Les atouts de Bob Rae
Voici un article tiré du Devoir d'aujourd'hui (6 avril 2006), et signé par le chroniqueur Norman Spector du Globe and Mail. Je vous reviendrai sous peu en exposant les raisons pour lesquelles j'appuie Bob Rae comme prochain leader du parti libéral du Canada.
Voici un article tiré du Devoir d'aujourd'hui (6 avril 2006), et signé par le chroniqueur Norman Spector du Globe and Mail. Je vous reviendrai sous peu en exposant les raisons pour lesquelles j'appuie Bob Rae comme prochain leader du parti libéral du Canada.
Si l'ancien premier ministre néo-démocrate de l'Ontario, Bob Rae, devient chef du Parti libéral du Canada, la bonne nouvelle pour Stephen Harper se trouvera juste au-dessus de la ceinture. C'est que le député dégingandé des années 70 n'est plus en aussi bonne forme aujourd'hui. M. Harper, dont la panse alimente beaucoup de discussions dans les médias, pourra respirer et peut-être même relâcher sa ceinture d'un cran.
Les mauvaises nouvelles, elles, viendront de plusieurs endroits, à commencer par au-dessus de ses épaules. Du point de vue intellectuel, le lauréat d'une bourse Rhodes à l'université Oxford serait un adversaire sur mesure pour M. Harper. Et, à la différence de l'ancien universitaire et candidat putatif à la course à la chefferie libérale, le député Michael Ignatieff, M. Rae a déjà été mis à l'épreuve d'un point de vue politique, et ce, aux plus hauts niveaux.
Malgré une décennie passée en retrait de la vie politique, M. Rae peut encore capter l'attention d'une foule avec un discours improvisé, comme en fait foi sa performance de la semaine dernière à l'université de Victoria. Pendant la période de questions qui a suivi son discours, M. Rae a démontré qu'il pouvait encore bien réfléchir, et vite.
Son discours portait sur l'importance des universités et sur la nécessité de favoriser les investissements publics, une façon pour lui de dorer la pilule à un public gauchiste qui se méfie de la nécessité de concurrencer l'Inde et la Chine. C'est sur cette réconciliation de l'économie de marché avec un gouvernement activiste que M. Rae ferait campagne s'il se présentait à la course libérale, avec, en tête, la perspective d'une réunification de la gauche politique sous son leadership.
Ses messages positifs seraient accompagnés d'une critique des gouvernements de droite qui, de son point de vue, n'ont rien d'autre à offrir que des réductions d'impôt, une déréglementation et des privatisations. Comme M. Rae l'a exprimé, pourquoi le Canada emprunterait-il un modèle américain qui n'a pas réussi aux États-Unis?
Après son discours, M. Rae et moi avons pris un verre. Il m'a expliqué qu'il était prêt à se rallier au Parti libéral après avoir rejeté cette proposition pendant toute sa carrière politique. En effet, il se dit préoccupé par Stephen Harper et son entourage. Il s'est également dit inquiet de la perspective d'un troisième référendum au Québec. En féroce partisan de la vision libérale, M. Rae n'est même pas prêt à concéder que la réunification de la famille conservatrice et la reconstitution d'un système politique concurrentiel correspondaient à l'intérêt national, bien qu'il ait reconnu du même souffle que Paul Martin a bien mérité sa défaite électorale.
Avec la défection de l'ancien ministre libéral de Vancouver, David Emerson, et l'élection d'un libéral à titre de président de la Chambre des communes hier, Jack Layton et Stephen Harper sont en mesure de poursuivre leur intérêt commun mais non déclaré, c'est-à-dire réduire les appuis du Parti libéral. Avec ses racines bien implantées au NPD, M. Rae serait bien placé pour contrer cette manoeuvre. Il pourrait même contribuer à concrétiser le plus mauvais cauchemar de Jack Layton, soit une scission au sein même de son parti, si les électeurs traditionnellement néo-démocrates, paniquant à la perspective d'élire un gouvernement majoritaire conservateur, suivent le conseil du leader syndical Buzz Hargrove et décident de se rallier au Parti libéral.
Mieux que la plupart des autres candidats à la chefferie, M. Rae pourrait aussi contrecarrer un autre élément de la stratégie conservatrice, soit une représentation accrue au Québec. Bob Rae parle un excellent français, bien meilleur que celui de M. Harper, à en juger par l'entrevue qu'il a accordée à Radio-Canada à la suite du discours de Victoria. En tant que nouveau venu au Parti libéral, il n'a pas été entaché par le scandale des commandites. Et, contrairement à M. Ignatieff, qui a beaucoup écrit sur le nationalisme, M. Rae n'a aucun cadavre qu'on pourrait sortir de son placard pendant une campagne électorale.
Alors que M. Rae a toujours été perçu favorablement au Québec, c'est son bilan à titre de premier ministre de l'Ontario qui fait saliver les conservateurs et demeure une préoccupation pour beaucoup de libéraux. Même si M. Harper est reconnu comme un fin stratège, je ne peux pas concevoir qu'il ait envie de passer la prochaine campagne électorale à échanger des récriminations sur ce que l'un ou l'autre aurait dit ou fait il y a 15 ans. En fait, pour former un gouvernement majoritaire aux prochaines élections, le Parti conservateur devra présenter M. Harper comme un homme qui a évolué, ce qui sera impossible à faire sans reconnaître, du moins en principe, que M. Rae peut avoir changé lui aussi.
Stephen Harper et Bob Rae sont tous deux capables de faire prendre un peu de hauteur au discours politique canadien. Pour cette raison, j'espère que M. Rae se présentera à la chefferie du Parti libéral du Canada.
***
Norman Spector est chroniqueur politique au Globe and Mail.
Les mauvaises nouvelles, elles, viendront de plusieurs endroits, à commencer par au-dessus de ses épaules. Du point de vue intellectuel, le lauréat d'une bourse Rhodes à l'université Oxford serait un adversaire sur mesure pour M. Harper. Et, à la différence de l'ancien universitaire et candidat putatif à la course à la chefferie libérale, le député Michael Ignatieff, M. Rae a déjà été mis à l'épreuve d'un point de vue politique, et ce, aux plus hauts niveaux.
Malgré une décennie passée en retrait de la vie politique, M. Rae peut encore capter l'attention d'une foule avec un discours improvisé, comme en fait foi sa performance de la semaine dernière à l'université de Victoria. Pendant la période de questions qui a suivi son discours, M. Rae a démontré qu'il pouvait encore bien réfléchir, et vite.
Son discours portait sur l'importance des universités et sur la nécessité de favoriser les investissements publics, une façon pour lui de dorer la pilule à un public gauchiste qui se méfie de la nécessité de concurrencer l'Inde et la Chine. C'est sur cette réconciliation de l'économie de marché avec un gouvernement activiste que M. Rae ferait campagne s'il se présentait à la course libérale, avec, en tête, la perspective d'une réunification de la gauche politique sous son leadership.
Ses messages positifs seraient accompagnés d'une critique des gouvernements de droite qui, de son point de vue, n'ont rien d'autre à offrir que des réductions d'impôt, une déréglementation et des privatisations. Comme M. Rae l'a exprimé, pourquoi le Canada emprunterait-il un modèle américain qui n'a pas réussi aux États-Unis?
Après son discours, M. Rae et moi avons pris un verre. Il m'a expliqué qu'il était prêt à se rallier au Parti libéral après avoir rejeté cette proposition pendant toute sa carrière politique. En effet, il se dit préoccupé par Stephen Harper et son entourage. Il s'est également dit inquiet de la perspective d'un troisième référendum au Québec. En féroce partisan de la vision libérale, M. Rae n'est même pas prêt à concéder que la réunification de la famille conservatrice et la reconstitution d'un système politique concurrentiel correspondaient à l'intérêt national, bien qu'il ait reconnu du même souffle que Paul Martin a bien mérité sa défaite électorale.
Avec la défection de l'ancien ministre libéral de Vancouver, David Emerson, et l'élection d'un libéral à titre de président de la Chambre des communes hier, Jack Layton et Stephen Harper sont en mesure de poursuivre leur intérêt commun mais non déclaré, c'est-à-dire réduire les appuis du Parti libéral. Avec ses racines bien implantées au NPD, M. Rae serait bien placé pour contrer cette manoeuvre. Il pourrait même contribuer à concrétiser le plus mauvais cauchemar de Jack Layton, soit une scission au sein même de son parti, si les électeurs traditionnellement néo-démocrates, paniquant à la perspective d'élire un gouvernement majoritaire conservateur, suivent le conseil du leader syndical Buzz Hargrove et décident de se rallier au Parti libéral.
Mieux que la plupart des autres candidats à la chefferie, M. Rae pourrait aussi contrecarrer un autre élément de la stratégie conservatrice, soit une représentation accrue au Québec. Bob Rae parle un excellent français, bien meilleur que celui de M. Harper, à en juger par l'entrevue qu'il a accordée à Radio-Canada à la suite du discours de Victoria. En tant que nouveau venu au Parti libéral, il n'a pas été entaché par le scandale des commandites. Et, contrairement à M. Ignatieff, qui a beaucoup écrit sur le nationalisme, M. Rae n'a aucun cadavre qu'on pourrait sortir de son placard pendant une campagne électorale.
Alors que M. Rae a toujours été perçu favorablement au Québec, c'est son bilan à titre de premier ministre de l'Ontario qui fait saliver les conservateurs et demeure une préoccupation pour beaucoup de libéraux. Même si M. Harper est reconnu comme un fin stratège, je ne peux pas concevoir qu'il ait envie de passer la prochaine campagne électorale à échanger des récriminations sur ce que l'un ou l'autre aurait dit ou fait il y a 15 ans. En fait, pour former un gouvernement majoritaire aux prochaines élections, le Parti conservateur devra présenter M. Harper comme un homme qui a évolué, ce qui sera impossible à faire sans reconnaître, du moins en principe, que M. Rae peut avoir changé lui aussi.
Stephen Harper et Bob Rae sont tous deux capables de faire prendre un peu de hauteur au discours politique canadien. Pour cette raison, j'espère que M. Rae se présentera à la chefferie du Parti libéral du Canada.
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Norman Spector est chroniqueur politique au Globe and Mail.