dimanche, mai 27, 2007



De la cruauté religieuse

Dimanche soir dernier, j'ai capté sur la chaîne franco-ontarienne (TFO) le premier de trois épisodes d'une série documentaire intitulée L'Inquisition révélée. Le deuxième épisode sera diffusé aujourdhui dimanche le 27 mai à à 23 h, suivi du troisième mercredi le 30 mai (à 21 h, en reprise jeudi à 13 h et dimanche à 14 h et à 23 h).

L'intérêt particulier de cette série est qu'elle est basée sur les archives de l'Inquisition catholique elle-même, suite à leur ouverture finalement autorisée par le Vatican ces dernières années. D'après les propos du prélat responsable, en ouvrant ces archives aux chercheurs, le Vatican aurait voulu faire cesser les «exagérations» répandues depuis longtemps sur les horreurs perpétrées par la Sainte Inquisition.

Si le but était ainsi d'atténuer la portée des faits historiques quant à l'atrocité institutionnelle de l'Inquisition, on peut dire que c'est raté, et de beaucoup. En fait, on ne risque guère de se tromper en affirmant que ces archives révèlent encore plus l'atrocité et la cruauté de cette institution effroyable, car elles dévoilent sans aucun fard, et cela à partir de leurs propres notes, la pensée même des inquisiteurs, qui était fortement teintée à la fois d'un fanatisme encore plus troublant que tout ce qu'on pouvait imaginer, ainsi que d'une insensibilité des plus atroce à l'égard des victimes qu'ils tourmentaient.

Mais bon, dans un certain sens on pouvait s'y attendre, compte tenu des faits qui sont assez connus et constamment ressassés depuis des siècles, avec notamment les affaires Giordani Bruno et Galilée, sans mentionner les bûchers, tortures et exactions innommables infligés par les responsables de l'Inquisition.

Ce qui toutefois m'a complètement renversé durant le premier épisode, c'était d'entendre le pape actuel, Joseph Ratzinger, qui, au moment du tournage était encore à la tête de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi (laquelle a pour ancêtre la Sainte Inquisition, justement) affirmer en toute candeur que ces inquisiteurs tortionnaires étaient réellement animés d'une authentique foi en l'Évangile de Jésus-Christ, pour ensuite déplorer le «contexte historique» qui les aurait amenés à commettre des atrocités aussi nombreuses que diverses.

Ces propos de Ratzinger m'ont renversé, et je n'en reviens pas encore. J'ai beau ne partager en rien ses croyances dogmatiques, je reconnais tout de même que cet homme, étant l'un des plus importants théologiens du catholicisme contemporain et qui, par dessus tout, est maintenant devenu pape, n'est pas dépourvu d'un intellect assez brillant, ce à quoi son conservatisme forcené n'enlève d'ailleurs rien.

Mais là, c'était vraiment sidérant de constater que Ratzinger ne semblait pas se rendre compte du fait que cette même «foi authentique» dont il soulignait la ferveur chez ces sinistres personnages est précisément à la source de ce fanatisme qui suscite des «contextes historiques» barbares et inhumains, et cela particulièrement lorsque la religion et le pouvoir sont associés. Car dès l'instant où une religion quelconque exerce le pouvoir sur une société donnée, la liberté de conscience devient vite niée et combattue, et quiconque osant exprimer la moindre pensée dissidente, ou dont le comportement n'apparaît pas conforme aux règles et dogmes édictés par les gardiens de l'orthodoxie religieuse régnante, se voit impitoyablement pourfendu, souvent jusqu'à l'élimination physique. Le fait qu'un homme aussi intelligent que Ratzinger ne semble pas se rendre à cette évidence, qui fut et qui demeure amplement attestée par l'histoire passée et présente, dépasse tout simplement l'entendement.

En relevant ce fait quant à l'Inquisition et à son interprétation lénifiante par le pape actuel, je ne veux pas accabler uniquement les seuls catholiques. Toutes les religions, dès qu'elles se retrouvent en position de dominer une société ou une nation, ont toujours et font encore montre d'une propension très nette à abuser de leur pouvoir pour persécuter ceux que leurs dirigeants considèrent comme «infidèles» et «hérétiques». Le fait que certaines religions auraient elles-mêmes été persécutées à une certaine période de leur histoire n'y change rien, bien au contraire. Le christianisme par exemple, dont les tenants aiment bien rappeler les persécutions subies par ses adeptes à l'époque de son émergence, ne s'est révélé que plus persécuteur et plus barbare encore que ses anciens pourfendeurs dès qu'il fut institué en tant que religion d'État par l'empereur romain Constantin.

S'ensuivirent dès lors des siècles de massacres, de tortures et d'atrocités qui noyèrent des dizaines de millions d'êtres humains dans le sang, tout cela au nom du Très Saint Évangile et des dogmes, tout aussi absurdes et insensés les uns que les autres, que les dirigeants de l'Église ont sans cesse ajoutés à la doctrine chrétienne. Cette inhumanité a d'abord été le fait de l'Église catholique, mais ensuite, ce furent les protestants qui, auparavant persécutés, se mirent à persécuter les catholiques, et même d'autres protestants dont les croyances n'entraient pas exactement dans les canons des fondateurs de la Réforme protestante. Martin Luther et Jean Calvin (cette «âme atroce», selon le mot si juste de Voltaire), entre autres fondateurs du protestantisme, n'ont pas manqué de se révéler aussi pires dans leur cruauté et dans leur perfidie que les inquisiteurs catholiques auxquels ils avaient échappés avant de se retrouver à leur tour en position dominante.

Le fanatisme chrétien fait encore ses ravages à notre époque, même si son influence se fait moins directe que jadis. Il n'y a qu'à songer, entre autres, à l'alliance de l'Église catholique avec les impitoyables dictatures militaires de l'Amérique latine des années 1970 et 1980, ou encore à l'hécatombe du Sida qui, dans des pays d'Afrique et d'Asie où l'Église a encore assez de pouvoir pour imposer sa superstition aux peuples concernés, est nourrie par la criminelle condamnation de l'usage du préservatif par le Vatican.

Une autre image me vient à l'esprit au moment d'écrire ces lignes. Durant la campagne des élections présidentielles américainces, en 2000, George W. Bush était, on s'en souvient, gouverneur de l'État du Texas. À ce titre, Bush avait procédé à une augmentation fulgurante du nombre des mises à mort de détenus condamnés à la peine capitale dans son État (rien que durant ses six années en tant que gouverneur du Texas, Bush avait signé pas moins de 156 décrets de mise à mort).

Ayant toujours été viscéralement opposé à la peine de mort, je suivais de près ce qui se passait alors au Texas. Cette année-là, Gary Graham, qui avait été condamné à mort suite à un procès injuste et grâce à des preuves très douteuses, avait quand même été mis à mort par les autorités texanes, et cela malgré ses protestations d'innocence et aussi l'opposition de nombreuses organisations de défense des droits humains de partout dans le monde.

Je suivais donc en direct les événements, espérant jusqu'à la toute dernière minute que Bush allait au moins accorder un sursis au condamné, compte tenu des doutes sérieux qui planaient quant à sa culpabilité. Mais ce n'est pas arrivé, Bush s'étant révélé incapable de faire preuve du minimum d'humanité que les circonstances, et aussi la décence la plus élémentaire, appelaient pourtant à grands cris.

George W. Bush, c'est très connu, se revendique haut et fort d'une fervente foi chrétienne. Mais ce soir-là, j'ai pu constater jusqu'à quel degré d'insensibilité la superstition religieuse peut amener un individu, et cela jusqu'à lui permettre de justifier ce que l'humanité et la raison considèrent à juste titre injustifiable. Au cours d'un bref point de presse tenu dans les minutes ayant suivi la mise à mort de Gary Graham, Bush, en plus d'affirmer avec toute l'arrogance qui lui est coutumière sa satisfaction que «justice ait été faite», avait d'une voix fervente conclu son propos d'un : «God Bless Mr. Graham». Ces quelques mots m'ont alors littéralement glacé le sang. Je venais donc d'entendre Bush appeler son «Dieu» à «bénir» celui-là même qu'il venait tout juste de faire mettre à mort, et par surcroît un homme dont l'innocence était plus que probable !

À mes yeux, ce fut là une autre démonstration, cinglante je dois dire, qui atteste du fait qu'une croyance religieuse peut parfois servir à conforter la conscience malade d'un homme ayant sur lui la responsabilité d'avoir fait couler du sang humain. En d'autres termes, ce que Bush venait de signifier, c'est qu'il ne doutait pas que, peu importe les doutes quant à la culpabilité du condamné, son «Dieu miséricordieux» allait «accueillir» ce dernier dans l'«au-delà». Donc, la miséricorde «divine» était là pour servir à dispenser Bush de son propre devoir d'humanité et de raison. Et tant pis si une vie humaine, probablement innocente, venait d'être cruellement fauchée.

C'est ce jour-là que j'ai compris à quel point un homme capable de faire preuve d'une superstition aussi bête et inhumaine pouvait se révéler dangereux pour l'humanité s'il accédait au pouvoir suprême. Sa présidence n'a depuis que trop confirmé cette appréhension, et cela à plus d'un titre.

Et pas plus tard qu'au cours de la dernière semaine, je constatais que la cruauté religieuse continue d'étendre ses ravages sur notre planète. En Iran, une jeune fille d'à peine 16 ans a récemment été pendue par des mollahs impitoyables, pour cause d'«adultère». L'été passé, toujours en Iran, c'était deux garçons d'âge mineur qui étaient pendus pour homosexualité. Et on apprenait, encore tout récemment, que deux jeunes canado-palestiniens de 16 et 21 ans, qui vivaient ici-même à Montréal il n'y a encore pas si longtemps, risquent la décapitation en cette «Terre Sainte» de l'Islam qu'est l'Arabie saoudite, un pays où la vie humaine ne vaut pas cher aux yeux des dirigeants de cette théocratie fanatisée à l'extrême, et où le système judiciaire n'est plus souvent qu'autrement qu'une vulgaire et sinistre parodie.

Donc, la cruauté religieuse reste un phénomène d'actualité, et qui n'est pas en voie de se résorber. Il est impossible de rester froid ou indifférent à la lumière de tels faits, parce que ce qu'ils signifient concrètement, c'est que, aujourd'hui même, des êtres humains qui, comme nous, n'ont qu'une seule vie à vivre, subissent l'opression religieuse sur une base quotidienne, et cela jusqu'à l'assassinat pur et simple. C'est toute notre humanité qui demeure ainsi brimée et blessée par la cruelle imposition de dogmes fondés sur des croyances essentiellement irrationnelles et superstitieuses qui n'ont rien strictement à voir avec la réalité ni de la nature, ni de l'être humain.

Même s'il dépasse l'entendement de constater que des êtres humains se complaisent toujours à faire souffrir et à tuer leurs semblables au nom des rêveries et des spéculations oiseuses de «prophètes» (qui, il faut le souligner, se sont toujours autoproclamés comme tels) ou de leaders religieux avides de pouvoir et dont ils suivent aveuglément les préceptes barbares, nous sommes quand même tenus de nous efforcer de comprendre les racines d'un pareil phénomène. Faute de quoi, ce serait baisser les bras devant la bêtise et la déraison religieuses, et se contenter d'être les témoins impuissants des cortèges de cruauté qu'elles ne cessent de provoquer.

Un livre, nouvellement arrivé chez nous, peut s'avérer très utile et éclairant à ceux et celles qui veulent bien assumer ce nécessaire effort de compréhension. Il s'agit en fait d'un volume qui contient deux ouvrages publiés au 18e siècle, et ce qui surprend d'abord en le parcourant, c'est qu'on a la triste impression que, depuis ce temps, rien n'a vraiment changé, et que nous en sommes toujours au règne de la superstition la plus abjecte. En fait, c'est en lisant ce livre que me sont venus spontanément à l'esprit certains des faits récents que j'ai évoqués ci-dessus.

Le premier de ces deux ouvrages, Recherches sur l'origine du despotisme oriental, fut signé par un certain Nicolas-Antoine Boulanger. Mais il s'agit vraisemblablement d'un pseudonyme, car à l'époque les écrits du genre valaient encore les pires persécutions religieuses à leurs auteurs (d'ailleurs, l'Église ne manqua pas de mettre ce livre à son Index). Il est aussi à noter que ce texte est, en cette année 2007 et grâce aux éditions Coda, publié pour la première fois depuis... 1794.

Donc, quel qu'en soit l'auteur, ce texte procède à une analyse richement informée, notamment sur les plans culturel et historique, de l'émergence du phénomène religieux en tant que tel dans l'histoire de l'humanité. Ce faisant, il nous permet de comprendre comment le despotisme s'est de plus en plus conjugué avec la religion, et cela dans toutes les civilisations connues à l'époque de sa rédaction. Le moins qu'on puisse dire devant les faits dont nous sommes toujours les témoins en ce début de 21e siècle, c'est que cet ouvrage apporte un éclairage qui reste éminemment pertinent quant à l'association toujours perceptible entre la religion et le pouvoir, de même que pour saisir les causes du phénomène de ces dirigeants religieux qui sont la plupart assoiffés de domination sur les consciences.

L'auteur du deuxième ouvrage publié dans ce même volume, et dont le titre est De la cruauté religieuse, est connu avec plus de certitude : il s'agit de d'Holbach, à qui les libres penseurs et les humanistes des générations suivantes doivent énormément, et cela jusqu'à nos jours, compte tenu de son audace et de sa rigueur intellectuelles, de même que de l'étendue de son action. Remontant lui aussi jusqu'à l'époque primitive, d'Holbach procède à un parcours des diverses époques de l'histoire humaine, afin de mieux nous éclairer sur les mécanismes mentaux qui, si souvent, font que la foi religieuse devient synonyme non seulement de fanatisme, mais aussi de la plus impitoyable cruauté. Son analyse à lui aussi reste de nos jours d'une actualité déconcertante.

En somme, il s'agit d'un livre qui nous permet de mieux comprendre le phénomène de la cruauté religieuse, et aussi le fanatisme qui lui sert de justification. On peut en tirer bien des leçons, car l'exposition de tels faits historiques n'a pas été sans me faire songer à tous les fanatismes, qui n'ont pas été que religieux au cours des époques ayant suivi celle où ces deux ouvrages furent publiés pour la première fois. En effet, on a malheureusement trop souvent vu dans bien des contrées la domination religieuse n'être que simplement remplacée par une domination tout aussi perverse et impitoyable, celle-là idéologique, avec son lot similaire de fanatiques et de barbares tous persuadés de détenir la «Vérité» absolue sur toute chose. Le communisme, le fascisme, n'en sont que quelques exemples parmi d'autres.

L'une de ces principales leçons à tirer de tout cela se retrouve d'ailleurs en conclusion de l'ouvrage de d'Holbach, lorsqu'il affirme la nécessité de maintenir les religions hors de tout pouvoir sur la société. Aujourd'hui, on peut donc soutenir la même chose concernant les idéologies, et particulièrement leurs tenants qui désignent constamment des «traîtres» ou des «infìdèles» à quelque «Cause» que ce soit. Ces «traîtres» et ces «infidèles», ce sont d'abord et avant tout ceux et celles qui tiennent à préserver leur liberté de pensée et de parole, sans jamais s'agenouiller devant quiconque prétend détenir le monopole de la «Vérité» ou de ce que devrait être le «bonheur collectif». On en a en effet vu bien souvent, au cours de l'histoire encore récente, des «libérateurs» autoproclamés se révéler, une fois au pouvoir, comme étant les pires bourreaux de ceux qu'ils prétendaient vouloir «libérer».

Toute idéologie ou croyance qui dénie ainsi la liberté nécessaire à l'individualité humaine, ou qui encore contient dans son discours la moindre tendance à pointer du doigt de prétendus «ennemis» à quelque «Vraie Foi» ou «Cause» que ce soit, devrait donc susciter quelque méfiance dans l'esprit de ceux et celles qui tiennent à garder leur liberté de penser, donc leur liberté tout court. Il nous faut donc porter attention à la violence de certains discours, qu'ils soient idéologiques ou religieux, et jamais ne nous montrer complaisant en quoi que ce soit à l'égard de ceux qui les tiennent car, comme l'histoire l'a démontré à maintes reprises, c'est toujours par la violence verbale, y compris par les dénonciations de «traîtres» et d'«infidèles» à des «Causes» qui se prétendent toutes aussi «Sacrées» les unes que les autres, que l'oppression totalitaire se dévoile à ses débuts.

En tout cas, c'est à ce genre de réflexion que la lecture de ce livre amène le lecteur, et ne serait-ce que pour cette raison, elle peut s'avérer des plus utiles, notamment pour aiguiser une lucidité qui nous sera toujours nécessaire pour prévenir les horreurs de la domination de la bêtise, qu'elle soit religieuse ou idéologique.