dimanche, avril 13, 2008


L'antifascisme lucide d'un
grand écrivain québécois
... inconnu

Connaissez-vous Louvigny de Montigny (1876-1955), le Monsieur que l'on voit les bras et les jambes croisés, le deuxième à partir de la droite au premier rang de la photo ci-dessus ?

Il y a de fortes chances que non, car ce Monsieur, tout important écrivain et dramaturge québécois qu'il fût en son temps, n'avait guère de penchants pour l'idéologie réactionnaire et fasciste des cléricaux-nationalistes du genre Lionel Groulx, Maxime Raymond et Roger Varin, dont je mentionnais les "belles oeuvres" dans mon billet d'il y a deux jours.

Voici en tout cas ce que dit de lui le site des archives de l'université de Montréal, qui cependant ne fait aucunement état de son oeuvre théâtrale assez importante :

"Louvigny de Montigny est né à Saint-Jérôme en 1876. Il fait ses études au Collège Sainte-Marie et à la Faculté de droit de l'Université Laval à Montréal. Il s'oriente vers le journalisme. Il est fondateur et rédacteur en chef du journal Les débats et de la Gazette municipale. Il participe à la fondation de l'École littéraire de Montréal dont il est le premier secrétaire-archiviste (1895). Poète, il publie dans les journaux montréalais. Il est traducteur au Sénat du Canada de 1910 à 1955. Membre de la Société des écrivains canadiens, il en assume la vice-présidence pendant quelques années. Il est nommé chevalier de la légion d'honneur en 1925. Il fait connaître Maria Chapdelaine de Louis Hémon qu'il découvre dans le journal parisien Le temps. Les essais et les contes de Louvigny de Montigny dépassent les frontières du Québec, son livre La revanche de Maria Chapdelaine est couronné par l'Académie française (1937). Son essai Au pays de Québec remporte le prix Ernesta Stern (1945). Collaborateur de La Presse, il s'est surtout intéressé au problème de la langue française au Canada."

Les Louvigny de Montigny du Québec, dont le souvenir dort dans les archives universitaires, auront été tout simplement évacués de la version officielle de notre histoire. Leur apport à notre culture aussi... J'aurais d'ailleurs préféré trouver une photo où l'on pourrait mieux percevoir les traits de Louvigny de Montigny, mais il n'y a rien d'autre sur le Net. Ce personnage qui a joué un rôle important pour la culture de chez nous et son rayonnement international, ayant notamment été, avec Nelligan, fondateur de l'École littéraire de Montréal, et ayant aussi été "rien que" celui qui aura fait connaître le roman Maria Chapdelaine, est à toutes fins utiles complètement éliminé de notre histoire et de notre culture.

(Pour pouvoir trouver les oeuvres de Louvigny de Montigny, qui n'ont jamais été rééditées, on en est réduit à fouiner dans les bonnes librairies de livres anciens, ou en scrutant la liste de cette page d'
Abebooks, d'où on peut les commander par la poste chez des libraires dont la plupart sont établis au Québec.)

Pardon : Louvigny n'aura en fait pas tout-à-fait été oublié... Lionel Groulx le mentionne dans ses Mémoires, écrits à la fin des années cinquante et au début des années soixante. C'est que Louvigny de Montigny avait osé critiquer, dans les années 1920, le roman minable et raciste de Groulx, L'Appel de la Race. Le bon chanoine évoque donc son nom, en page 88 du tome 2 de ses Mémoires, en soulignant que de Montigny "était associé à une Juive". N'oublions pas que nous sommes, au moment où Groulx écrivait ces lignes, à la fin des années 1950, alors que nous savions combien il pouvait être malséant de proférer quelque parole à connotation antisémite que ce soit, vu les événements de la deuxième guerre mondiale. Puis Groulx, croyant que d'avoir relevé le fait que de Montigny était marié à une Juive suffirait à discréditer sa critique, tente péniblement et d'une manière qui ne convainc personne qui soit le moindrement fûté, de faire fi de ladite critique. Et après cela, "Groulx n'était pas antisémite", se complaisent toujours à prétendre ceux qui le vénèrent encore de nos jours et qui s'enorgueillissent de voir des édifices universitaires, un Cégep et une station de métro dédiés à un personnage aussi ignoble.

Mais passons... Un fait intéressant par rapport à Louvigny de Montigny est une préface qu'il avait écrite à un de ses livres, Au pays de Québec, écrit en 1943, justement la même année où Roger Varin présentait à Maxime Raymond le bel ouvrage dont je vous parlais dans mon billet d'avant hier. La guerre faisait encore rage. Cette préface, Louvigny l'avait adressée à son petit-fils, qui n'avait alors pas encore un an. En voici un extrait significatif :

« La vie t'enseignera, mon cher enfant, qu'un homme de saine conscience s'apparente à tout son prochain, qu'il devient citoyen du monde, et peut jouir à coeur ouvert des bénéfices qu'à maints égards lui procurent ses congénères de n'importe quel coin de la vaste terre, seulement dans la mesure où lui-même respecte leur éthique particulière, reconnaît leurs bonnes intentions, participe à leurs souffrances et à leurs joies.

J'ai résisté à l'ironie qui me poussait à décrire des états d'âme que la guerre a suscités parmi nos gens : benêts et vaniteux coloniaux qui tiennent rigueur de leur infériorité à la France aussi bien qu'à l'Angleterre, prêcheurs de l'isolationnisme, racoleurs de votes, profiteurs des calamités publiques. Le cautère de la caricature conviendrait mieux à ces trublions qui ont fait de leur mieux pour saboter notre élan national, en ergotant sur la légitimité de cette guerre, du conflit déclenché, à leur avis, pour assurer la suprématie financière ou politique d'une puissance qui nous est étrangère sur une autre qui nous l'est tout autant.

Les millions de victimes innocentes de l'horreur nazie n'intéressent nullement ces messieurs. (...) Cette prostitution de la guerre ne les révolte en rien. Il leur est égal que le boisseau nazi étouffe le génie français qui a assuré et continue d'assurer la survivance au pays de Québec. Les exploiteurs du patriotisme perverti se manifestent dans tous les pays du monde, et les nôtres ne présentent pas d'originalité qui vaille qu'on la souligne.

Si peu que durent nos grelus écrits, je me suis donné bien garde de prolonger d'un jour la mémoire de ces agitateurs et de ces récalcitrants qui, dans le péril mondial et l'angoisse universelle, se comportent plus bêtement que des autruches. Efforçons-nous, au contraire, à les faire oublier au plus vite, afin de laisser le champ libre à l'Histoire ; il lui appartient d'attester l'ardeur de nos armées volontaires qui sont allées à l'ennemi pour préserver de la barbarie notre civlisation méditerranéenne, pour défendre de loin notre pays de Québec et le Canada tout entier, qui ont inscrit le nom canadien au rôle de l'honneur et ont fort allongé la liste des héros dont nous pouvons nous réclamer. »


Après avoir lu pareil écrit, on comprend pourquoi Lionel Groulx ne pouvait porter un Louvigny de Montigny dans son coeur et qu'il ne put s'empêcher, même à la fin des années cinquante, de le stigmatiser comme étant "associé à une Juive", le mélange des races étant précisément la prétendue "horreur suprême" que Groulx avait voulu dénoncer dans son roman pourri "L'Appel de la race"... que Louvigny avait eu l'effronterie de critiquer, plus de 35 ans plus tôt.

Quand les nationaleux utilisent le prétexte du "contexte" pour justifier l'idéologie réactionnaire et d'extrême-droite de ces minables crapules qui leur servent de héros, de même que leur parti-pris pro-fasciste durant la guerre, ils se révèlent au mieux d'une ignorance tout à fait crasse, et au pire d'une révoltante hypocrisie. En plus, ils se moquent de nous, en nous prenant tous pour des cruches épaisses qu'ils n'ont qu'à remplir de leurs préjugés et de leurs faussetés quant à l'histoire réelle.

C'est que des esprits humanistes, démocrates, libres-penseurs, des esprits donc qui surent, au contraire des nationaleux réacs, faire preuve, eux, de décence humaine devant la nécessité de combattre la barbarie fasciste, nous en avions bel et bien plein au Québec. Louvigny de Montigny était l'un de ceux-là, comme le montre cet extrait de sa préface à Au pays de Québec. Et ils étaient tous issus du même "contexte" historique que nos leaders nationalistes réactionnaires, sauf qu'ils auront, eux, fait le choix de lutter contre la barbarie du fascisme, au lieu d'en chanter les louanges comme Lionel Groulx, Maxime Raymond, Roger Varin et consorts...

Les nationalistes, en nous privant de la connaissance de la vie et de l'oeuvre des vrais champions de nos libertés, et en leur refusant toute commémoration alors qu'ils ne cessent de vénérer le souvenir des crapules qui servaient de leaders à leur mouvement réactionnaire, nous ont volé notre propre histoire. En plus, ce qu'ils ont fait au souvenir de nos hommes et femmes de culture qui étaient anti-réactionnaires, témoigne de la haine de la culture qui, je suis l'un de ceux qui le croient profondément, est consubstantielle à la rhétorique nationaliste. Tout cela ne devrait-il pas pouvoir choquer, au moins un peu, les Québécois ? Il est plus que temps qu'ils s'ouvrent enfin les yeux, il me semble...

Mais je me console en me disant que c'est la première fois, par le moyen de ce modeste blogue, que cet écrit de Louvigny de Montigny se voit diffusé sur le web. Un peu comme une bouteille lancée à la mer, j'espère que d'autres le liront, et qu'ils le feront connaître à leur tour. Ce ne serait que rendre justice à Louvigny de Montigny que de contribuer à ce que ce grand homme de culture, qui fut l'un des meilleurs des nôtres, sorte enfin de l'oubli dans lequel il a été maintenu jusqu'ici...

"Je me souviens", qu'y disent...