Le temps des leçons
par Daniel Laprès
Article paru dans La Presse du 18 mars 2006, p. A27, dans le cadre de la rubrique «Québec Grand Angle»
Au-delà de la course au leadership qui s’annonce, l’aile québécoise du parti libéral du Canada traverse présentement la pire période de son histoire. Les libéraux fédéraux doivent réaliser qu’au Québec leur parti n’est plus qu’une coquille vide, tant en ce qui concerne son membership et son organisation que sur le plan des idées.
Bien entendu, le scandale des commandites a porté un coup terrible au PLC. Les Québécois, à juste titre, ont été dégoûtés par la clique de voleurs et de profiteurs qui ont parasité le PLC pour s’en mettre plein les poches à même les fonds publics. Il faut reconnaître toutefois que la vaste majorité des militants libéraux de la base se sont sentis eux aussi trahis et, pour cette raison, partagent pleinement la colère des citoyens face à cet épisode révoltant de notre vie politique. Les libéraux fédéraux doivent cependant tirer les leçons de cette affaire, en développant une vigilance extrême à l’égard des comportements qui ont plongé leur parti dans un tel gâchis. En quelque sorte, le PLC est condamné à l’intégrité la plus absolue. C’est là d’ailleurs une donnée que les candidats au leadership sont contraints de prendre en compte dans les pratiques de leurs organisations. Ceci ne concerne pas seulement l’argent, mais aussi les manières de faire, et à ce chapitre les candidats doivent réaliser qu’ils seront sous étroite surveillance.
Mais il y a plus : les libéraux fédéraux doivent admettre que, depuis longtemps, ils se sont coupés de la société québécoise, et ils sont tenus de s’attaquer de front à ce problème qui met en cause leur identité et leur raison d’être. Ils doivent aller jusqu’à se demander à quoi leur parti sert vraiment. Qu’est-ce qu’être un libéral fédéral dans la société québécoise d’aujourd’hui? Quelle société veulent-ils contribuer à construire? Qu’ont-ils à proposer sur des enjeux devant lesquels ils ont été bien trop silencieux, dont l’identité linguistique et culturelle, la justice sociale, la défense des droits fondamentaux, la contribution des Québécois à l’idée canadienne et au rôle du Canada dans le monde?
En toute lucidité, les libéraux doivent rompre avec le discours incantatoire, et plutôt creux, avec lequel ils se sont gargarisés depuis trop d’années. Par exemple, c’est une chose que de pérorer ad nauseam sur «le Canada qui est le meilleur pays du monde», sur «les performances économiques et la compétitivité du Canada», sur la «célébration de la diversité canadienne», etc. Mais c’en est une autre que de constater que, malgré tous les beaux discours, il y a encore beaucoup trop de nos concitoyens qui peinent à boucler leurs fins de mois et qui demeurent les laissés-pour-compte de la prospérité ambiante. Pourtant, l’action politique existe essentiellement pour changer et améliorer ce qui doit l’être, et elle doit supposer bien autre chose que de se satisfaire d’une réalité qui est loin d’être rose pour tout le monde.
En fait, les libéraux fédéraux doivent se situer radicalement à l’opposé de l’attitude d’un Richard Mimeau, organisateur pour Belinda Stronach et ex-directeur général du PLC-Q qui, dans La Presse du 5 mars dernier, se pâmait d’admiration devant la capacité de sa candidate à téléphoner aux Bill Clinton de ce monde, une raison selon M. Mimeau d’appuyer Mme Stronach, même si, en passant, cette dernière n’a jamais été foutue d’apprendre le français et ne connaît rien à la société québécoise.
Pourtant, devant l’état réel de leur parti au Québec, ce que les libéraux fédéraux doivent comprendre, c’est qu’avant de devenir béats d’admiration devant ceux qui se vantent d’être connectés avec les puissants de ce monde, ils doivent se mettre en prise directe avec les problèmes vécus par ceux qui en arrachent le plus dans notre société, et s’engager en conséquence. En fait, c’est notamment en cherchant à être utile aux gens qui n’ont pas les moyens d’avoir des lobbyistes pour les représenter à Ottawa que les libéraux se donneront les meilleures chances de renouveler leur parti et de lui permettre de retrouver sa crédibilité et sa pertinence pour la société de chez nous, en plus de donner une idée plus précise du genre de Canada qu’ils veulent construire. Faute de quoi, on peut douter des chances du PLC-Q de ressurgir du quasi-néant qui est aujourd’hui le sien.