lundi, mai 05, 2008




Une stupidité qui écoeure

La semaine dernière, les brutes épaisses auront donc récidivé. Après qu'une sépulture ait été vandalisée le weekend précédent au cimetière de Saint-Rémi-de-Napierville, voilà que les brutes (les mêmes ou d'autres, peu importe, ces deux actes relèvent de la même stupidité) s'en sont pris à l'édifice qui abrite la Légion canadienne, à Lachine, qu'ils ont, nuitamment bien sûr, barbouillé de leurs graffitis insipides et niais.

La Légion canadienne, ce n'est pas autre chose que l'endroit où fraternisent les vétérans de nos forces armées. Beaucoup parmi les membres de la Légion sont des gens bien de chez nous qui ont eu le courage, au cours de la Deuxième guerre mondiale, de s'enroler volontairement pour aller combattre la barbarie fasciste sur le sol européen, et cela tandis que nos élites nationalistes d'alors prônaient le point de vue pour lequel les bons c'était les fascistes, et que les méchants étaient les Anglos-Saxons-à-la-solde-de-la-"finance-juive". Le chef collabo Pétain, qui s'est assuré que la France reste bien à genoux devant les occupants nazis, était d'ailleurs un bien bon gars selon les Lionel Groulx, René Chaloult, Maxime Raymond et autres nationaleux du même acabit.

Mais là où je veux en venir, c'est à la répugnante écoeurantie que représente le geste posé par les brutes épaisses qui ont souillé les murs extérieurs de la Légion canadienne à Lachine. Tout ça, vraisemblablement, parce qu'il y a le mot "canadienne" dans le nom de l'association qu'il ont visée. Un réflexe d'épais, bien entendu. Mais ces crétins ont ainsi blessé en plein coeur des compatriotes qui se sont battus contre la bête immonde du fascisme, et à qui on doit aujourd'hui ces libertés dont nous jouissons dans notre société. En plus, les membres de la Légion canadienne regroupent certainement, à l'image de notre société démocratique, des gens de toutes les opinions politiques confondues, même sur la question nationale : ça, ces brutes étaient bien trop épaisses pour y songer le moindrement.

Aussi, en souillant de leur acte sordide ce symbole qu'est le lieu où fraternisent nos compatriotes vétérans, les brutes épaisses se sont aussi trouvés à souiller la mémoire de tous ces Québécois qui ont donné leur vie sur le champ de bataille durant la Deuxième guerre mondiale. Et ça, "je le prends très personnel", comme on dit chez nous...

Regardez la photo du jeune homme, ci-haut. Il s'appelait Réal Lamirande. À côté, c'est sa tombe, alors qu'il venait tout juste d'être enterré dans le cimetière de Groesbeek, en Hollande (la photo avait été envoyée à la famille par son amie de coeur hollandaise). Né à Louiseville, en Mauricie, Réal Lamirande est mort au combat à l'âge de 24 ans, le 24 février 1945, soit à peine deux mois avant la fin de la guerre. Frère de ma grand-mère maternelle, il s'était enrôlé volontairement, et pas pour des raisons économiques car il avait un bon travail.

En fait, mon grand-oncle s'était enrôlé contre l'avis de son milieu, lequel était influencé par l'idéologie clérico-nationaliste et pro-pétainiste qui sévissait en faisant croire à tout le monde au Québec que cette guerre ne nous concernait pas. Dans la société québécoise d'alors, les voix dissidentes opposées à cette lâcheté et à cette forme d'appui au fascisme étaient alors peu entendues, comme je le montrais récemment dans mon billet sur Louvigny de Montigny, grand homme de lettres de son vivant mais qui, depuis, a été complètement confiné dans l'oubli par l'histoire officielle.

Quelques semaines à peine avant sa mort, Réal Lamirande écrivait à sa soeur, ma grand-mère. Ma mère, sa nièce, n'avait alors que deux ans, et il ne l'avait vue que peu de temps avant sa traversée vers le front. Dans cette lettre, il expliquait à sa soeur les raisons de son enrôlement : "Si je suis ici, c'est surtout parce que je veux que ta fille vive libre. J'en ai assez vu ici pour me dire que j'ai bien fait de m'enrôler et que je suis où il faut que je sois." Je pense que je n'avais que 12 ou 13 ans quand j'avais lu cette lettre pour la première fois, et depuis, le souvenir de mon grand oncle, ce grand homme, m'est resté des plus précieux.

Réal Lamirande est l'un de ces milliers de braves soldats anonymes mais bien de chez nous qui n'auront pas cédé à la bêtise anti-participationniste répandue par les élites nationaleuses d'alors, et qui auront volontairement consenti au sacrifice de leur vie pour que nous tous, des générations plus tard, puissions vivre dans la liberté et dans la dignité. D'autres de ces héros, qui n'auront pas été tués sur le champ de bataille, seront quant à eux revenus chez nous, physiquement blessés, ou avec de bien pénibles souvenirs dans le coeur, dont celui de leurs frères d'armes morts à leurs côtés. Et ce sont ces héros-là, ceux qui sont revenus, qui se retrouvent régulièrement dans les salles de la Légion canadienne, pour fraterniser, et aussi pour se souvenir.

Alors oui, ça m'écoeure souverainement d'être obligé de constater que, tandis que Réal Lamirande, mon grand-oncle, avait consenti si lucidement au sacrifice ultime alors qu'il avait à peine 24 ans, nous avons aujourd'hui des brutes épaisses qui, par leur acte ignoble et stupide, osent, en pleine nuit donc lâchement, cracher sur la mémoire des plus courageux parmi nos compatriotes et poignarder en plein coeur leurs frères d'armes en souillant de leurs minables conneries le lieu où nos héros peuvent vivre leur fraternité.

Ces héros ont droit non seulement à notre respect, mais aussi à notre reconnaissance la plus profonde. Mais les brutes épaisses auront prouvé que "respect" et "reconnaissance", et je dirais même "décence", sont des mots tout à fait étrangers au vocabulaire sans doute bien limité des grotesques ignorants qu'ils se révèlent être...