Un peu de solidarité
par Daniel Laprès
Article paru dans La Presse du samedi 15 avril 2006, dans le cadre de la rubrique «Québec Grand Angle»
Dans La Presse du 25 mars dernier, l’ex-ministre péquiste Louise Beaudoin signait un texte, intitulé « Des nouvelles du français». Sauf que Mme Beaudoin, parlant de la situation du français autour de la planète, a omis d’évoquer nos compatriotes francophones des autres provinces canadiennes. Selon le dernier recensement, ceux-ci sont tout de même 941 560. Il peut donc valoir la peine de prendre aussi des nouvelles du français… chez nous!
Je reste toujours perplexe devant le nationalisme québécois d’aujourd’hui qui ignore - quand il ne la nie pas - la réalité de ce quasi-million de francophones qui vivent ailleurs au pays. Les indépendantistes affirment vouloir faire du Québec un pays pour préserver la langue et l’identité françaises en Amérique du Nord. Pourtant, si leur projet se réalisait, ceci entraînerait la disparition, à assez court terme, de presque un million de francophones au Canada. Ce qui est une manière discutable, soit dit en passant, de favoriser l’épanouissement de la culture française.
Pire encore, cette ignorance s’accompagne souvent d’une indifférence et d’une condescendance carrément choquantes, car elles proviennent de Québécois assoiffés de «reconnaissance» pour leur identité linguistique et culturelle, mais qui, en même temps, refusent dans les faits de reconnaître l’existence de leurs centaines de milliers de compatriotes francophones des autres provinces. Il suffit de n’en connaître que quelques-uns pour constater que cette indifférence et cette condescendance sont bien réelles, et durement subies. La condescendance, c’est lorsque certains s’empressent de prétendre que les francophones hors-Québec s’assimilent allègrement, ou encore lorsqu’ils dénigrent la qualité de leur français parlé. Et l’indifférence, c’est lorsque certains, pourtant obsédés pour la langue française et qui, pour cette raison, justifient l’indépendance du Québec, se foutent éperdument des conséquences qui s’ensuivraient pour l’avenir linguistique de 941 560 parmi les 6 703 325 francophones canadiens.
Si nous, Québécois censés être si attachés au français, voulions vraiment assumer pleinement notre langue et notre culture, nous serions d’abord moins indifférents et condescendants, sinon moins ignorants, face à la réalité de ceux qui vivent dans le même pays que le nôtre et qui partagent notre langue, notre culture, notre histoire et les mêmes racines que nous. Et, puisque nous avons tendance à nous prétendre plus «solidaires» au Québec que partout ailleurs au Canada, nous serions dans les faits davantage solidaires avec eux, et nous développerions de vrais liens institutionnels, culturels, économiques, et aussi politiques avec ces communautés bien vivantes.
Donc, au lieu de dénoncer hypocritement leur assimilation, nous devrions plutôt agir concrètement en partageant avec eux nos expériences et nos ressources et, aussi, nous devrions les reconnaître beaucoup mieux que nous ne le faisons présentement. En fait nous nous rendrions compte qu’eux aussi ont beaucoup à nous apprendre, ne serait-ce qu’en terme de ténacité, de courage et d’attachement à notre langue française. Car, eux, ils savent ce que c’est que de perpétuer sa culture et sa langue dans un contexte minoritaire, et en acceptant d’apprendre d’eux à cet égard, nous serions alors mieux à même de contribuer à renforcer le fait français en Amérique, puisque nous serions vraiment solidaires dans cette tâche.
Nous découvririons aussi leur dynamisme culturel : à chaque fois que je voyage dans ces communautés, je suis admiratif devant la haute qualité de leurs écrivains, de leurs artistes, de leurs chansonniers. Il y a en même parmi nous, ici à Montréal : les auteurs-compositeurs-interprètes Édouard Lamontagne et Geneviève Toupin par exemple, originaires du Manitoba. Allez les voir se produire en salle, et vous serez alors moins convaincus de ce que certains prétendent au sujet de l’absence de vitalité de la culture française dans les autres provinces canadiennes.
Parlant des écrivains francophones des autres pays, Mme Beaudoin écrivait: «Ils écrivent en français […] et cette langue leur appartient autant qu’aux Français.» Mme Beaudoin a bien raison. Mais il est dommage que trop de Québécois ne semblent pas reconnaître que la langue française appartient aussi à des centaines de milliers de francophones vivant dans le même pays que le nôtre, et que l’avenir du français les concerne autant que nous. Mais pour cela, il faudrait peut-être qu’on arrive à admettre que leur pays, c’est aussi le nôtre, et que nous gagnerions mutuellement à y prendre toute notre place, solidairement.