auteure critique, avec raison, l'approche strictement juridique qui, jusqu'ici, règne chez nous par rapport aux demandes intégristes d'accommodements religieux. En fait, en pliant devant les demandes intégristes qui se font de plus en plus fréquentes, nos tribunaux sont en train de présider actuellement à la fragilisation de nos libertés fondamentales et de notre démocratie elle-même. Il est plus que temps que la société se fasse entendre là-dessus, afin que les tribunaux en arrivent à faire preuve de plus de raison que ce qu'ils ont démontré jusqu'ici dans leurs jugements. Comme le souligne Mme Geadah, "l'approche juridique occidentale qui conçoit la liberté religieuse sous l'angle du choix individuel ne permet pas de tenir compte de cette réalité sociologique plus vaste, où des individus et des groupes organisés se réclament de la démocratie pour tenter de s'arroger un pouvoir abusif, niant ainsi les libertés fondamentales."

De lucidité, Yolande Geadah en fait preuve aussi lorsqu'elle appelle à éviter le double piège du racisme et du relativisme culturel. Ne serait-ce que pour cela, son livre devrait être mis dans les mains de toute personne qui s'oppose autant au racisme qu'à l'obscurantisme religieux. Car comme le dit si bien l'auteure, il est plus que temps que l'on se rende compte de la nécessité de "cesser de voir du racisme dans toute critique des accommodements, comme de cesser de croire que la seule façon de lutter contre les préjugés est d'appuyer toutes les revendications religieuses, y compris celles qui sont issues des interprétations les plus rigides de la religion. Les pratiques restrictives et discriminatoires à l'égard des femmes, perpétrées au nom des valeurs religieuses ou culturelles, contribuent à nourrir les préjugés à l'endroit des minorités. Par conséquent, on ne peut lutter efficacement contre le racisme sans remettre en question ces pratiques. (...) Il faut dégager l'espace de liberté nécessaire pour lutter à deux niveaux, contre les préjugés et le racisme, d'une part, et contre les interprétations misogynes ou trop rigides des religions, d'autre part."

En plus d'un très éclairant chapitre sur les défis posés par la mise en oeuvre de la laïcité dans des pays aussi différents que la France, les États-Unis et la Turquie, en plus d'un autre consacré à une critique très pertinente et juste de l'approche strictement juridique qui prévaut chez nous, Yolande Geadah rappelle certains faits essentiels quant à certains symboles religieux, dont selon elle (et en cela je l'approuve entièrement) nous ne devons surtout pas perdre de vue le sens.

Cette nécessité m'a amené à une réflexion personnelle sur certains de ces symboles. Le hijab par exemple, qui suscite chez nous bien des vagues suite aux pressions de groupes intégristes, est un symbole de soumission des femmes aux hommes. Ce qu'il signifie essentiellement, c'est que le corps de la femme serait source d'«impureté», donc à cacher jusqu'à sa chevelure. D'une telle logique, faudrait-il alors déduire que le corps des hommes, n'ayant pas à être voilé, n'inspirerait quant à lui que la «pureté» la plus immaculée ? Voilà à quel genre de réflexion peut mener une absurdité misogyne et dominatrice quand on l'érige en dogme auquel, dans ce cas-ci, seules les femmes doivent se soumettre. En plus de son immoralité inhérente, cette abjecte misogynie ne devrait que révolter la conscience humaine, car elle porte outrage non seulement à la dignité de la femme, mais aussi à celle de l'homme lui-même, que des intégristes obsédés réduisent à l'état d'un ignoble prédateur incapable de maîtriser les pulsions charnelles qui, selon eux, s'empareraient de lui dès que son regard se pose sur une chevelure féminine. N'en déplaise aux intégristes de tout poil, l'homme est capable de beaucoup plus de décence et de dignité que ce que laisse entendre leur idéologie qui rabaisse l'être humain à l'état animal.

En ce sens, il est bon de nous rappeler que l'idéologie qui accompagne le hijab est à combattre, et qu'on ne devrait surtout pas se gêner pour la dénoncer. Même chose pour le fameux kirpan, dont la Cour Suprême a bêtement autorisé le port à l'école : ce couteau symbolise le devoir de se faire justice à soi-même si la religion est «attaquée». Est-ce bien là le genre de valeurs que nous voulons voir prospérer dans notre société ? La question se pose, en tout cas, et il faut souhaiter que les tribunaux parviennent enfin à quelque bon sens à ce sujet.

D'ailleurs, l'auteure appelle, avec raison encore une fois, à "affirmer le principe selon lequel le discours religieux et l'éducation religieuse doivent respecter les droits inscrits dans les chartes. Ainsi, ils ne doivent pas nier l'égalité des sexes, ni porter atteinte à la dignité des femmes, ni encore inciter à la coercition dans l'imposition des valeurs morales. Cette règle doit s'appliquer à tous également, indépendamment de l'appartenance ethnique. Dans un système de droit, le discours et les pratiques religieuses ne peuvent pas avoir préséance sur les lois et les chartes. Toutes les religions seraient ainsi libres et respectées, mais devraient en contrepartie délaisser toute idéologie axée sur la domination mâle et sur la hiérarchie des groupes ethniques et religieux."

Ces propos de Yolande Geadah indiquent combien elle a su se faire la voix du bon sens et de la raison. C'est pourquoi on peut souhaiter que, suite à la désolante confusion qui s'est emparée de tout le débat sur les demandes d'accommodements religieux, son livre soit largement lu, réfléchi et débattu. En fait, par sa clarté et sa concision même, ce livre représente un outil essentiel à chaque citoyen et chaque citoyenne qui veut s'engager pour que notre société préserve l'espace de liberté et de dignité qu'elle s'est donné non sans avoir dû mener des luttes très difficiles au cours de son histoire, et cela souvent au prix de sacrifices importants pour ceux et celles qui ont eu le courage de les mener.

On ne doit jamais rien prendre pour acquis, surtout en matière de libertés, même fondamentales. Il appartient donc à chacune et chacun d'entre nous d'agir en conséquence. D'ailleurs, il y a plus de deux siècles, Johann G. Fichte nous avait légué ce message qui, de nos jours, est encore bien loin d'avoir perdu de son actualité :

«Si vos ancêtres avaient été aussi lâches que vous, vous seriez demeurés dans la servitude la plus honteuse qui puisse peser sur l'esprit et le corps: vous seriez toujours les esclaves d'un despote spirituel. Ils ont arraché par de durs combats ce qu'un peu de fermeté de votre part suffirait à conserver.» (J.G. Fichte, De la liberté de penser)

jeudi, mai 10, 2007

Exprimez-vous !


Par Daniel Laprès. Article publié dans le cadre de la rubrique D'un Canada à l'autre, journal La Presse, Montréal, le dimanche 13 mai 2007, p. A14.

(N.B. : Ce n'est pas moi qui ai choisi le titre tel que publié dans La Presse, car j'aurais mis plutôt « Fédéralistes, déniaisez-vous! » au lieu de « Exprimez-vous »... Mais bon, on ne peut pas tout avoir dans la vie... ;-)


En plus du résultat des dernières élections, la démission d’André Boisclair s’ajoute aux déboires que le mouvement indépendantiste connaît depuis quelque temps. S’il est vrai que ce mouvement se retrouve bel et bien en pleine tourmente, ça ne signifie pas pour autant que tout serait au beau fixe pour les fédéralistes. Croire le contraire, ce serait se préparer à d’éventuels lendemains bien pénibles. Il suffirait d’un simple retournement de conjoncture, et tout pourrait basculer dans l’autre sens, comme on l’avait vu suite à l’échec de l’accord du Lac Meech, en 1990, et aussi il y a deux ans avec le scandale des commandites.

On dirait que les fédéralistes se font encore une fois l’illusion qu’ils pourront gagner par défaut, ce qui les amène à dormir sur la «switch», une attitude qui leur est pas mal trop coutumière. Plusieurs parmi eux se réjouissent des divisions qui agitent le camp indépendantiste ; d’autres pensent qu’avec le succès récent de l’ADQ et les apparents mamours entre Stephen Harper et Mario Dumont, c’en serait fait du PQ, donc de l’idée indépendantiste elle-même ; enfin, il y en a qui aiment se dire entre eux que « les-Québécois-seraient-tannés-d’entendre-parler-de-référendum-et-veulent-passer-à-autre chose ». En un mot, la tendance actuellement en vogue chez les fédéralistes consiste à espérer que le camp adverse fasse tout le travail à leur place. Mais pendant ce temps-là, bien peu est fait pour inciter les Québécois à réellement adhérer à l’idée canadienne, ou encore à s’ouvrir à des idées différentes de la vulgate nationaliste qui tient lieu ici de pensée unique.

Mis à part quelques rares éditorialistes bien téméraires qui avancent certaines idées, ou encore certains auteurs tout aussi rares, comme Éric Montpetit avec son récent livre Le fédéralisme d’ouverture (éditions Septentrion), les fédéralistes sont encore totalement absents du débat d’idées au Québec. Aucun think tank, aucun mouvement ou organisation pour rassembler leurs forces ou débattre entre eux, aucune initiative politique ne sont perceptibles de leur côté. Ne parlons pas de leurs partis politiques, qui restent encore un désolant désert d’idées.

Si vous voulez avoir accès à une réflexion originale et créatrice sur la question nationale, il vous faudra chercher ailleurs que dans les milieux fédéralistes. Quand on fait ce petit effort, on se rend alors compte que c’est dans des cercles libres de toute partisannerie qu’on peut découvrir une pensée réellement critique quant au nationalisme, comme par exemple dans la revue Liberté, dont les deux dernières livraisons témoignent d’une réelle volonté de renouveler, avec un esprit d’une rafraîchissante audace, les termes de ce débat national et identitaire qui est figé depuis trop longtemps. (Voir mes commentaires sur les numéros 275-76 (numéro double) et 274 de la revue Liberté).

Pour ma part, quand je parle de ce genre de périodique ou de certains livres aux gens que je côtoie dans les milieux fédéralistes, je constate généralement qu’à peu près personne n’est au courant. C’est comme si nos bons fédéralistes ne savent pas ce que c’est que d’aller en librairie de temps en temps, ou encore de s’informer de certains débats ou idées qui émergent ou circulent dans notre société. On ne trouve pas non plus de leur côté d’intervention originale quant aux enjeux qui agitent la société québécoise, comme par exemples les accommodements religieux et les menaces qu’ils posent à la laïcité, la situation dans les régions, l’identité et la culture, l’environnement, les affaires internationales, le rôle de la société civile, et j’en passe. Tout cela comme si les fédéralistes trouvaient des vertus à se maintenir déconnectés des préoccupations concrètes d’un très large nombre de Québécois.

Parfois, il y en a qui déplorent «l’absence» du discours fédéraliste dans le débat public. Mais de quel « discours » parlent-ils alors ? Où est-il donc, ce « discours » ? Les fédéralistes ne débattent même pas entre eux, alors comment pourraient-ils produire un discours qui rejoindrait certaines cordes sensibles dans l’esprit des Québécois ? Ce n’est pourtant pas en restant dans une telle léthargie que les fédéralistes renouvelleront leurs idées, ou encore qu’ils pourront améliorer leur conscience de ce que vivent et pensent les Québécois.

S’ils veulent réellement reprendre l’initiative dans le débat, les fédéralistes doivent admettre au plus vite qu’il n’en tient qu’à eux de s’en donner les moyens. Qu’ils brassent leurs méninges un peu mieux et un peu plus qu’ils ne le font présentement, et aussi, qu’ils se donnent les moyens organisationnels requis ─ et financés démocratiquement, donc de leur propre poche ─ pour qu’ils puissent enfin intervenir plus efficacement et, surtout, avec des idées originales et pertinentes qui puissent rejoindre ceux à qui ils doivent s’adresser : les Québécois eux-mêmes. En somme, s’il est vrai que les difficultés présentes du camp indépendantiste leur procure une certaine accalmie, les fédéralistes ont intérêt à en profiter pour travailler et pour se renouveler. À défaut de quoi, ils prennent le risque de s’exposer, encore une fois, à des lendemains qui déchantent.

mardi, mai 08, 2007

Défendre la laïcité,
c'est défendre la liberté

Ce qu'on peut constater dans la foulée de l'affaire des accommodements religieux (qui n'ont en réalité absolument rien de «raisonnables») que l'on vit au Québec, c'est que le débat sur la place de la religion dans une société démocratique et libérale, de même que sur les fondements réels de ces mêmes religions, est complètement mis de côté. Des bien-pensants de toutes sortes occupent le devant de la scène en ressassant constamment la même rengaine : "Il faut", selon eux, "respecter toutes les croyances", comme s'il fallait absolument s'interdire de les critiquer. Je pense que c'est une grave erreur.

Bien sûr, il faut respecter le droit de quiconque à croire à ce qu'il veut, et même à des absurdités et loufoqueries, qui, soit dit en passant, ne sont pas le monopole des sectes ésotériques qui foisonnent un peu partout de nos jours. En effet, les grandes religions monothéistes que le sont christianisme, le judaïsme et l'islam sont toutes trois fondées sur des fables entièrement inventées par des hommes ; même si les recueils de ces fables (la Bible, la Torah et le Coran), sont appelés «Livres Sacrés» par les adeptes de ces religions, tout cela reste ce que c'est dans la réalité : des fables racontant des invraisemblances et des extravagances tout aussi farfelues les unes que les autres.

Mais bon, encore une fois, libre à chacun d'y croire à sa guise, ainsi qu'aux dogmes, tout aussi invraisemblables et absurdes, qui servent également de fondements aux religions. Par exemple, quelqu'un peut bien, dans sa tête, se convaincre mordicus de la véracité absolue du dogme de l'Immaculée-Conception de la «vierge» Marie, ou encore croire dur comme fer que l'Ange Gabriel en personne aurait bel et bien apparu à Mahomet, lequel aurait en prime fait un séjour au Paradis pour rencontrer Abraham, Jésus et Allah pour ensuite revenir sur terre pour répandre son interprétation de la «volonté divine» . De telles fables font partie de croyances qui sont certes complètement irrationnelles, mais qui en même temps ne font pas de mal à personne. À condition toutefois que ces mêmes croyances restent strictement cantonnées dans la sphère du privé.

Parce que là où le bât blesse avec les religions -- en particulier avec les religions monothéistes -- c'est quand elles manifestent leur propension intrinsèque à imposer leurs dogmes à la société humaine. Dans son très éclairant livre Les religions meurtrières (éditions Flammarion), Élie Barnavi permet de mesurer cette réalité que "la religion, toute religion, reste d'abord une affaire de groupe, c'est-à-dire de pouvoir. (...) Toute religion est politique. Qu'est-ce que cela veut dire ? D'abord que, sauf dans nos sociétés dûment sécularisées, il est de l'obligation du groupe de les imposer à l'individu, pour so propre bien comme pour le salut de la communauté, s'il le faut contre sa propre volonté. (...) Toute religion révélée est une religion de combat ; seules les armes changent, et l'ardeur à s'en servir".

"Sauf dans nos sociétés sécularisées", en effet. Barnavi a bien raison de le souligner. Parce que si ce n'était de cette laïcité acquise si durement dans l'histoire des sociétés démocratiques -- de cette laïcité qui, ne l'oublions pas, est la liberté -- il n'y aurait ni tolérance, ni pluralisme, ni respect des droits humains, parce que toute l'existence, sociale comme individuelle, serait dominée par le dogme religieux et ses «interprètes» autoproclamés. Ceci s'est toujours vérifié dans l'histoire, et cela se vérifie encore de nos jours dans certaines parties du monde. Mais pour que ce "sauf" qui concerne nos sociétés sécularisées puisse être préservé, il est clair qu'il nous faudra défendre la laïcité -- donc, je le répète, la liberté -- contre les tendances dominatrices et oppressives des religions. Parce que l'avènement de nos libertés démocratiques proviennent justement des luttes (et aussi des sacrifices, ne l'oublions jamais) des libre-penseurs contre le despotisme et la tyrannie imposées par les pouvoirs religieux. Sans leurs combats pour la laïcité, il n'y aurait pas de libertés dans les sociétés démocratiques occidentales.

Pour y arriver, il faut, plus que jamais de nos jours et même chez nous, affirmer le droit à l'expression libre de la critique des fondements des religions. Par exemple, prendre la liberté de dire ouvertement ce qu'il en est en réalité des «Livres Sacrés». Barnavi le fait d'ailleurs fort bien : "Les textes sacrés étant obscurs, pour en dégager la vérité cachée il faut les interpréter. Ces interprétations, sacralisées à leur tour, s'empilent au cours des siècles pour former un imposant et fort disparate corpus textuel, lui même interprétable à l'infini. (...) Il est aussi stupide d'aller chercher dans le Coran les sourates qui prêchent la guerre sainte pour rendre compte des agissements de Ben Laden que de glaner dans la Bible de quoi expliquer le geste de l'assassin de Rabin. Certes, c'est ce qu'ils font, eux. Mais leurs adversaires, au sein des mêmes religions, trouveront d'autres sourates, d'autres versets, pour justifier un comportement exactement contraire. Les Écritures sont des auberges espagnoles, on y vient avec ce que l'on a et l'on y trouve ce que l'on veut."

Quand on prend conscience de cette réalité concernant les «Livres Sacrés», comment peut-on ensuite vouloir «respecter» les croyances qui s'inspirent d'une lecture fondamentaliste de ces mêmes textes, qui furent écrits par des hommes qui ont prétendu, sans que cela soit jamais vérifiable, porter la soi-disant «parole divine», et que leurs disciples, en bons zélateurs qu'ils sont toujours, s'efforcent d'imposer à l'ensemble de la société ? N'a-t-on pas vu, et ne voit-on pas encore, tellement de calamités et de tragédies provoquées par le genre humain contre lui-même à cause de ces religions fondées sur une conception complètement dévoyée du «sacré» ? Je dis «dévoyée», car ce qui devrait toujours être considéré comme réellement sacré, n'est-ce pas justement l'être humain, sa dignité dont la liberté de conscience est une dimension centrale, de même que la nature concrète ? Tandis que ce qui est «sacré» pour les religions, ce sont leurs fables et leurs dogmes, et selon elles, l'être humain n'a qu'à s'y soumettre aveuglément, de même qu'aux volontés et dictats de leurs interprètes dont la principale passion consiste surtout à exercer leur contrôle absolu sur les consciences et sur la vie des individus et des collectivités.

La lecture du livre de Barnavi le montre bien : parce qu'aux yeux des religions seuls leurs dogmes sont sacrés, les religions méprisent l'être humain, et elles lui dénient son droit à la liberté de conscience. D'où le fait, trop souvent avéré et, malheureusement, encore actuel, que les religions, lorsque leurs préceptes sont appliqués de manière fondamentaliste, se révèlent toujours meurtrières. Elles ont alors une forte propension à tuer les gens dans leurs corps, ou, à tout le moins, dans leurs esprits.

Devant quoi ceux et celles qui sont attachés à la dignité et à la liberté de la personne humaine doivent lutter pour que soit préservée la laïcité. Devant les tentatives d'imposer chez nous l'observation de dogmes religieux jusqu'à prétendre faire plier nos institutions sociales et collectives -- comme le démontrent chez nous les demandes d'accomodements religieux -- la lutte est en effet redevenue nécessaire.

Comme l'écrit Barnavi, cette lutte "passe par la réaffirmation de quelques règles simples, dont l'application ne doit souffrir aucune discussion, aucune compromission, aucune dérogation. Ici, on ne bat pas sa femme, on n'excise pas sa fille, on ne tue pas sa soeur sous prétexte qu'elle a souillé l'honneur de la famille en refusant le mari qu'on voulait lui imposer. Ici, la conscience est autonome et la religion relève du libre choix de l'individu. Ici, on ne tolère aucune manifestation de sectarisme religieux, les prêches haineux sont proscrits, l'incitation à la violence est interdite par la loi. (...) Cette laïcité, sans laquelle il n'est pas de démocratie, il nous faut la défendre becs et ongles, sans nuances ni faiblesse. "

Bien entendu, affirmer de tels principes ne donne pas beaucoup dans le «politically correct». Mais j'ai l'impression que, sous prétexte de «respect des croyances», on est en train de perdre de vue ce sur quoi reposent les fondements de nos libertés, de même que nos valeurs démocratiques. Il y en a aussi certains qui parlent d'un certain "Dialogue des civilisations". Mais, là aussi, Élie Barnavi le montre bien : un tel "dialogue" est impossible : "Entre les sociétés qui respectent la laïcité, donc la liberté, et celles qui ne comprennent même pas ce que cela veut dire, on a inventé le «dialogue des civilisations». C'est un miroir aux alouettes. Car de quoi peut-on bien parler dans ces séances de «dialogue», où l'on fait assaut d'hypocrites amabilités ? Des textes ? Mais les textes, on l'a vu, ne disent que ce qu'on veut bien leur faire dire. C'est donc de cela qu'il faudrait parler ; mais c'est précisément ce dont on ne peut pas parler. (...) La ligne de fracture passe au coeur des systèmes de croyances. (...) Il y a la civilisation et la barbarie, et entre les deux il n'y a point de dialogue possible."

En effet, pour ma part, je me demande bien comment on peut «dialoguer» en toute honnêteté intellectuelle et morale avec, par exemple en ce qui concerne l'islam, les tenants d'une religion qui considère, tel que promulgué par son «livre sacré», que quiconque n'est pas musulman n'est qu'un vulgaire «mécréant». Faute d'admettre ce fait qui est l'un des principes mêmes de la religion islamique, et que les musulmans qui prétendent être désireux de «dialogue» doivent rejeter ouvertement et sans aucune ambiguïté, le «dialogue» en question n'est en effet que pure hypocrisie, et ne peut en bout de ligne aboutir à rien de contret.

Il y a aussi un autre fait important que souligne Barnavi. Et là, je suis bien conscient que je vais commettre une véritable hérésie en regard des convictions fédéralistes qu'on me connaît (je ne suis toutefois pas attaché à aucun dogme, même et surtout pas dans mon propre camp) : le multiculturalisme est un leurre, et un échec patent. Car, comme l'affirme Barnavi à juste titre, " on ne bâtit pas une société digne de ce nom (...) ce qui implique une culture commune, une mesure de mémoire partagée, en enfermant les gens dans leur propre culture et leur propre mémoire. (...) Le multiculturalisme refuse de voir que le corps social ne saurait supporter sans réagir n'importe quelle greffe, à n'importe quelles conditions. Qu'il soit pervers ou sincère, le multiculturalisme conduit au guetto".

Si on se montre le moindrement lucide, n'est-ce pas là ce qui est arrivé au Canada, avec ces replis identitaires et leur interminable lot de revendications, qu'elles soient ethniques ou religieuses, qu'on a nourries à même nos institutions publiques ? Résultat : on en est arrivé à avoir chez nous des communautés qui , sous prétexte de croyances religieuses dogmatiques, ne trouvent aucun intérêt à participer à la mise en oeuvre des valeurs démocratiques et libérales qui sont pourtant le socle de notre société. Pire encore, il y a de ces communautés qui, au nom de leurs croyances, méprisent profondément ces mêmes valeurs et qui vont jusqu'à s'en considérer les ennemis. Mais pourquoi donc ces gens ont-ils choisi de vivre ici ? Qu'ils déménagent donc à Téhéran ou à Ryad, ils ne s'en porteront que mieux puisque là-bas leur dogmatisme est appliqué à la lettre, et cela jusqu'à atteindre un effroyable degré de cruauté et de barbarie. Et nous aussi, ceux et celles qui, quelques soient leurs origines, croient que la liberté est sacrée et que la société n'a pas à se plier à aucun dogme religieux, nous ne nous en porterons que mieux.

Il nous faut donc travailler dès maintenant pour rectifier le tir. Et ça presse de plus en plus. Par exemple, en explorant l'une des propositions avancées par Barnavi dans son livre, lorsqu'il soutient que s'il est vrai qu'en France "la République (ici c'est de la démocratie dont il s'agit) est bonne fille, elle doit réapprendre à sortir ses griffes. Elle ne doit pas seulement interdire qu'on enfreigne ses lois, elle doit exiger qu'on embrasse son éthique. (...) L'octroi de la citoyenneté doit s'accompagner d'un serment d'allégeance aux principes fondamentaux de la démocratie." Sinon : «Dehors!» D'ailleurs, la France est dotée d'une procédure de destitution de la citoyenneté pour les cas où, sur une période s'écoulant sur dix ans après l'obtention du statut de citoyen, un individu commet des actes allant à l'encontre du respect d'un tel contrat. Une telle mesure ne me paraît pas du tout à exclure chez nous, si toutefois elle est appliquée dans un cadre clair et transparent, qui aussi ne laisserait place à aucun arbitraire.

Pour en arriver là, cependant, il est clair que nous aurons besoin de leaders politiques plus courageux et plus attachés à défendre nos libertés fondamentales que ce qu'on nous sert de nos jours. (Pour ma part, je suis libéral, mais je suis révolté de voir combien les partis qui se réclament de ce nom, et cela tant au niveau provincial que fédéral, à cause de leur clientélisme politique, se montrent éloignés de toute défense de cette valeur authentiquement libérale qu'est la laïcité. Ces partis libéraux, qui proviennent pourtant en droite ligne des Rouges anticléricaux du 19e siècle, ne sont plus qu'un très pâle reflet de ce qu'ils furent dans le passé, et c'est une véritable honte).

Mais ces leaders réellement démocrates dont nous avons besoin, ils ne surgiront pas du néant comme par enchantement. Il faut au préalable que, dans la société elle-même, de plus en plus de citoyens s'organisent et agissent pour défendre la laïcité et les valeurs démocratiques sans lesquelles notre société ne serait pas ce qu'elle est. Les politiciens étant surtout des «suiveux», il faut donc que ça vienne d'abord de nous tous. Sinon, qu'on n'y songe même pas...

mardi, mai 01, 2007

Cultures croisées,
monde de beautés


Histoire de poursuivre sur la lancée des plaisirs que procure ce croisement des cultures qui, selon la Parole Sacrée de l'Imam Pierre Falardeau, serait tellement méprisable qu'il en condamne ce crime de trahison nationale que serait à ses yeux l'ouverture des Québécois ( qui sont pour l'immense majorité d'entre eux beaucoup plus sains d'esprit que lui ) aux cuisines étrangères, je vais aujourd'hui m'entretenir avec vous de musique.

C'est que j'ai découvert récemment un album-double CD, intitulé Mozart l'Égyptien. Ma curiosité ayant été attisée par un pareil thème accolé à la musique de Mozart, je me le suis procuré sur-le-champ, mais sans trop savoir à quoi m'attendre.

Sans être en rien un "expert" en musicologie (je ne saurais lire une seule note d'une partition), j’ai un très gros faible pour l’œuvre de Mozart, à cause de sa vitalité, de sa diversité, de son intensité, de sa profondeur, de sa beauté, et aussi de la joie de vivre que, sans se démentir, elle transmet à l’humanité depuis déjà plus deux siècles. J'aime aussi Mozart pour l'esprit de fraternité universelle qui l'animait jusqu'au plus profond de son être, de même que pour ses vibrants appels à contrer les obscurantismes qui s'acharnent à consacrer la division de l'humanité en sectes ou nationalités. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à visionner son fameux opéra La Flûte enchantée, ou encore méditer le sens de cet extrait du texte de sa cantate K619:


Tendez la main fraternelle de l'éternelle amitié,
dont seule une illusion,
et non jamais la vérité,
vous a privés pendant si longtemps.

Brisez les liens de cette illusion !
Déchirez le voile de ce préjugé !
Arrachez ce vêtement
qui habille l’humanité en sectes !
Battez le fer qui jusqu’à maintenant
a divisé le sang des hommes, des frères !

Faites sauter les rochers
avec la poudre noire
qui souvent a précipité le plomb meurtrier
dans le coeur des frères !


Par l’œuvre qu’il a nous a laissée, et qui aide encore des multitudes d’hommes et de femmes à jouir des beautés que recèlent l’esprit humain de même que toute la nature dans son immensité infinie, Mozart a su nous toucher, en la rendant plus belle, dans cette vie concrète que nous avons tous en partage, et qu’il nous aide à aimer.

Et encore, quand on pense au fait que Mozart est mort avant même d’avoir atteint ses 36 ans, il y a là, pour chacun d’entre nous, de quoi se laisser stimuler à donner le meilleur de nous-mêmes au cours de cette vie qui nous est dévolue, pour contribuer nous aussi à rendre notre humanité plus belle, en répandant autour de nous une certaine générosité de cœur, une certaine grandeur d’esprit, sinon une certaine noblesse d’âme. Pour dire les choses encore plus simplement : en contemplant l’œuvre de Mozart, chacun de nous est en droit de se demander quelle œuvre il est en train de faire de sa vie. En ce sens, c'est à la meilleure part de nous-mêmes qu'il nous appelle, celle qui stimule l'ouverture et l'appréciation de ces différences, souvent riches de beautés, qui caractérisent le genre humain.

Je ne savais donc à quoi m'attendre en achetant cette oeuvre signée par l'audacieux compositeur Hugues de Courson, avec la collaboration de Ahmed El Maghraby et Nasredine Dalil. Mais bon sang que je ne l'ai pas regretté !

C'est que le résultat de cette fusion de la musique de Mozart avec les chants égyptiens est d'une beauté tout simplement émouvante, qui vient nous remuer au plus profond de nous-mêmes. Ce mariage entre ce sublime créateur venu d'Occident qu'est Mozart et les rythmes musicaux traditionnels d'Égypte incarne en quelque sorte une belle et inspirante rencontre de l'Orient et de l'Occident.

On peut penser que Mozart lui-même en serait fier : ayant adhéré en 1784 à la franc-maçonnerie et aux valeurs de fraternité universelle et à celles des Lumières dont les francs-maçons du 18e siècle ont grandement oeuvré à la propagation, Mozart était animé, comme on peut le voir notamment dans sa correspondance, d'une véritable passion pour l'Égypte et son symbolisme, de même que par les leçons enseignées par ses mythes. On en perçoit d'ailleurs nettement la trace dans certaines de ses oeuvres comme L'Oie du Caire ou Thamos Roi d'Égypte, ou même dans La Flûte enchantée.

Un autre motif de croire que Mozart se réjouirait du travail de Hugues de Courson, c'est que curieux, inventif et cultivé, Mozart était spontanément avide de découvrir les méthodes et inventions novatrices de son époque. Ses sources d'inspiration étaient des plus diversifiées, ce qui lui permit de réinventer tous les styles musicaux, souvent non sans une certaine audace qui choquait parfois certains de ses contemporains. Puisse Mozart, dont l'influence posthume sur la création musicale reste encore d'actualité, continuer à être contagieux en ce sens car, peu importe nos champs d'activité, n'est-ce pas justement cette soif de découvertes, cette ouverture vers l'étranger et l'inconnu, en un mot n'est-ce pas cette audace créatrice et cette sortie des habitudes, qui contribuent à rendre l'être humain meilleur, plus ouvert donc plus libre, sinon plus vivant ?

En tout cas, je vous souhaite ardemment l'occasion de vous faire un beau cadeau à vous-mêmes en prenant à votre tour le temps d'entendre cette oeuvre. L'écoute, par exemple, des étonnantes harmonies provoquées par de Courson entre ces sublimes chants égyptiens traditionnels et les tout aussi sublimes oeuvres mozartiennes que sont l'Ouverture de L'enlèvement au sérail, le concerto pour piano # 23, le double quartet en F, la 40e symphonie, le premier mouvement du Requiem, la Messe en Si Mineur et j'en passe, cette écoute donc, est propre à nous faire ressentir combien les êtres humains, en se donnant les uns aux autres le meilleur d'eux-mêmes, peuvent se révéler capables d'élévation, de beauté, et aussi d'ouverture vers ce qui est la source de la véritable grandeur d'âme.

Chacun de nous vaut bien plus et bien mieux que ces frontières trop étroites dans lesquelles la haine, les replis identitaires, la crainte et le refus de l'Autre tentent trop souvent de nous restreindre. Et cette valeur supérieure que chacun de nous porte en lui-même, on peut en quelque sorte en sentir la présence dans ce mélange des cultures et ce pont entre les musiques qu'Hugues de Courson, Ahmed El Maghraby et Nasredine Dalil auront su nous donner avec autant de génie que de sensibilité.