vendredi, décembre 23, 2005

De la calomnie
par Daniel Laprès
Article paru dans La Presse, sous la rubrique «Québec Grand Angle», le 23 décembre 2005

Alors que le Bloc québécois domine allègrement dans les sondages, sa campagne est marquée par certaines pratiques et attitudes qui devraient nous inciter à réfléchir un peu.

De nos jours, de moins en moins de personnes de valeur se lancent en politique. C’est pourquoi on devrait tous se réjouir d’une candidature de l’envergure de celle d’un Marc Garneau, car toute notre vie démocratique y gagne. Malheureusement, dès l’annonce de cette candidature libérale prestigieuse, le premier réflexe du Bloc a été d’utiliser la matraque de la calomnie, en déformant grossièrement une vieille déclaration de M. Garneau, afin de laisser croire qu’il serait contre l’appui public aux personnes démunies ou limitées physiquement ou intellectuellement.

La déclaration en question date de 1986. Or, quelques années à peine avant, Gilles Duceppe était encore l’un des dirigeants d’une organisation maoïste. S’il fallait appliquer la logique bloquiste employée contre M. Garneau, faudrait-il accabler M. Duceppe avec ses propres louanges de l’époque à Mao Tsé Toung. Je crois que ce serait là le calomnier bassement. En fait, notre vie démocratique a besoin de l’exact contraire d’une pratique aussi vicieuse, à laquelle le Bloc a cependant recouru sans hésiter. Avec la perspective de se voir sournoisement sali de la sorte, pas surprenant que les gens de qualité répugnent à s’engager en politique.

Ensuite, le Bloc s’efforce de faire mousser le cynisme à son profit, en évoquant constamment les «libéraux corrompus». Pourtant, le rapport Gomery a clairement démontré que le scandale des commandites était le fait d’une poignée de parasites, contre lesquels d’ailleurs, à moins d’être hypocrite, aucun parti ne peut prétendre être immunisé. Au fait, Jean Brault, président de Groupaction, n’a-t-il pas affiché ses convictions souverainistes? Cet individu n’est donc pas un libéral, mais un pur profiteur. D’ailleurs, sans la commission Gomery, personne n’aurait découvert les importantes sommes d’argent livrées par Brault au Parti québécois lorsque ce dernier était au pouvoir. Évidemment, le Bloc ne parle pas de ces choses et, contre la vérité des faits, il choisit la démagogie en salissant tous les libéraux québécois, car selon lui les indépendantistes auraient le monopole exclusif de la vertu.

En politique, on devrait toujours respecter la dignité de ses adversaires. Personnellement, bien que je ne pense pas comme eux, je reconnais néanmoins que plusieurs militants indépendantistes font preuve d’un grand dévouement au nom de leur idéal, sans attendre rien en retour pour eux-mêmes. Et cela inspire le respect, sinon l’admiration. Mais les militants libéraux méritent le même respect. Dans le Québec d’aujourd’hui, être un libéral, ou même seulement un fédéraliste, c’est faire preuve d’une grande force de conviction, sinon d’abnégation. Les militants libéraux sont des citoyens qui croient suffisamment à leurs idéaux pour s’engager quand même dans une campagne où l’adversité est particulièrement dure contre eux. Mais ainsi, ils contribuent au maintien de notre vie démocratique. Ne serait-ce que pour cette raison, ils méritent bien autre chose que d’être traités de «corrompus», surtout quand ce sont leurs propres idéaux qui ont été souillés par une clique de parasites qu’ils méprisent eux aussi.

M. Duceppe et le Bloc devraient donc faire preuve de bien plus de classe que ce qu’ils ont montré jusqu’à présent, en respectant davantage l’engagement démocratique de leurs adversaires au lieu de les calomnier, ou encore d’appeler à les «faire disparaître». En démocratie, il faut qu’il y ait des camps adverses pour que soit préservée la pluralité des options. Autrement, ce serait se situer dans une logique de parti unique, selon laquelle l’adversaire doit être rayé de la carte. En passant, la calomnie, en plus d’être une pratique totalitaire bien connue, constitue une autre manière d’en arriver au même résultat…

En politique, c’est souvent dans le succès que l’on révèle qui on est vraiment. C’est pourquoi ces attitudes du Bloc ont de quoi laisser songeur, surtout à l’heure où notre démocratie éprouve un cruel besoin d’hommes et de femmes politiques qui savent faire preuve de dignité et de respect dans le débat politique, et qui sont capables d’inspirer les citoyens dans ce qu’ils portent de meilleur.

Remarque: En lisant La Presse ce matin, je découvre que la députée libérale et candidate dans la circonscription de Gatineau, Françoise Boivin, a lancé des insultes grossières contre Gilles Duceppe. Bon sang, quand les politiciens vont-ils finir par comprendre que les insultes contres l'adversaire ne font qu'écoeurer les citoyens par rapport à la politique? En tout cas, je trouve ironique, et plutôt exaspérant, de constater que ces insultes de la part d'une candidate libérale sont publiées le même jour et dans le même journal où j'appelle à plus de dignité et de respect dans le débat politique. Il faut espérer que le message passe, et que des citoyens et citoyennes, de plus en plus nombreux, fassent savoir aux politiciens qu'ils veulent que les choses changent radicalement à cet égard...