vendredi, avril 11, 2008



Mes amis nationaleux
vont être jaloux...

En bouquinant aujourd'hui (en fait en mettant sens-dessus-dessous une superbe librairie d'occasions peu connue mais pleine de trésors, Bibliomanie, rue Ste-Catherine Ouest), j'ai obtenu une récolte plus qu'intéressante.

D'abord, un volume comprenant l'intégralité des pièces du procès de la cause judiciaire, en 1893, de la Canada-Revue contre l'archevêque de Montréal. La Canada-Revue était une publication littéraire montréalaise animée par des esprits libres, dont le grand Louis Fréchette, qui ne tenaient pas à se laisser museler par la censure cléricale. Procès épique que celui-là, qui montre combien la liberté de penser au Québec était combattue par les cléricaux-nationaleux, et aussi combien les gens d'esprits libres savaient se battre brillamment contre la pensée unique du temps. Soulignons en passant que ce livre fut publié en 1894, en français et sous les soins de l'anticlérical Aristide Filiatrault qui en a organisé le contenu, par un éditeur anglophone, John Lovell & Son... probablement un autre de ces ogres anglos qui, aux dires de nos nationaleux, se sont toujours évertués à étouffer la culture francophone de chez nous...

J'ai fait plein d'autres trouvailles inespérées, mais celle qui est de loin la meilleure s'avère d'une tout autre mouture que ce livre que je viens de mentionner ; en fait, cette trouvaille est surtout d'un très grand intérêt pour mes bons amis nationaleux (précision, au cas où : par nationaleux, je veux dire les nationalistes sectaires comme Paul-Henri Frenière le Béotien de Saint-Hyacinthe, le bouffon enragé Pierre Falardeau, l'Anonyme Martyr Nationaleux, les "Jean Dunois" et "Marianne Vaucouleurs" du site Vigile, la gang du journal Le Québécois et autres réactionnaires et illuminés du même acabit. Ceux qui sont démocrates dans la mouvance indépendantiste et qui se montrent capables de discuter ou débattre intelligemment, je les appelle indépendantistes, tel que je l'ai précisé à quelques reprises dans ce blogue).

Mes amis nationaleux vont en baver de jalousie : la trouvaille en question, c'est un petit livre, publié en 1943 à Montréal par les éditions Fides, d'une très haute valeur historique. Son titre est très touchant : Pétain dans ses plus beaux textes. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Pétain, Philippe de son prénom, était un maréchal de l'armée française qui, lors de l'invasion allemande de la France en 1940, avait pris la tête d'un régime ultraréactionnaire et d'extrême-droite, appelé régime de Vichy, qui avait collaboré avec les nazis pour mieux étouffer la France démocratique et progressiste, c'est-à-dire cette France de la République et des Lumières. Sur la photo ci-haut, on peut voir Pétain, à gauche, serrant la main d'Hitler à Montoire, le 24 octobre 1940, jour où Pétain annonça la politique de collaboration de son régime avec l'occupant nazi.

Durant les années d'occupation nazie de la France, l'intelligentsia nationaliste québécoise se pâmait de ferveur pour le régime collaborationniste et pro-nazi de Pétain. Lionel Groulx vantait constamment les mérites et chantait la gloire de ce régime correspondant parfaitement à ses rêves réactionnaires, dont, soit dit en passant, se réclamait il n'y a pas très longtemps le directeur du journal réactionnaire Le Québécois et fidèle parmi les fidèles disciples de l'Imam Falardeau, l'ineffable docteur Patrick Bourgeois, qui invoquait béatement "le rêve de Lionel Groulx" pour parler du beau genre de société que lui et ses semblables cherchent de nos jours à imposer aux Québécois.

Si je vous disais que mes amis nationaleux vont en baver de jalousie, les pauvres, c'est que l'exemplaire que j'ai acheté aujourd'hui de ce livre, publié dans la Collection du message français, dont la charmante vocation consistait à diffuser chez nous les écrits de l'extrême-droite collaborationniste française, est très spécial. En effet, en page 3 du livre, on retrouve, imprimée, la mention suivante:

Roger Varin, directeur de la COLLECTION DU MESSAGE FRANÇAIS, a fait tirer de cet ouvrage cent dix exemplaires, dont dix exemplaires hors-commerce, sur papier coquille teinté, numérotés de I à X, le premier exemplaire réservé à
MONSIEUR MAXIME RAYMOND

CHEF DU BLOC POPULAIRE CANADIEN

et cent exemplaires sur papier coquille blanc
numérotés de 1 à 100.

Cet ouvrage est publié selon une permission spéciale du chef de l'État français, le Maréchal Pétain, accordée au directeur de la COLLECTION DU MESSAGE FRANÇAIS.


Figurez-vous donc que l'exemplaire que j'ai acheté aujourd'hui est numéroté du chiffre romain I, et qu'il porte la dédicace suivante, écrite à la main:

Monsieur Raymond,
Écoutons le Maréchal qui nous invite à la plus haute espérance.
Roger Varin, 29 mai 1943

Juste à droite, en guise de présentation de l'émouvant recueil de discours du chef de la collaboration avec les nazis en France, nous trouvons le texte suivant, dont le lyrisme n'est pas sans similitude avec celui des textes publiés de nos jours dans le journal réactionnaire Le Québécois :

Nous formons un groupe de jeunes. Et nous croyons - à cause de leur logique, de leur force intérieure et de leur orientation vers le Vrai But - que les harangues reproduites dans ces pages se trouvent les plus belles de l'Histoire.

Elles composent - pour nos temps d'aujourd'hui - un message sain, solide, conforme à la vérité, le plus digne peut-être de figurer dans celle collection du message français.

Le programme de rénovation spirituelle et matérielle qu'elles proposent devrait inspirer nos coeurs dans la reconstruction nécessaire de notre pays.


Eh oui ! c'est donc moi, l'affreux rouge, celui que les nationaleux réactionnaires désignent, dans le délire de leurs fantasmes, comme le "vil scélérat" et "mercenaire de la plume" "grassement payé" par les "forces immondes qui ne songent qu'à assujettir le Québec", qui suis désormais le propriétaire de cette superbe pièce de collection faisant partie du plus beau patrimoine littéraire de nos nationaleux réactionnaires. Je peux comprendre l'immense frustration que nos nationaleux doivent ressentir en songeant au fait que je souille de mes mains sales et gluantes ce joyau littéraire propre à nourrir leur ferveur réactionnaire, et qui, pour cette raison, aurait dû leur revenir à eux.

Rappelons que Maxime Raymond, à qui cet exemplaire fut solennellement remis, était le chef du Bloc populaire canadien, un parti ultranationaliste, ultracatholique et crypto-fasciste qui s'opposait farouchement à la participation du Canada à la guerre contre la barbarie nazie. C'est que, pour ce parti dont Lionel Groulx était le maître à penser, les méchants c'était les Anglais, et les fascistes étaient les bons. Après sa carrière politique qui prit fin en 1949, Maxime Raymond a admirablement su continuer à se dévouer pour le rayonnement de l'idéologie réactionnaire : fondateur de la Fondation Lionel-Groulx, du nom du gourou des réactionnaires et autour de laquelle gravite toujours l'essentiel de notre intelligentsia nationaliste, Raymond n'aura entre autres pas manqué de s'impliquer dans les campagnes visant à protéger des traîtres à leur nation, assassins de résistants français et collabos nazis "réfugiés" au Québec après la guerre, dont le sinistre Bernonville.

Il est également à souligner qu'était inséré dans le précieux exemplaire dont je suis désormais l'indigne propriétaire, un vieil article de journal prenant la défense de Pétain durant son procès après la Libération, et que Maxime Raymond avait vraisemblablement découpé afin de le conserver précieusement, ce qui indique assez clairement que sa dévotion pour Pétain se poursuivait même après qu'aient été pleinement dévoilés les faits entourant son régime tyrannique et la réalité de sa trahison à l'égard de son propre pays.

Remarquons également que certains héros plus contemporains à nous du mouvement nationaliste, Camille Laurin et Denis Lazure par exemple, étaient eux aussi de fervents défenseurs de Bernonville et des autres collabos "réfugiés" chez nous. Laurin approchait la trentaine à cette époque, donc ce n'était pas une simple erreur de jeunesse, et Lazure avait environ 25 ans. Les deux ne se sont jamais dédits de leur édifiant engagement en faveur de ces crapules collabos. Sur l'affaire des collabos réfugiés français "réfugiés" au Québec, ceux et celles qui veulent en savoir plus liront avec intérêt le livre d'Yves Lavertu : L'Affaire Bernonville, éditions VLB, 1994. Ils visionneront avec autant d'intérêt le documentaire d'Éric Scott, Je me souviens.

D'où, je dois dire, mon plus grand amusement quand j'entends de nos jours nos nationaleux réactionnaires traiter de "traîtres", de "collabos" ou de "valets de l'occupant" les Québécois francophones qui commettent l'hérésie de s'opposer à leurs "rêves" totalitaires... Au vu et au su de l'histoire de leur propre mouvement qui avait pris la défense de vrais traîtres, de vrais collabos et de vrais valets de l'occupant, le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas une poutre que nos nationaleux réactionnaires ont dans l'oeil, mais plutôt un édifice de cinquante étages... :-)

P. S. : Bibliophiles à la recherche de trésors, allez faire un tour à la librairie Bibliomanie (514-933-8156), où j'ai déniché ce joyau et bien d'autres vieux ouvrages de qualité et rares. En plus de l'immensité du choix, son propriétaire est un Monsieur très gentil et passionné de son métier avec qui j'ai trouvé plaisir à discuter longuement...