Exprimez-vous !
Par Daniel Laprès. Article publié dans le cadre de la rubrique D'un Canada à l'autre, journal La Presse, Montréal, le dimanche 13 mai 2007, p. A14.
(N.B. : Ce n'est pas moi qui ai choisi le titre tel que publié dans La Presse, car j'aurais mis plutôt « Fédéralistes, déniaisez-vous! » au lieu de « Exprimez-vous »... Mais bon, on ne peut pas tout avoir dans la vie... ;-)
En plus du résultat des dernières élections, la démission d’André Boisclair s’ajoute aux déboires que le mouvement indépendantiste connaît depuis quelque temps. S’il est vrai que ce mouvement se retrouve bel et bien en pleine tourmente, ça ne signifie pas pour autant que tout serait au beau fixe pour les fédéralistes. Croire le contraire, ce serait se préparer à d’éventuels lendemains bien pénibles. Il suffirait d’un simple retournement de conjoncture, et tout pourrait basculer dans l’autre sens, comme on l’avait vu suite à l’échec de l’accord du Lac Meech, en 1990, et aussi il y a deux ans avec le scandale des commandites.
On dirait que les fédéralistes se font encore une fois l’illusion qu’ils pourront gagner par défaut, ce qui les amène à dormir sur la «switch», une attitude qui leur est pas mal trop coutumière. Plusieurs parmi eux se réjouissent des divisions qui agitent le camp indépendantiste ; d’autres pensent qu’avec le succès récent de l’ADQ et les apparents mamours entre Stephen Harper et Mario Dumont, c’en serait fait du PQ, donc de l’idée indépendantiste elle-même ; enfin, il y en a qui aiment se dire entre eux que « les-Québécois-seraient-tannés-d’entendre-parler-de-référendum-et-veulent-passer-à-autre chose ». En un mot, la tendance actuellement en vogue chez les fédéralistes consiste à espérer que le camp adverse fasse tout le travail à leur place. Mais pendant ce temps-là, bien peu est fait pour inciter les Québécois à réellement adhérer à l’idée canadienne, ou encore à s’ouvrir à des idées différentes de la vulgate nationaliste qui tient lieu ici de pensée unique.
Mis à part quelques rares éditorialistes bien téméraires qui avancent certaines idées, ou encore certains auteurs tout aussi rares, comme Éric Montpetit avec son récent livre Le fédéralisme d’ouverture (éditions Septentrion), les fédéralistes sont encore totalement absents du débat d’idées au Québec. Aucun think tank, aucun mouvement ou organisation pour rassembler leurs forces ou débattre entre eux, aucune initiative politique ne sont perceptibles de leur côté. Ne parlons pas de leurs partis politiques, qui restent encore un désolant désert d’idées.
Si vous voulez avoir accès à une réflexion originale et créatrice sur la question nationale, il vous faudra chercher ailleurs que dans les milieux fédéralistes. Quand on fait ce petit effort, on se rend alors compte que c’est dans des cercles libres de toute partisannerie qu’on peut découvrir une pensée réellement critique quant au nationalisme, comme par exemple dans la revue Liberté, dont les deux dernières livraisons témoignent d’une réelle volonté de renouveler, avec un esprit d’une rafraîchissante audace, les termes de ce débat national et identitaire qui est figé depuis trop longtemps. (Voir mes commentaires sur les numéros 275-76 (numéro double) et 274 de la revue Liberté).
Pour ma part, quand je parle de ce genre de périodique ou de certains livres aux gens que je côtoie dans les milieux fédéralistes, je constate généralement qu’à peu près personne n’est au courant. C’est comme si nos bons fédéralistes ne savent pas ce que c’est que d’aller en librairie de temps en temps, ou encore de s’informer de certains débats ou idées qui émergent ou circulent dans notre société. On ne trouve pas non plus de leur côté d’intervention originale quant aux enjeux qui agitent la société québécoise, comme par exemples les accommodements religieux et les menaces qu’ils posent à la laïcité, la situation dans les régions, l’identité et la culture, l’environnement, les affaires internationales, le rôle de la société civile, et j’en passe. Tout cela comme si les fédéralistes trouvaient des vertus à se maintenir déconnectés des préoccupations concrètes d’un très large nombre de Québécois.
Parfois, il y en a qui déplorent «l’absence» du discours fédéraliste dans le débat public. Mais de quel « discours » parlent-ils alors ? Où est-il donc, ce « discours » ? Les fédéralistes ne débattent même pas entre eux, alors comment pourraient-ils produire un discours qui rejoindrait certaines cordes sensibles dans l’esprit des Québécois ? Ce n’est pourtant pas en restant dans une telle léthargie que les fédéralistes renouvelleront leurs idées, ou encore qu’ils pourront améliorer leur conscience de ce que vivent et pensent les Québécois.
S’ils veulent réellement reprendre l’initiative dans le débat, les fédéralistes doivent admettre au plus vite qu’il n’en tient qu’à eux de s’en donner les moyens. Qu’ils brassent leurs méninges un peu mieux et un peu plus qu’ils ne le font présentement, et aussi, qu’ils se donnent les moyens organisationnels requis ─ et financés démocratiquement, donc de leur propre poche ─ pour qu’ils puissent enfin intervenir plus efficacement et, surtout, avec des idées originales et pertinentes qui puissent rejoindre ceux à qui ils doivent s’adresser : les Québécois eux-mêmes. En somme, s’il est vrai que les difficultés présentes du camp indépendantiste leur procure une certaine accalmie, les fédéralistes ont intérêt à en profiter pour travailler et pour se renouveler. À défaut de quoi, ils prennent le risque de s’exposer, encore une fois, à des lendemains qui déchantent.