Intégrisme
laïque ?
Par Daniel Laprès. Article publié dans La Presse, Montréal, dimanche le 10 juin 2007, p. A14, sous le titre Chère laïcité... et dans le cadre de la rubrique D'un Canada à l'autre.
(N.B. : Je dois dire que le titre choisi par La Presse en publiant cet article dans ses pages me paraît plutôt bizarre...)
Le débat sur les revendications d’accommodements religieux dans nos institutions publiques a permis de constater que, par-delà les divergences d’opinions politiques, la laïcité est une valeur qui rassemble de plus en plus de Québécois et Québécoises. Ce fait est une bonne nouvelle pour notre démocratie et nos libertés fondamentales. Mais en même temps, on constate que les partisans du retour en arrière ou du relativisme culturel se plaisent à agiter l’épouvantail d’un soi-disant «intégrisme laïque». En plus de son caractère fallacieux, il s’agit là d’une grossière contradiction dans les termes qui vise surtout à semer la confusion et à nourrir le relativisme, histoire de mieux faire avaler des positions religieuses intégristes.
Selon le Petit Robert, intégrisme signifie: « Doctrine qui tend à maintenir la totalité d’un système ; attitude des croyants qui refusent toute évolution ». Et laïcité : «Principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les églises aucun pouvoir politique ». Ainsi, la laïcité est l’exact contraire de l’intégrisme qui vise à placer le politique sous le contrôle du religieux, tandis que l’État laïque repose sur la distinction claire entre la sphère publique et la sphère privée. Il est aussi nécessaire de souligner que la laïcité, parce que prônant la neutralité religieuse de l’État, ne vise en rien à faire de l’athéisme une religion d’État. En ce sens, l’État laïque, c’est le règne de cette liberté absolue de conscience qui permet à chacun de croire à ce qu’il veut, et aussi de ne pas avoir de croyance religieuse.
Il en va bien autrement des États soumis au pouvoir religieux : hier comme aujourd’hui, la preuve est faite que dès qu’une religion se trouve en position d’asservir l’État ou la sphère publique, les libertés fondamentales sont toujours les premières à être attaquées, et ce sont d’ailleurs souvent les croyances religieuses concurrentes qui en souffrent le plus. C’est donc l’État laïque qui assure le mieux le pluralisme des croyances, tandis que l’intégrisme vise à contraindre l’ensemble des individus d’une société à se plier à un dogme religieux particulier.
Comme l’exprimait le président du Mouvement Laïque Québécois (MLQ), Henri Laberge, dans le numéro de janvier dernier de la revue Cité Laïque, « la meilleure garantie de la pleine liberté de croire ou de ne pas croire, c’est que l’État se reconnaisse totalement incompétent dans les questions d’ordre surnaturel et qu’il abandonne ces questions au libre examen des personnes et à la libre délibération au sein des groupes religieux et des groupes religieux entre eux. […] Une société laïque, c’est celle où la liberté religieuse est la même pour tous, mais surtout, c’est celle où le droit à l’égalité s’applique à toutes les personnes sans égard à leur foi ». À moins de recourir à de spécieux sophismes, personne ne peut affirmer qu’il s’agirait ici d’une pensée visant à imposer l’athéisme ou qui pourrait être qualifiée d’intégriste ou de dogmatique.
Si les laïques se révèlent de plus en plus nombreux à faire entendre leur voix, c’est d’abord et avant tout parce qu’ils veulent que notre société continue à évoluer sous le régime des libertés fondamentales auxquelles a droit chaque citoyen et citoyenne. Ce régime des libertés, les Québécois et Québécoises laïques savent ce qu’il a coûté en dures luttes, persécutions et sacrifices personnels subis par les défenseurs des libertés qui ont œuvré tout au long de notre histoire. Ils sont conscients du fait que le plus souvent, chacune des libertés dont nous jouissons aujourd’hui a été conquise en luttant contre le pouvoir religieux et l’ignorance imposée par son idéologie. Au Québec en effet, qui était contre l’éducation gratuite et obligatoire? Le pouvoir religieux. Qui était contre l’égalité entre hommes et femmes? Le pouvoir religieux. Qui était contre la liberté de la presse ? Le pouvoir religieux. Qui interdisait le théâtre libre ? Le pouvoir religieux. Qui persécutait les tenants de croyances religieuses ou convictions philosophiques différentes ? Le pouvoir religieux. Et on pourrait allonger cette liste bien davantage encore…
Ce que les laïques refusent, c’est que notre société revive cette époque, encore pas si lointaine, où le pouvoir religieux, assisté de politiciens à sa botte, était en mesure d’étouffer la liberté de penser et de créer. Et lorsque les laïques expriment leurs inquiétudes devant certaines revendications d’accommodements religieux, c’est avant tout parce qu’ils ne veulent pas que nos institutions communes soient soumises au diktat des tenants de l’idéologie intégriste sous-jacente à certains symboles religieux, comme par exemple la soumission des femmes.
Essentiellement, vouloir la laïcité, c’est être contre l’imposition des interprétations intégristes des religions dans notre société. C’est aussi vouloir que chacun et chacune puisse jouir de la liberté de croire à sa manière et du droit de penser par soi-même, tout en pouvant s’exprimer sans aucune contrainte dogmatique. Est-ce assez clair ?