Par Daniel Laprès
Article paru dans La Presse du 11 février 2006, p. A-25, dans le cadre de la rubrique «Québec Grand Angle».
Durant la récente campagne électorale, Gilles Duceppe est souvent revenu sur le thème de la «Différence». En gros, ça donnait ceci: «On-vous-aime-bien-les-Canadiens-anglais-mais-nous-les-Québécois-sommes-différents-de-vous-donc-on-se-sépare», le tout enrobé du désormais obligatoire : «Le-Québec-est-une-Nation», devenu une espèce de mantra qu’on répète sans trop se poser de questions.
Sur la «Différence» d’abord, il y aurait pourtant beaucoup à discuter. Que le Québec soit «différent» des autres provinces canadiennes, c’est l’évidence même des choses, et il serait idiot de ne pas le reconnaître. Mais que dire de cette tendance à faire de cette «différence» un absolu qui justifierait le démantèlement du Canada? Qu’on regarde le monde d’aujourd’hui, où sont souvent attisées les divisions ethniques et religieuses, avec leur cortège d’intolérance et de fanatismes, tout cela au nom de la sacro-sainte «différence» identitaire. Mais j’entends déjà pousser les hauts cris de nos indépendantistes et nationalistes, dont plusieurs sont éminemment doués dans l’art de simuler l’indignation: «Parler ainsi, c’est insulter les Québécois!» Pourtant, je ne fais là que poser certaines questions et, de toute façon, ce n’est pas la société québécoise que je questionne, mais seulement le culte de la «différence» auquel s’adonnent certains leaders politiques d’ici.
À moins que soit interdite chez nous la liberté de penser et de débattre, ces dérives identitaires devraient donc au moins en inciter quelques-uns à réfléchir sur le phénomène pas très rassurant qu’elles entraînent pour une humanité dont nous aussi, au Québec, faisons partie. Bien sûr, certains prétendent que le Québec serait immunisé contre ce genre de phénomène, comme si nous étions au-dessus de tous les autres peuples de la planète, alors qu’en réalité nous ne sommes ni pires, ni meilleurs qu’eux. S’il en était autrement, comment alors expliquer l’appui et la complaisance, tacites mais bien réels, de l’élite politique et intellectuelle indépendantiste à l’égard des positions intolérantes et haineuses de la frange la plus réactionnaire et antidémocratique du mouvement nationaliste, qu’incarne par exemple un Pierre Falardeau, ce «marginal» autoproclamé qui est pourtant célébré par nombre de dirigeants de partis aussi influents que le PQ et le Bloc, et devant lequel se prosternent les médias?
Sur la question de la «Nation», on pourrait aussi s’interroger. Que les Québécois se distinguent par la langue et la culture françaises, cela saute aux yeux. Mais est-ce suffisant pour faire du Québec une «Nation»? Une certaine confusion règne à ce sujet chez les indépendantistes eux-mêmes, car si certains évoquent un nationalisme «territorial», d’autres, dont l’influence n’est pas à négliger, se revendiquent de considérations essentiellement ethniques. Pour démontrer davantage jusqu’à quel point cette confusion peut mener, je peux évoquer l’exemple de mon coloc, un Franco-Manitobain qui étudie en science politique à l’UQAM, où il est constamment exposé au débat national québécois. Lui qui pourtant a grandi et étudié en français dans sa province natale, lui dont le nom est Simard et qui de ce fait a les mêmes origines, la même langue, et la même culture que les francophones du Québec, lui qui en plus est issu d’une communauté dont l’histoire est intimement liée au Québec, lui donc me disait récemment qu’il se sent carrément exclu de la «Nation» québécoise. Tout ceci comme si lui et le million d’autres francophones hors-Québec n’existaient pas, comme si également ils devaient représenter le moindre de nos soucis, tandis que leur avenir linguistique est pourtant étroitement lié à la participation du Québec au sein du Canada.
Ce dernier exemple bien concret rappelle que tout cet engouement pour la «Différence» et la «Nation» qui a été imposé dans le débat politique québécois soulève des questions qui méritent d’être débattues, et non pas étouffées. Mais le nationalisme a tellement adopté chez nous les apparences d’une idéologie obligatoire que, pour y parvenir, il faudra bien que certains osent faire preuve d’hérésie en posant ouvertement certaines questions, dont celles-ci : faut-il absolument être nationaliste pour assumer son identité linguistique et culturelle? À l’heure des haines ethniques et religieuses, est-il si insensé de concevoir que des gens aux origines et cultures différentes puissent participer à un pays comme le Canada?
Dans le Québec d’aujourd’hui, il faudrait que davantage d’hérétiques prennent la parole, pour que ces questions, et bien d’autres, puissent enfin être posées. Car une société sans hérésie, c’est une société qui refuse de progresser.
Sur la «Différence» d’abord, il y aurait pourtant beaucoup à discuter. Que le Québec soit «différent» des autres provinces canadiennes, c’est l’évidence même des choses, et il serait idiot de ne pas le reconnaître. Mais que dire de cette tendance à faire de cette «différence» un absolu qui justifierait le démantèlement du Canada? Qu’on regarde le monde d’aujourd’hui, où sont souvent attisées les divisions ethniques et religieuses, avec leur cortège d’intolérance et de fanatismes, tout cela au nom de la sacro-sainte «différence» identitaire. Mais j’entends déjà pousser les hauts cris de nos indépendantistes et nationalistes, dont plusieurs sont éminemment doués dans l’art de simuler l’indignation: «Parler ainsi, c’est insulter les Québécois!» Pourtant, je ne fais là que poser certaines questions et, de toute façon, ce n’est pas la société québécoise que je questionne, mais seulement le culte de la «différence» auquel s’adonnent certains leaders politiques d’ici.
À moins que soit interdite chez nous la liberté de penser et de débattre, ces dérives identitaires devraient donc au moins en inciter quelques-uns à réfléchir sur le phénomène pas très rassurant qu’elles entraînent pour une humanité dont nous aussi, au Québec, faisons partie. Bien sûr, certains prétendent que le Québec serait immunisé contre ce genre de phénomène, comme si nous étions au-dessus de tous les autres peuples de la planète, alors qu’en réalité nous ne sommes ni pires, ni meilleurs qu’eux. S’il en était autrement, comment alors expliquer l’appui et la complaisance, tacites mais bien réels, de l’élite politique et intellectuelle indépendantiste à l’égard des positions intolérantes et haineuses de la frange la plus réactionnaire et antidémocratique du mouvement nationaliste, qu’incarne par exemple un Pierre Falardeau, ce «marginal» autoproclamé qui est pourtant célébré par nombre de dirigeants de partis aussi influents que le PQ et le Bloc, et devant lequel se prosternent les médias?
Sur la question de la «Nation», on pourrait aussi s’interroger. Que les Québécois se distinguent par la langue et la culture françaises, cela saute aux yeux. Mais est-ce suffisant pour faire du Québec une «Nation»? Une certaine confusion règne à ce sujet chez les indépendantistes eux-mêmes, car si certains évoquent un nationalisme «territorial», d’autres, dont l’influence n’est pas à négliger, se revendiquent de considérations essentiellement ethniques. Pour démontrer davantage jusqu’à quel point cette confusion peut mener, je peux évoquer l’exemple de mon coloc, un Franco-Manitobain qui étudie en science politique à l’UQAM, où il est constamment exposé au débat national québécois. Lui qui pourtant a grandi et étudié en français dans sa province natale, lui dont le nom est Simard et qui de ce fait a les mêmes origines, la même langue, et la même culture que les francophones du Québec, lui qui en plus est issu d’une communauté dont l’histoire est intimement liée au Québec, lui donc me disait récemment qu’il se sent carrément exclu de la «Nation» québécoise. Tout ceci comme si lui et le million d’autres francophones hors-Québec n’existaient pas, comme si également ils devaient représenter le moindre de nos soucis, tandis que leur avenir linguistique est pourtant étroitement lié à la participation du Québec au sein du Canada.
Ce dernier exemple bien concret rappelle que tout cet engouement pour la «Différence» et la «Nation» qui a été imposé dans le débat politique québécois soulève des questions qui méritent d’être débattues, et non pas étouffées. Mais le nationalisme a tellement adopté chez nous les apparences d’une idéologie obligatoire que, pour y parvenir, il faudra bien que certains osent faire preuve d’hérésie en posant ouvertement certaines questions, dont celles-ci : faut-il absolument être nationaliste pour assumer son identité linguistique et culturelle? À l’heure des haines ethniques et religieuses, est-il si insensé de concevoir que des gens aux origines et cultures différentes puissent participer à un pays comme le Canada?
Dans le Québec d’aujourd’hui, il faudrait que davantage d’hérétiques prennent la parole, pour que ces questions, et bien d’autres, puissent enfin être posées. Car une société sans hérésie, c’est une société qui refuse de progresser.