lundi, février 26, 2007



MM. Lester et Philpot me répondent

Messieurs Normand Lester et Robin Philpot, militants indépendantistes et co-auteurs du livre Les secrets d'Option Canada, ont eu l'amabilité de répondre à l'article que j'ai publié vendredi dernier dans La Presse. Vous pourrez trouver l'intégrale de leur réponse sur cette page de la tribune libre du site indépendantiste Vigile.

Bien entendu, le propos de MM. Lester et Philpot démontre qu'ils restent fermement campés sur leurs positions, mais je dois cependant dire que le ton courtois et civilisé de leur réponse est tout à leur honneur, ce qui nous change pas mal des niaiseries délirantes qu'on trouve sur certains forums indépendantistes, ainsi que des radotages hystériques que n'ont pas manqué de dédier à mon article, et pour mon plus grand amusement, l'habituelle clique de zélés - bien sûr toujours sous le couvert bien confortable de pseudonymes - qui occupent le forum du site du journal intégriste Le Québécois, dont Bernard Landry, Jacques Parizeau et l'Imam Pierre Falardeau constituent à eux trois l'édifiante Sainte Trinité des supporteurs les plus célèbres.

Je prends donc la liberté de retourner leur politesse à MM. Lester et Philpot en leur répondant à mon tour.

D'abord, MM. Lester et Philpot m'invitent à "poursuivre mes recherches", en évoquant, sur la questions des bulletins de vote massivement rejetés dans les circonscriptions fédéralistes, le rapport du Directeur général des élections (DGE) de l'époque, Pierre F. Côté, et publié le 13 mai 1996. Je peux confirmer à ces messieurs que cela fait belle lurette que j'ai ce rapport en main, et je dois dire qu'il n'a rien de convaincant. L'enquête semble avoir été carrément bâclée et faite à la va-vite, avec notamment très peu de témoins rencontrés sur la masse énorme de ceux qui étaient disponibles et que, pour ma propre enquête, j'ai interviewés en grand nombre.

Aussi, M. Côté a bloqué toute tentative de recomptage des boîtes de scrutin qui étaient litigieuses, sous prétexte de la Loi sur les référendums, qui, contrairement aux élections législatives, interdit un recomptage dans une seule ou dans un certain nombre de circonscriptions. Bizzare de procédure que celle-là : le seul recomptage possible dans le cadre d'un référendum, d'après cette loi imposée par nul autre que le Parti québécois, devrait concerner la totalité des votes exprimés sur l'ensemble du territoire du Québec.

Évidemment, il y a là de quoi décourager quiconque voudrait remettre en question les résultats d'un référendum dans un ou quelques comtés, avec les frais juridiques et administratifs démesurés que cela occasionnerait pour les demandeurs, en plus de l'absurdité d'avoir à ouvrir toutes les boîtes de scrutin de tout le Québec, alors que les circonscriptions en cause sont aisément identifiables et cernables. La loi est peut-être la loi, mais cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit juste dans les conditions actuelles, qui imposent des obstacles énormes à tout recomptage, donc à la transparence pleine et entière des résultats réels.

Aussi, je m'étonne franchement que MM. Lester et Philpot ne trouvent rien à redire, au moins sur le plan éthique, au sujet des taux anormalement élevés de bulletins rejetés dans des circonscriptions qui, comme par hasard, sont identifiées comme fédéralistes. Nos deux auteurs admettent tout de même, en citant le DGE, qu'il y a eu une "problématique importante", mais cette expression relève davantage d'un complaisant euphémisme qui semble fait pour éviter de nommer la chose par son vrai nom: un viol de démocratie. Pour défendre leur point de vue, ils emploient ainsi le terme de "problématique importante", pour nous renvoyer aussitôt au fait que, dans son rapport, l'enquête du DGE Côté "n'a pas révélé raison de croire qu'il y ait eu complot national orchestré".

Je peux rassurer MM. Lester et Philpot à l'effet que, par nature, je ne suis pas enclin à embrasser les théories du complot, quelles qu'elles soient. Je préfère m'en tenir à la froide observation des faits. Et les faits relatifs à cette affaire des bulletins rejetés me semblent toujours questionnables, malgré le rapport d'enquête du DGE. Contrairement à une élection législative générale, au référendum de 1995, ce n'était pas le parti du député élu dans chaque circonscription qui désignait les scrutateurs des bureaux de scrutin, mais le parti du gouvernement. Donc, c'était le Parti québécois qui avait choisi ces scrutateurs. Plusieurs parmi eux provenaient d'en dehors de ces circonscriptions, et un nombre substantiel de ces scrutateurs étaient des militants ou permanents syndicaux, les centrales syndicales étant alors étroitement alliées au PQ.

Bien entendu, il est difficile de prouver matériellement que ces scrutateurs auraient reçu une formation spéciale visant à rejeter un grand nombre de votes NON. Mais les résultats, eux, démontrent que quelque chose de gravement anormal s'est déroulé, avec des taux de rejet des votes NON qui sont démesurément disproportionnels par rapport à la moyenne de toutes les circonscriptions non touchées. Et ce phénomène s'est produit uniquement dans les comtés à prédominance fédéraliste.

Donc, peut-être qu'il n'y aurait pas eu "complot" à l'échelle de tout le Québec, mais dans bon nombre de circonscriptions bien ciblées et à prédominance fédéraliste, il s'est tout de même passé des choses nettement anormales et qui s'apparentent sérieusement avec, comme je l'ai évoqué plus haut, un viol de démocratie. On peut donc être justifié de douter que ces milliers de vote NON rejetés aient été le seul fruit du hasard ou d'une fantaisie spontanée des scrutateurs concernés. En ce sens au moins (et il y a bien d'autres dimensions de cette "problématique importante" sur lesquelles je travaille), l'enquête du DGE ne me paraît ni complète et ni crédible.

Sur le Conseil de la souveraineté, MM. Lester et Philpot n'ont pas manqué, dans leur réponse, d'affirmer que le DGE Côté leur a assuré qu'il a enquêté sur les faits questionnables que j'évoquais dans mon article, au sujet notamment des $1, 8 millions de fonds publics octroyés à cet organisme, et cela en pleine campagne référendaire, par le gouvernement du Parti québécois, en prétendant que c'était pour des dépenses engagées avant la campagne référendaire comme telle.

Mais je me demande si MM. Lester et Philpot ont vu le rapport de l'enquête en question: une déclaration d'une page et demie écrite à la main, datant du 3 septembre 1997, et un rapport de deux pages et demie indiquant qu'une seule entrevue a été faite par l'officier enquêteur du DGE (la personne interviewée étant vraisemblablement la directrice générale de l'organisme), et ne mentionnant nullement que les livres comptables de l'organisme aient été scrutés. Tout ce qu'on retrouve dans ce rapport d'enquête, ce sont des banalités sur le conseil d'administration du Conseil de la souveraineté, et quelques vagues évocations de sa mission. Et c'est tout. Si on appelle cela une "enquête", le moins qu'on puisse en dire est qu'il s'agit d'une farce de mauvais goût, d'autant plus si l'on tient compte de l'importance de la somme de fonds publics en cause dans cette affaire...

MM. Lester et Philpot ajoutent: «Pour les autres exemples donnés, il s'agit d'activités publiques lancées à divers moments pour les organismes cités. Rien n'a été caché (...)». Le problème est que l'on peut bien affirmer comme le font nos deux auteurs que "rien n'a été caché", mais ils ne démontrent strictement rien à l'appui de leur thèse. Les questions que je posais concernaient les stratégies syndicales établies dans un document de la FTQ et selon lequel un vaste nombre de permanents syndicaux devaient faire de la campagne référendaire leur "priorité d'action", et cela "jusqu'au jour du vote", en plus de mentionner les "ressources techniques" et autres mises à la disposition du Comité du OUI. J'ai scruté ligne par ligne le rapport officiel des dépenses du camp du OUI, et je n'ai absolument pu rien trouver (et j'ai pourtant cherché en diable!) concernant l'inclusion de la contribution syndicale qui était, comme le souligne le document de la FTQ que je citais, d'une importance telle qu'elle aurait dû figurer dans ce rapport.

Même chose au sujet de la vaste constellation d'organismes de toutes sortes qui militaient pour le OUI. Donc, il s'avère que bien des choses sont restées encore cachées à ce jour... Mais si MM. Lester et Philpot disposent d'informations concrètes permettant d'appuyer leurs dires, je serais ravi qu'ils m'en fassent part, et je fermerai volontiers cette partie du dossier.

Pour ce faire, et s'il le fallait, je peux même assurer M. Lester que, à l'image de l'intrépide redresseur de torts qu'il est, je ne ressentirais aucune gêne à plonger tête première dans les conteneurs à déchets d'un quelconque centre d'achats qu'il aurait la bienveillance de m'indiquer, afin que je puisse y trouver les documents relatifs aux dépenses et manoeuvres du camp du OUI, et qui à ce jour restent encore secrets...

MM. Lester et Philpot affirment que, selon eux, le problème est que le DGE ignorait l'existence d'Option Canada, et cela jusqu'au 22 mars 1997. Je veux bien les croire, car cela correspond aux faits. Voilà donc une chose qu'il faudra éviter à l'avenir de voir se reproduire. Mais, ceci dit, rien n'indique dans les montagnes de documents provenant du DGE et que j'ai étudiés à la loupe, que ce dernier connaissait également l'existence des documents relatifs à la stratégie syndicale que j'évoquais, ni les activités et dépenses des très nombreux organismes indépendantistes qui étaient actifs sur tout le territoire du Québec durant la campagne référendaire.

MM. Lester et Philpot poursuivent en évoquant la planification du comité pour le NON, et en mentionnant certains acteurs et partis politiques qui y jouaient leur rôle. Pourtant, je ne vois rien d'étonnant là-dedans. Il est bien normal que les deux camps constituaient des coalitions qui avaient intérêt à s'organiser et à planifier leurs stratégies. Le OUI a fait exactement la même chose avec sa propre coalition, qui comprenait les organismes que j'ai mentionnés et qui ne figurent nulle part dans le rapport des dépenses référendaires du camp du OUI.

Option Canada, ainsi que le Conseil pour l'unité canadienne d'où il émanait, faisaient partie de la coalition du NON, selon MM. Robin et Philpot. Je leur accorde volontiers que ce fait est plus que probable. Selon eux, «la grande question qui reste encore sans réponse est celle-ci: Qui de la coalition du NON savait quoi et à quel moment?»

Mais si, comme le prétendent MM. Lester et Philpot à la toute fin de leur réponse, l'enjeu consiste réellement à «assurer une plus grande transparence lors de tout futur référendum au Québec», il faut également poser, cette fois concernant les faits et questionnements que j'ai soulevés dans mon article au sujet des manoeuvres et dépenses non déclarées du camp du OUI, cette tout aussi "grande question" qui reste, elle aussi, sans réponse: Qui de la coalition du OUI savait quoi et à quel moment?

Les Québécois, quelle que soit leur option constitutionnelle, méritent que toute la lumière soit faite aussi là-dessus, et ainsi, nous pourrons tirer des leçons bénéfiques qui nous éviteront une situation trouble comme celle que nous avons tous subie en 1995.