vendredi, juin 15, 2007







Nécessaire, vitale liberté de penser

Certains amis m'ont demandé pourquoi je me suis lancé ces derniers temps dans la promotion de la laïcité et dans la critique des religions. Ces amis me connaissent surtout pour ma critique de l'idéologie nationaliste telle qu'elle prédomine de nos jours au Québec, et certains parmi eux se demandaient même si j'allais changer de «cause». Pourtant, les deux relèvent pour moi de la même chose : la nécessité de défendre la liberté de penser contre toute forme de dogmatisme, que celui-ci soit religieux ou idéologique.

Concernant l'idéologie nationaliste, il est vrai que j'ai une méfiance certaine par rapport à ce qu'elle véhicule et à ses présuppositions. C'est que je suis réfractaire à tout ce qui englobe les individualités dans un «Tout» et qui fait l'apologie de ce même «Tout» au risque d'oublier que ce «Tout» est essentiellement composé de personnes humaines tout aussi différentes les unes que les autres, et qui ont toutes une singularité intrinsèque. La nationalité est un donné qui caractérise les individus qui en sont issus ou qui s'y joignent. Mais de là à faire passer ce donné avant les personnes qui le constituent, il y a une limite que je me refuse à franchir.

Politiquement par exemple, personne ne peut, à mon sens, prétendre que son idéologie particulière incarnerait la volonté et l'intérêt de tout le Québec ou de tous les Québécois. Les nationalistes d'ici sont particulièrement férus de ce genre de discours englobant qui, le plus souvent, est mystificateur. Aussi, le nationalisme tend à constamment opposer «notre Tout» contre une prétendue «menace» extérieure, elle aussi est présentée comme un autre «Tout». Ici, cette menace qu'on aime bien agiter pour indiquer au peuple qu'on peut mieux défendre ses intérêts que lui-même serait capable de le faire, c'est le «Canada anglais», toujours abordé comme un bloc monolithique dont chacune des composantes serait entièrement dédiée à «assujettir», sinon à «humilier» les Québécois. Pourtant, la réalité, surtout politique, et encore plus quant on s'attarde à prendre en compte la dimension humaine des choses, est beaucoup plus complexe que ce que veut laisser croire ce genre de discours réducteur qui déborde dans une démagogie qui est toujours trompeuse.

Donc, ce ne sont là que quelques-unes des raisons qui m'incitent à me méfier de l'idéologie nationaliste. Ceci dit, je ne crois pas pour autant que chacune des personnes qui s'affirment nationalistes au Québec verrait les choses ainsi. Bon nombre parmi eux portent des valeurs humaines et sociales généreuses qui sont tout à fait exemplaires. Et si je dis cela, c'est que, justement, je refuse de voir les nationalistes québécois comme un grand «Tout», ou comme un autre bloc monolithique. Des extrémistes antidémocrates et racistes, ils en ont certes de leur côté, et pour ma part je ne me gêne pas pour les dénoncer à chaque fois que je le peux.

Voltaire, qui avait tant fait pour la tolérance, était aussi celui qui disait : «Ce qui est méprisable reste dangereux tant qu'il n'est pas assez méprisé». C'est dans cet esprit-là, d'ailleurs, que je dénonce par exemple les propos haineux et délirants que tient constamment l'Imam Pierre Falardeau. Ce que dit ce personnage est plus souvent qu'autrement méprisable, et doit être vu comme tel. Par exemple, lorsqu'il insulte quiconque ose ne pas penser exactement comme lui, ou encore, entre autres imbécillités, lorsqu'il proclame, comme il l'a fait dans l'émission de Arcand sur TVA il y a quelques années: «Si t'es contre moé, j't'haïs!». Ou encore lorsque, durant la même émission, l'Imam s'était mis à donner les noms de ceux qu'il disait avoir hâte de voir crever parce qu'il voyait en eux des ennemis politiques...

Mais de mon propre côté politique, on trouve aussi l'équivalent d'un Imam Falardeau. Ceci est principalement dû au fait que des crétins, des intolérants et des fanatiques aveugles, on en trouve partout dans le monde, et le Québec et le Canada dit «Anglais» n'y échappent pas. La bêtise est d'ailleurs l'un des phénomènes les plus répandus dans le genre humain, et cela depuis le début des temps.

Ainsi donc, on a au Québec des intolérants fanatisés et ethnicistes jusqu'à la haine comme un Imam Pierre Falardeau ou un Raymond Villeneuve, et au Canada dit «Anglais», on trouve de leurs semblables, comme Barbara Kay, Diane Francis et Don Cherry. Et pour une poignée de crétins qui s'amusaient à piler sur le drapeau du Québec à Brockville (Ontario) en 1990 (bon sang qu'on les a montrées et remontrées, ces images, depuis ce temps-là!), on a ici les disciples de l'Imam Falardeau qui, à chaque 1er Juillet, piétinent, barbouillent et brûlent le drapeau du Canada.

On s'était indignés au Québec, et à juste titre, lorsque Barbara Kay avait écrit l'été dernier que les Québécois étaient tous des pro-Hezbollah, ou encore quand l'autre idiote dont j'oublie le nom avait écrit que ce serait la loi 101 qui aurait été la cause de la fusillade au collège Dawson. Mais pendant ce temps-là, pas grand monde chez nous avait trouvé de quoi à redire lorsque l'Imam Falardeau, dans le numéro de décembre 2005 du journal Le Québécois, avait insulté deux chroniqueurs anglophones de La Presse en en traitant l'un de «nouille» parce qu'il est Terre-Neuvien, et l'autre de «blôke de service». J'aimerais bien voir un jour un chroniqueur du Canada dit «Anglais» se mettre à traiter dans une publication quelconque une personnalité québécoise francophone de «French Pea Soup» ou de «frog». J'entends déjà les hauts cris d'indignation que ça donnerait, chez certains de nos nationalistes les plus invétérés, lesquels sont eux-mêmes ceux qui ont le plus souvent l'insulte grossière à la bouche pour accabler quiconque ne partage pas leur point de vue...

Donc, certaines nuances s'imposent, surtout quand on aborde les questions politiques. La tendance à mettre tout le monde dans le même paquet me déplait «souverainement», si vous me prêtez le terme. Et si d'un côté je suis ouvertement critique vis-à-vis l'idéologie nationaliste pour des raisons qui me sont propres, j'en ai pourtant moins contre le nationalisme en tant que tel, qui après tout est une idéologie comme une autre et dont on peut discuter raisonnablement, que contre le fait que, pour bien des gens chez nous, il faudrait être absolument nationaliste pour être un vrai Québécois. Autrement, on devient pour la nation un «traître», un «vendu», un «collabo», et ce ne sont là que quelques-uns parmi l'interminable liste d'insultes que fusent constamment les plus zélés parmi les nationalistes contre ceux qui ont le malheur d'avoir un point de vue différent du leur.

Et cette tendance à désigner constamment de soi-disant «traîtres» ou «agents de l'Ennemi de la Nation», elle s'oppose directement à la liberté de penser. En fait, le simple fait de prétendre qu'il faut être d'une idéologie particulière pour avoir le droit d'être considéré comme un vrai Québécois est aussi une autre manière d'amoindrir la liberté de penser. Donc, je m'y oppose, car je pense que durant la seule vie que chacun des êtres humains que nous sommes a à vivre, il nous faut la vivre librement, cette vie-là. La liberté de penser est justement ce qui fait de nous des humains. Quand elle est réprimée, c'est ce qui nous distingue comme espèce qui se trouve aussi amoindri. La démocratie, qui est le meilleur régime pour la liberté de penser, c'est aussi le droit de discuter, de critiquer, de questionner et de ne pas suivre le courant dominant, tout cela librement et sans aucune entrave, et sans aussi se voir boycotté professionnellement comme cela arrive pourtant bel et bien chez nous, notamment dans le monde artistique et culturel.

Même chose pour les religions, que je critique dans leurs fondements et leurs dogmes parce que ce que je dis à leur sujet correspond à ce que je pense et ce à quoi m'amènent mes recherches. Et d'elles aussi je me méfie, surtout à cause de la superstition qu'elles propagent, et aussi de leur tendance intrinsèque, dès qu'elles se trouvent en situation de pouvoir, à imposer à l'ensemble de la société leurs dogmes, lesquels sont d'ailleurs tout aussi farfelus et fantaisistes les uns que les autres, et on s'en rend bien compte lorsqu'on se met à examiner de près leurs sources et leurs fondements.

Mais ici encore, je dis seulement ce que je pense. Je ne prétends pas pour autant que tous les croyants seraient des sots. Il y en a certes pas mal parmi eux, mais je connais bien des personnes croyantes qui sont des gens de bien, très intelligents, et dont les valeurs humaines et sociales sont très proches des miennes. Mais ce que je pense, j'ai le droit de l'exprimer librement, tout comme les croyants de n'importe quelle religion ont le droit eux aussi de dire leur pensée tout aussi librement que moi. Et tout ça (comme pour ce qui devrait d'ailleurs en être de la politique) peut se faire dans le respect mutuel, malgré les désaccords fondamentaux et les points de vue qui nous distinguent les uns des autres.

Cette longue digression en forme de mise au point me paraissait nécessaire pour aborder le sujet de ce billet, qui est justement la liberté de penser. Deux tout petits livres récemment parus (et pas chers du tout) nous permettent d'y réfléchir, et leur petit nombre de pages n'enlève rien à la profondeur de leur contenu. Leurs auteurs sont disparus depuis très longtemps, mais leurs propos sur la liberté de penser restent d'une grande actualité, particulièrement avec la montée des fanatismes religieux et idéologiques à laquelle on assiste de nos jours. Même chez nous on n'en est pas épargnés. Je vais donc vous donner un avant-goût de ces deux petits livres, et j'espère que certains voudront ensuite mettre la main dessus.

Le premier, qui fait seulement 77 pages, a pour titre De la liberté de penser dans un État libre (éditions de L'Herne) et nous vient du fameux philosophe Spinoza. Il s'agit en fait d'un court extrait de son Traité théologico-politique, que Spinoza avait publié en 1670 pour défendre la liberté de penser. Exclu en 1656 de la communauté juive, il a été aussi interdit de séjour et de publication par le Temple calviniste. Il avait même échappé à une tentative d'assassinat. Devenu un paria dans sa propre communauté et exclu de tout enseignement, Spinoza en a ensuite été réduit à gagner sa vie comme nettoyeur de lentilles. Tel fut en effet le sort du fameux Spinoza.

C'est dire ce à quoi peut conduire un climat qui étouffe toute dissidence. On ne peut pas dire que notre époque est bien différente, dépendamment de vers où l'on regarde. En fait, je dirais même qu'il n'est jamais inutile à cet égard de regarder également un peu du côté de chez soi, et si on y portait quelque attention, on verrait qu'aucune société, même la nôtre, n'est à l'abri de ce genre de phénomène.

Les extraits suivants que j'ai tirés de ce livre ont en effet de quoi nous faire réfléchir pour notre société et pour le monde d'aujourd'hui, de même que sur certains des points sur lesquels je me suis étendu plus haut:

"Quoi de plus funeste que d'envoyer en exil, comme des méchants, d'honnêtes citoyens, parce qu'ils n'ont pas les opinions de la foule et qu'ils ignorent l'art de feindre ? Quoi de plus fatal que de traiter en ennemis (...) des hommes qui n'ont commis d'autre crime que celui de penser avec indépendance ?"

"Ce violent désir de domination qu'éprouvent ceux qui condamnent les écrits des autres et animent contres les écrivains la foule effrénée, (...) qui, dans un État libre, veulent détruire cette liberté de pensée que rien ne saurait étouffer."

"La liberté de la pensée est absolument nécessaire au développement des sciences et des arts, lesquels ne sont cultivés avec succès et bonheur que par les hommes qui jouissent de toute la liberté et de toute la plénitude de leur esprit."

"Chacun peut penser, juger, et par conséquent parler avec une liberté entière, pourvu qu'il se borne à parler et à enseigner en ne faisant appel qu'à la raison, et qu'il n'aille pas mettre en usage la ruse, la colère, la haine."

"Si donc personne ne peut abdiquer le libre droit qu'il a de juger et de sentir par lui-même, si chacun par un droit imprescriptible de la nature est le maître de ses pensées, n'en résulte-t-il pas qu'on ne pourra jamais dans un État essayer, sans les suites les plus déplorables, obliger les hommes, dont les sentiments et les sentiments sont si divers et opposés, à ne parler que conformément aux prescriptions du pouvoir suprême ? "

"Il y a mille manières de prévenir les jugements des hommes et de faire en sorte qu'ils s'abandonnent avec tant de confiance aux directions du pouvoir qu'ils semblent jusqu'à un certain point en être devenus la propriété."


Le deuxième livre nous vient du philosophe Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), et il a pour titre Revendication de la liberté de penser. Il vient d'être publié par la petite collection des Mille et une nuits, et ne coûte que $4. 50, donc avis aux intéressés: ça ne vaut vraiment pas la peine de s'en passer. En voici des extraits qui me paraissent significatifs, et qui se révèlent tout aussi parlants concernant notre époque que peuvent l'être les propos de Spinoza:

"On sait comment la prétendue vérité est agitée par ceux-là même qui souhaitent exercer une domination. La vérité est alors synonyme de pouvoir et d'asservissement des pensées."

"La contrainte est fatale à la vérité ; celle-ci ne peut fleurir que dans la libre atmosphère de sa patrie, le monde de l'esprit. "

"La liberté de penser, la liberté de penser sans obstacles, sans limites, fonde seule et assure le bien des États."

"Que craignez-vous donc de ces pays inconnus, situés au-delà de votre horizon et où vous n'iriez jamais ? (...) Voyez ces hardis circumnavigateurs tourner autour de vous : ils sont aussi sains moralement que vous-mêmes. Pourquoi craignez vous donc si fort les lumières qui éclateraient tout à coup, si chacun y concourait pour sa part autant qu'il serait en lui ? "

"Vous continuerez de ramper au milieu de votre époque ; vous conserverez votre petite troupe d'élus et la conviction de vos rares mérites. (...) Si le jour luit pour d'autres autour de vous, vous et vos chers élèves, vous tiendrez vos faibles yeux dans un crépuscule commode ; même, pour votre consolation, il fera encore plus sombre autour de vous."

"On laisse trop longtemps subsister comme la vérité une seule et même vérité ; c'est une faute qu'a commise la politique moderne. Le peuple s'est enfin accoutumé à cette vérité, et l'habitude qu'il a d'y croire passe pour une preuve à ses yeux. "

Je laisse donc ces quelques extraits à votre libre réflexion, tout en vous invitant à inclure comme toile de fond ce qui se passe actuellement dans notre monde, et aussi dans notre propre société. Et je ne doute pas que vous en arriverez à une conclusion proche de la mienne, qui est que dans toute société démocratique, le droit à la liberté de penser de chacun doit être protégé, et cela pas seulement par des lois, mais aussi par des attitudes et des comportements qui en soient dignes, surtout de la part de ceux qui défendent quelque «cause» ou idéologie.

Autrement, ce serait tuer la vie de cet esprit qui fait de chacun de nous un être humain, en cherchant à imposer une pensée unique. C'est là d'ailleurs qu'on trouve toujours la genèse de tout totalitarisme, qu'il soit religieux ou idéologique. Et le second est aussi pire que le premier.