dimanche, février 25, 2007

Langue de bois interdite

(+ une lettre inédite de Pierre K. Malouf à l'Imam Pierre Falardeau)

Plusieurs courriels reçus au cours des dernières semaines m'encouragent à parler de temps à autres de livres qui ne sont pas toujours parus au cours de la période récente, mais qui passèrent quasi inaperçus parce qu'ils n'entraient pas dans les cadres restrictifs de la pensée unique à la québécoise.

Le petit livre que je vous présente aujourd'hui, Lettre ouverte aux chiens édentés qui agitent la queue et à leurs chiots qui mordillent, est une sorte de coup de poing, un pavé lancé dans la marre des bien-pensants de toutes sortes, un gros NON aux idées reçues et aux prêts-à-penser. Les adeptes de la langue de bois liront ce livre à leurs risques et périls, car ils risquent d'en être traumatisés.

L'auteur, Pierre K. Malouf, est un ancien enseignant au primaire, et l'auteur de plusieurs pièces de théâtre et de quelques romans, dont Les enfants de Schubert (éditions Varia), qui fut très remarqué au moment de sa parution en 1999. Il a été aussi très actif au sein du Centre d'essai des auteurs dramatiques, et cela durant plusieurs années.

Malouf a entamé la rédaction de sa lettre ouverte quelques jours à peine après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, en réaction à certains discours stupéfiants de bêtise et tenus par les bien-pensants d'une prétendue gauche anti-mondialiste qui soit banalisaient l'horreur perpétrée ce jour-là, ou encore allaient jusqu'à la justifier, au nom d'un anti-américanisme primaire. Comme si c'était être "progressiste" que de trouver du bon à cet acte commis par des intégristes et fanatiques religieux, et de condamner seulement le dieu de Bush et non celui des talibans et autres extrémistes délirants. Toujours la logique du deux poids, deux mesure, en quelque sorte. Pour ma part, les deux "dieux" en question sont chacun à rejeter et à combattre, quoique, bien que Bush incarne tout ce qui me répugne le plus en politique, je suis d'accord avec Malouf à l'effet que «dans la bouche de Bush, Dieu est un hochet de circonstance, tandis que dans la bouche de Ben Laden, Dieu est un bâton de dynamite». Un certain sens de la nuance s'impose donc.

C'est qu'en fait, nos bien-pensants et nos belles âmes de la «gauche» antimondialisate semblent avoir perdu tout sens de la réalité et de la mesure, en trouvant bien peu à critiquer dans le fait de prendre des avions remplis de civils et de les projeter dans des gratte-ciels eux aussi remplis de civils. Ces gens se disent pourtant "progressistes", comme si un tel acte allait faire avancer la cause de la justice sociale et de la dignité humaine. D'ailleurs, notre fier imbécile national et Guide Spirituel de l'aile réactionnaire du mouvement nationaliste québécois, l'Imam Pierre Falardeau, était l'un de ces bien-pensants, comme l'a révélé en décembre dernier le journaliste Patrick Lagacé sur son blogue. Mais bon, on ne doit pas s'attendre à autre chose d'un type qui s'est fait une marque de commerce - assez rentable doit-on remarquer - en se vautrant allègrement dans le crétinisme fanatisé, donc on ne doit pas être surpris du fait que cet intégriste idéologique s'identifie davantage à un autre intégriste, celui-là religieux, Mohammed Attah (le leader des commandos-suicide du 11 septembre), plutôt qu'aux secrétaires et concierges qui sont morts eux aussi dans l'effondrement du World Trade Center.

Mais revenons au livre de Pierre K. Malouf, qui est pas mal plus intéressant que les éructations verbales grotesques et haineuses de ce saltimbanque auto-patenté et hochet consentant des médias assoiffés de cotes d'écoute qu'est l'Imam Falardeau...

Au fond, ce que Malouf a tenté, avec succès à mon avis, de faire en écrivant ce pamphlet percutant, c'est de brasser la cage et de dénoncer l'hypocrisie de ceux qui, sous couvert de lutte «anti-impérialiste», sont prêts à justifier n'importe quoi, même l'intégrisme religieux, au nom de cette même lutte. En ce sens, Malouf aura même fait figure de précurseur, en lançant un appel à la raison et au bon sens, renouvelé d'ailleurs l'an dernier par l'écrivaine de gauche et féministe française Caroline Fourest, dans son excellent et très lucide livre La tentation obscurantiste. Car c'est bel et bien d'obscurantisme qu'il s'agit, lorsqu'on se montre complaisant pour toute forme d'extrémisme et de haine, quelles que soient leurs motivations.

Et c'est encore plus vicieux lorsque cet obscurantisme se travestit en discours "progressiste" prétendant, au nom d'un collectivisme effréné et souvent délirant, vouloir "libérer" n'importe quoi, sauf les individus qui, pourtant, sont les seuls dans lesquels peut s'incarner réellement la liberté. Malouf, qui est tout sauf un de ces «chiens édentés» qu'il pourfend de sa plume acérée et sous l'appellation de laquelle il désigne les gueulards qui ne savent que gueuler en se parant des atours de ceux qui veulent "libérer" tout le monde mais toujours en leur nom et surtout à leur place, déchire à pleines dents leur fatuité et l'inconscience crasse de leurs discours faits de slogans répétitifs qui relèvent davantage de l'ânerie réactionnaire que d'un vrai sens de la justice et de la liberté.

Malouf nous renvoie aussi à certains éléments de notre propre histoire, en évoquant notamment la Crise d'octobre à partir de laquelle, là encore, les «chiens édentés» ont jappé pas mal fort (et d'ailleurs ils jappent toujours), incapables qu'ils sont d'admettre que la vraie victime de cette crise, celle dont ils parlent pourtant le moins en bons hypocrites qu'ils sont, avait pour nom Pierre Laporte, froidement étranglé par quelques "libérateurs" autoproclamés de la Nation, ces "libérateurs" n'étant pourtant que des adeptes d'une raison idéologique poussée à outrance et aux accents bien totalitaires.

En somme, ce petit livre de Malouf nous appelle à la lucidité. Au lieu de «chiens édentés», notre démocratie et nos libertés fondamentales ont besoin de vrais défenseurs et d'esprits libres, en un mot, de chiens de garde vigilants qui ne craignent pas d'aller à contre-courant s'il le faut. Malouf nous incite à penser par nous-mêmes, et à démasquer les tendances souvent totalitaires masqués derrière les beaux discours soi-disant "progressistes" des adeptes d'une langue de bois surtout bonne pour gueuler, mais qui est incapable d'éveiller en que ce soit des esprits réellements libres.

Le livre étant depuis quelque temps devenu introuvable en librairie, j'ai vérifié auprès de son auteur, qui en a toujours quelques dizaines d'exemplaires, qui restent donc disponibles aux intéressés. Donc, ceux qui voudront se dégourdir l'esprit en le lisant peuvent toujours se le procurer, pour à peine $10, en lui écrivant directement: pkm@sympatico.ca

Aussi, lors de ma première rencontre avec lui, il y a quelques semaines, Pierre K. Malouf m'avait montré le texte d'une lettre ouverte qu'il avait écrite pour répondre au texte délirant de haine que l'Imam Pierre Falardeau avait éructé lors du décès de Claude Ryan, à propos duquel le coeur de l'Imam en dégoulinait de joie, en bon "démocrate" et amant du genre humain qu'il est. Malheureusement, les journaux ont refusé de publier la lettre de Malouf, la jugeant sans doute trop irrévérencieuse pour la dignité de son ineffable destinataire.

Mais, puisque l'Imam Falardeau revendique toujours fièrement son morceau de fumier, allant jusqu'à le reproduire en juin dernier dans son site web, j'ai trouvé alors dommage que la missive que Malouf lui adressait alors lui soit, jusqu'à présent, demeurée inconnue. J'ai donc demandé à son auteur la permission de la reproduire sur mon blogue, permission qu'il m'a aimablement accordée sans hésiter. La voici donc:


Lettre inédite de Pierre K. Malouf à l'Imam Pierre Falardeau:

"Allez, Falardeau, encore un effort !

Tu te réjouis de la mort de Claude Ryan ; dimanche dernier à la radio, l’écrivain Gilles Archambault s’est dit incapable de te blâmer. Moi non plus, mais je trouve que tu n’es pas allé assez loin.

Allez, Falardeau, encore un effort ! Bien sûr, les fédéralistes (anonymes ou illustres, journaliers ou politiciens, masseuses ou travailleuses sociales) vont tous finir un jour par casser leur pipe. Que de joies en perspectives, mon vieux ! Croisant dans la rue le corbillard du dernier traître, la plupart des patriotes, sous prétexte de savoir-vivre, dissimuleront lâchement leur spasme derrière un kleenex desséché ; tandis que toi, glorieux porte étendard du Québec libre, tu éjaculeras des actions de grâce aux obsèques des canailles.

Aaah ! que crèvent au plus sacrant les ennemis de la Patrie afin que tu puisses répandre plus abondamment ta semence fertile sur nos coeurs timorés. Mais je crains pour toi, car vois-tu, mon vieux, au Québec même, les ennemis de la Patrie se comptent par millions ! Et tu risques fort de crever toi-même avant que ne meure de sa belle mort la dernière des salopes.

Allez, Falardeau, encore un effort ! Va jusqu’au bout ! Cesse d’écornifler au chevet des agonisants. Sors de ta réserve ! Pourquoi n’irais-tu pas étrangler de tes propres mains le sénateur Jacques Hébert, le comédien Jean-Louis Roux, l’écrivain Roch Carrier, qui sont pour le moins d’aussi immondes crapules que l’était cette face de rat de Claude Ryan ?

Mieux, pourquoi n’irais-tu pas commettre lors d’un caucus du Parti libéral ou dans une réunion du Conseil du patronat un attentat kamikaze qui te couvrirait de gloire et de sang ? Ta joie serait fugitive mais enfin complète.

Allez, Falardeau, encore un effort !

Pierre K. Malouf "