Quelque chose de pourri:
Au Royaume de la GRC, un ménage vigoureux et complet s'impose
par Daniel Laprès
(Article publié dans La Presse, dimanche le 17 décembre 2006, p. A18)
Dans son rapport déposé cette semaine à la Chambre des Communes, le juge Dennis O’Connor ne montre pas seulement comment la GRC a été gravement fautive à l’encontre de Maher Arar : il en appelle également à une surveillance accrue des opérations de sécurité nationale de la GRC. Cependant, certaines autres pratiques de la GRC, notamment en matière de justice criminelle, devraient elles aussi être davantage scrutées par les médias nationaux et par les parlementaires fédéraux, car elles mettent carrément en cause la crédibilité et la probité de notre système judiciaire.
La GRC s’est en effet spécialisée dans un type bien douteux d’opération policière, dont l’unique but consiste, lorsque la preuve matérielle s’avère manquante ou déficiente, à forcer sous la menace des suspects à «avouer» avoir commis un crime violent. Cette méthode, plaisamment baptisée par la GRC «Opération Mr. Big», s’avère certes très efficace et convaincante : la plupart du temps, les jurys émettent un verdict de culpabilité après avoir visionné une vidéo du prétendu passage aux «aveux» des accusés.
Mais, dans l’esprit de celui qui passe ainsi aux «aveux», ce n’est pas à des policiers reconnus comme tels qu’il «avoue», mais plutôt à des agents doubles de la GRC jouant le rôle de caïds du crime organisé et qui, après avoir contraint l’individu ciblé à commettre des actes criminels, lui font comprendre que s’il ne se montre pas «coopératif» en leur confiant qu’il est l’auteur du crime dont il est soupçonné, ils prendront «soin» de lui à la manière dont la pègre s’occupe des cas peu fiables.
Avec de telles méthodes, des innocents ont été condamnés injustement. Par exemple, Kyle Unger et Timothy Houlahan qui, en 1993 au Manitoba, ont été condamnés à la prison à vie suite à une sordide affaire de viol et meurtre, et cela après avoir passé aux «aveux» devant des agents de la GRC qu’ils prenaient pour des trafiquants de drogue. Mais en 2004, une analyse d’ADN a démontré hors de tout doute qu’ils étaient innocents. Pour Kyle Unger, ce fut une très bonne nouvelle. Mais concernant Timothy Houlahan, il y avait un gros problème : il s’est suicidé en 1994.
L’Opération «Mr. Big» de la GRC a également rendu possible la condamnation de deux autres jeunes hommes à la prison à vie aux Etats-Unis. Sebastian Burns et Atif Rafay sont eux aussi passés aux «aveux» devant de prétendus caïds personnifiés par des agents de la GRC qui agissaient pour le compte de la police américaine, pour le meurtre de la famille de M. Rafay. La preuve matérielle et circonstancielle disculpait pourtant les accusés, mais la présentation d’une vidéo des «aveux» avait su convaincre les jurés lors du procès tenu en 2004. Un site web présente d’ailleurs les détails de l’Opération «Mr. Big» dont l’orchestration est bien typique des autres causes où ce type de méthodes a été employé par la GRC: http://www.rafayburnsappeal.com/. Mais je vous préviens : si vous décidez de visiter ce site (qui est bilingue), soyez bien assis sur votre chaise car ce qui y est dévoilé est tout simplement renversant et démontre clairement que MM. Burns et Rafay craignaient réellement pour leur vie s’ils ne «confessaient» pas ce crime aux pseudo-gangsters qui n’étaient nuls autres que deux agents de la GRC. Aussi, les deux agents en question sont allés jusqu’à se permettre de fouiller dans les cellules des deux accusés à la prison de Seattle, et cela tandis que le procès était encore en marche. Ainsi, ces deux témoins vedettes de la poursuite ont, durant le procès même, eu accès au courrier et aux documents personnels des accusés, y compris ceux, confidentiels, provenant des avocats de la défense. Évidemment, les deux types de la GRC furent alors fort surpris que leur manœuvre sorte au grand jour grâce à un pur hasard, mais ceci démontre à quel point, chez certains à la GRC, tout semble permis, même la tricherie, sinon l’illégalité la plus flagrante.
Devant de tels faits, qui sont loin d’être les seuls concernant ce type d’opération qu’affectionne la GRC, on peut donc se demander sérieusement si la justice est bien servie au Canada lorsque la police fédérale s’autorise à de telles méthodes gravement coercitives et faites pour forcer des «aveux» à tout prix, et qui en plus bafouent effrontément les valeurs dont le Canada se targue souvent en matière de droits humains et de probité et transparence de la justice.
En ce sens, on peut espérer que la controverse actuelle autour de l’affaire Arar puisse faire en sorte qu’on se rende enfin compte qu’il y a quelque chose de vraiment pourri au royaume de la GRC, et qu’un ménage vigoureux et complet s’impose, du moins si l’on tient à ce qu’au Canada la justice fasse tout ce qu’elle peut pour éviter de faire condamner des innocents.
par Daniel Laprès
(Article publié dans La Presse, dimanche le 17 décembre 2006, p. A18)
Dans son rapport déposé cette semaine à la Chambre des Communes, le juge Dennis O’Connor ne montre pas seulement comment la GRC a été gravement fautive à l’encontre de Maher Arar : il en appelle également à une surveillance accrue des opérations de sécurité nationale de la GRC. Cependant, certaines autres pratiques de la GRC, notamment en matière de justice criminelle, devraient elles aussi être davantage scrutées par les médias nationaux et par les parlementaires fédéraux, car elles mettent carrément en cause la crédibilité et la probité de notre système judiciaire.
La GRC s’est en effet spécialisée dans un type bien douteux d’opération policière, dont l’unique but consiste, lorsque la preuve matérielle s’avère manquante ou déficiente, à forcer sous la menace des suspects à «avouer» avoir commis un crime violent. Cette méthode, plaisamment baptisée par la GRC «Opération Mr. Big», s’avère certes très efficace et convaincante : la plupart du temps, les jurys émettent un verdict de culpabilité après avoir visionné une vidéo du prétendu passage aux «aveux» des accusés.
Mais, dans l’esprit de celui qui passe ainsi aux «aveux», ce n’est pas à des policiers reconnus comme tels qu’il «avoue», mais plutôt à des agents doubles de la GRC jouant le rôle de caïds du crime organisé et qui, après avoir contraint l’individu ciblé à commettre des actes criminels, lui font comprendre que s’il ne se montre pas «coopératif» en leur confiant qu’il est l’auteur du crime dont il est soupçonné, ils prendront «soin» de lui à la manière dont la pègre s’occupe des cas peu fiables.
Avec de telles méthodes, des innocents ont été condamnés injustement. Par exemple, Kyle Unger et Timothy Houlahan qui, en 1993 au Manitoba, ont été condamnés à la prison à vie suite à une sordide affaire de viol et meurtre, et cela après avoir passé aux «aveux» devant des agents de la GRC qu’ils prenaient pour des trafiquants de drogue. Mais en 2004, une analyse d’ADN a démontré hors de tout doute qu’ils étaient innocents. Pour Kyle Unger, ce fut une très bonne nouvelle. Mais concernant Timothy Houlahan, il y avait un gros problème : il s’est suicidé en 1994.
L’Opération «Mr. Big» de la GRC a également rendu possible la condamnation de deux autres jeunes hommes à la prison à vie aux Etats-Unis. Sebastian Burns et Atif Rafay sont eux aussi passés aux «aveux» devant de prétendus caïds personnifiés par des agents de la GRC qui agissaient pour le compte de la police américaine, pour le meurtre de la famille de M. Rafay. La preuve matérielle et circonstancielle disculpait pourtant les accusés, mais la présentation d’une vidéo des «aveux» avait su convaincre les jurés lors du procès tenu en 2004. Un site web présente d’ailleurs les détails de l’Opération «Mr. Big» dont l’orchestration est bien typique des autres causes où ce type de méthodes a été employé par la GRC: http://www.rafayburnsappeal.com/. Mais je vous préviens : si vous décidez de visiter ce site (qui est bilingue), soyez bien assis sur votre chaise car ce qui y est dévoilé est tout simplement renversant et démontre clairement que MM. Burns et Rafay craignaient réellement pour leur vie s’ils ne «confessaient» pas ce crime aux pseudo-gangsters qui n’étaient nuls autres que deux agents de la GRC. Aussi, les deux agents en question sont allés jusqu’à se permettre de fouiller dans les cellules des deux accusés à la prison de Seattle, et cela tandis que le procès était encore en marche. Ainsi, ces deux témoins vedettes de la poursuite ont, durant le procès même, eu accès au courrier et aux documents personnels des accusés, y compris ceux, confidentiels, provenant des avocats de la défense. Évidemment, les deux types de la GRC furent alors fort surpris que leur manœuvre sorte au grand jour grâce à un pur hasard, mais ceci démontre à quel point, chez certains à la GRC, tout semble permis, même la tricherie, sinon l’illégalité la plus flagrante.
Devant de tels faits, qui sont loin d’être les seuls concernant ce type d’opération qu’affectionne la GRC, on peut donc se demander sérieusement si la justice est bien servie au Canada lorsque la police fédérale s’autorise à de telles méthodes gravement coercitives et faites pour forcer des «aveux» à tout prix, et qui en plus bafouent effrontément les valeurs dont le Canada se targue souvent en matière de droits humains et de probité et transparence de la justice.
En ce sens, on peut espérer que la controverse actuelle autour de l’affaire Arar puisse faire en sorte qu’on se rende enfin compte qu’il y a quelque chose de vraiment pourri au royaume de la GRC, et qu’un ménage vigoureux et complet s’impose, du moins si l’on tient à ce qu’au Canada la justice fasse tout ce qu’elle peut pour éviter de faire condamner des innocents.