mercredi, mai 24, 2006

Passons au confessionnal...

Hier, j'ai reçu un courriel d'un certain Guillaume Brodeur. Voici ce que ça donne:

"Alors là, je me dois de remercier Daniel Laprès d'éclairer nos vessies qu'il prend pour des lanternes.Voilà sa thèse: si des noms illustres comme Fleury Mesplet, Louis-Antoine Dessaulles et Honoré Beaugrand ont sombré dans l'oublie, c'est évidemment de la faute aux nationalistes orthodoxes à la sauce Falardeau, et grâce au complot des descendants idéologiques du chanoine Groulx regroupés en une secte visant à rayer de nos mémoires ces grands esprits libéraux... Je préfère encore le Code Da Vinci. Des grands hommes qui évidemment épouseraient aujourd'hui toutes les thèses trudeauistes. Esprit libéral = Parti libéral, tout le monde sait cela. D'ailleurs, M. Laprès devrait peut-être aller faire un petit tour du côté de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui organise toutes sortes de soirées et d'activités historiques. Il réaliserait peut-être que nationalisme ne rime pas toujours avec racisme, antisémitisme, obscurantisme, nazisme et fascisme. Le genre d'intellectuel (bénévole? Révélez-nous vos sources de financement SVP) à la Daniel Laprès ne peuvent même pas comprendre la montée actuelle du Parti conservateur au Québec. Une simple impression de respect pour la société québécoise attire l'adhésion de plusieurs électeurs. Monsieur Laprès, cessez seulement de cracher sur tout ceux qui sont fiers d'être Québécois, et le Canada ne s'en portera que mieux.

Guillaume Brodeur"


Bon! Répondons au cher Monsieur Brodeur qui, malgré son ton acerbe, amène au moins certains éléments de contenu, ce qui nous change pas mal de la litanie de grossièretés et d'insultes qui me sont envoyées sur Cyberpresse ou ailleurs dans d'autres forums, le tout sous couvert, bien sûr, de l'anonymat, ces gens se sentant bien braves pour diffamer quelqu'un lorsqu'ils sont bien couverts derrière leur ordinateur .

D'abord, cher Monsieur Brodeur, dans l'article que vous critiquez, rien d'indique que je voudrais jouer à celui qui éclaire les vessies que je prendrais pour des lanternes. Je n'ai fait que donner mon opinion, très subjective j'en conviens, sur le fait que l'histoire telle qu'enseignée a occulté les noms des personnages que j'ai évoqués, malgré leur contribution importante à nos libertés et développement global de notre société. Le fait est que c'est la vision groulxiste qui l'a emporté jusqu'ici. Vous avez beau me parler de la Société St-Jean-Baptiste telle qu'elle est devenue aujourd'hui, et je lis d'ailleurs avec intérêt plusieurs de leurs interventions. Mais le fait demeure que plusieurs responsables passés et présents de la SSJB ont des liens très étroits avec la Fondation Lionel Groulx, qui est consacrée à la promotion de la pensée du cher abbé, dont l'influence sur la version dominante de notre histoire reste prédominante.

Quant aux personnages que j'ai évoqués, jamais je n'ai écrit qu'ils épouseraient les thèses trudeauises. D'ailleurs, j'ai moi-même beaucoup de réserves par rapport à la vision de Trudeau, dont notamment l'arrogance a davantage nui qu'aidé à favoriser le projet canadien. De fait, les Rouges du 19e siècle étaient, pour la plupart, opposés au départ à la Confédération de 1867. Wilfrid Laurier le premier, qui pourtant a par la suite joué un grand rôle dans la définition du pays canadien. J'ignore ce que les Mesplet, Dessaulles, Buies, Fréchette, Beaugrand et les autres auraient comme position constitutionnelle en 2006. Mais ce que j'ai lu d'eux et sur eux, c'est que personne parmi eux ne parlaient des anglophones comme l'Ennemi ou l'Occupant à la manière de nos enragés d'aujourd'hui. La vision ethniciste était diamétralement opposée à leurs conceptions politiques et, bien au contraire, j'ai pu lire des textes et discours de leur part prônant la concorde et l'ambition de bâtir un pays commun, dans la tolérance et le respect mutuel. Ceci ne faisait pas moins d'eux des francophones convaincus de la nécessité d'assumer la langue et la culture française, et de défendre vigoureusement nos droits lorsqu'ils étaient mis en cause. Et ceci ressemble pas mal plus que vous pouvez le penser aux fédéralistes francophones d'aujourd'hui.

Cependant, ces gens étaient des libres-penseurs qui avaient le courage d'écrire, de parler, d'affirmer leurs idées qui s'opposaient à l'idéologie dominante de leur époque. Même s'ils étaient ostracisés, marginalisés, tournés en dérision, et dans certains cas carrément diffamés et menacés, ces gens disaient ce qu'ils pensaient sans aucune gêne. En cela, ils devraient pouvoir nous inspirer dans le Québec d'aujourd'hui, où un véritable terrorisme intellectuel, par le bais de torrents d'insultes et de diffamation, frappe quiconque ose ramer à contre-courant du nationalisme obligatoire qui prévaut. En effet, on ne peut même pas questionner la pertinence ou non du nationalisme sans se voir traiter de «collabo», de «vendu», de «traître», etc.

Ensuite, détrompez-vous, Monsieur Brodeur: jamais je n'ai prétendu qu'esprit libéral rime seulement avec Parti libéral. Le Parti libéral, d'ailleurs, est encore loin d'être à la hauteur de l'approche qu'il faudrait pour résoudre le problème national. J'en suis membre depuis peu, mais je ne me dispenserai pas de le critiquer ouvertement, car il doit absolument se renouveler et aussi sortir du trudeauisme. Trudeau est mort et enterré, et même s'il a fait du bon comme la plupart des politiciens de tous les partis, il a aussi foutu le pays dans le marasme lorsqu'il s'est dogmatiquement opposé aux accords de Meech et de Charlottetown. Enfin, je me considère libéral philosophiquement parlant, et d'être membre ou non d'un parti ayant le nom de «Libéral» n'a rien à voir avec cela.

Le parti conservateur a remporté un certain succès au Québec parce qu'il a eu un discours d'ouverture et de respect à l'égard du Québec et de ses champs de compétence. Bien que libéral, je le reconnais volontiers, n'étant pas du genre à diaboliser tout ce que font les autres partis.

Je connais certains députés péquistes ou bloquistes qui me semblent d'esprit libéral, en ce sens où ils assument leurs convictions politiques, mais sans vouer aux Enfers les gens comme moi, qui pensent différemment d'eux. Aussi, dans certains dossiers qui ne regardent pas la question nationale, le PLC et le Bloc ont beaucoup de positions communes: affaires étrangères, environnement, etc. Par contre, ce que je dénonce avec vigueur, c'est le comportement de la frange extrémiste du mouvement nationaliste et indépendantiste. Ces gens, il est vrai peu représentatifs en nombre du mouvement indépendantiste, ont quand même un impact important lorsqu'ils agressent de leurs insultes et de leur haine quiconque ose se tenir debout pour affirmer des convictions différentes. Ces gens représentent une peste qui tue l'esprit de la vie démocratique au Québec, et il n'y a qu'à lire ce qu'ils répandent partout sur le Net pour se rendre compte de leur intolérance et de leur fanatisme.

Et non, je ne pense pas que nationalisme rime nécessairement avec fascisme. Je connais certains nationalistes très convaincus et cohérents qui ne me semblent pas être des fascistes du tout, et avec qui la discussion est possible. Ceci n'empêche pas des débats virulents, mais quand cela se fait dans le respect des personnes, les discussions peuvent au moins servir à quelque chose. Mais il me semble qu'il vaudrait mieux pour ceux-là de se faire dans les débats plus visibles que la frange extrémiste de leur mouvement.

Enfin, vous voulez savoir comment je gagne ma vie. Je me demande pourquoi il faut toujours, parce que je ne suis pas indépendantiste et que j'interviens parfois publiquement dans le débat, qu'on me pose cette question, comme si je devais passer au confessionnal. C'est comme si nous avions dans le débat un côté, indépendantiste, ayant le monopole du dévouement gratuit et de la générosité, et un autre côté, fédéraliste, rassemblant seulement des gens qui seraient grassement payés pour dire leur point de vue. En cette question de votre part (et de la part de bien d'autres), on peut voir un germe d'intolérance, comme si vous considériez qu'au royaume de la démocratie québécoise les tenants d'un côté du débat ne pouvaient avoir d'autre motivation que celle d'exprimer ce qu'ils pensent, librement, et sans dépendance financière ou autre. Reconnaissez-nous donc le droit de nous exprimer librement et sans suspicion de faire partie d'une espèce de «complot» ourdi par des gens qui nous paieraient grassement, et vous ferez alors preuve d'un minimum d'esprit démocratique.

Eh bien, tant qu'à me faire poser cette question, j'accepte de passer au confessionnal: je ne vis que de petits contrats de rédaction, de traduction et de corrections de textes. Je me sens très libre par rapport à l'argent, dont d'ailleurs je consacre une bonne part de ce que je reçois pour supporter des causes qui me tiennent à coeur, et aussi pour soutenir des amis dans le besoin. De plus, je donne des cours d'écriture en français, et cela entièrement de façon bénévole, à quelques personnes autour de moi qui clenchent pas mal fort sur leurs études et pour qui la maîtrise de leur expression écrite est une forme d'émancipation qui leur permet de dire clairement qui ils sont et ce qu'ils pensent. En un mot, je vis d'une manière qui fera que je ne deviendrai jamais riche, et je ne m'en porte que fort bien, ne voulant en aucune manière être achetable. D'ailleurs, mon attitude en indispose pas mal dans mon propre camp fédéraliste. Demandez par exemple à un Jean Lapierre ce qu'il pense de moi, et vous verrez qu'il ne m'apprécie guère car j'ai critiqué publiquement le PLC durant la dernière campagne électorale, ce que d'ailleurs je referais sans hésiter s'il le fallait. Au fait, j'ai même dit publiquement que le PLC ne méritait pas la confiance de l'électorat lors de la dernière campagne fédérale. Il a bien du chemin à parcourir devant lui pour se renouveler, tant sur le plan des personnes que des idées, et aussi pour tirer les leçons de ce qui s'est passé avec le scandale des commandites.

Maintenant, j'attends de vous, Monsieur Brodeur, que vous me révéliez à votre tour vos sources personnelles de financement, ou celles des militants indépendantistes, puisque vous m'avez demandé de le faire. Peut-être devrions-nous convoquer un point de presse conjoint, où nous pourrions dévoiler au grand jour nos rapports d'impôts des dernières années? Je suis preneur, en tout temps, si quelqu'un veut bien relever le défi.

Enfin, vous me dites de «cesser de cracher sur tous ceux qui sont fiers d'être Québécois». Là encore, vous ne faites pas la distinction: je m'en prends à l'aile extrémiste, réactionnaire et antidémocratique de votre mouvement, car elle brime gravement la liberté d'expression chez nous. Aussi, je suis Québécois moi-même, et j'en suis fier, tout comme au moins la moitié de notre population qui n'est pas indépendantiste. Être un Québécois ne veut pas dire être un indépendantiste, et cela, vous devrez bien le comprendre un jour ou l'autre. Sinon, vous ne faites que cracher sur ceux qui ne pensent pas comme vous en leur déniant le droit d'être, eux aussi, des Québécois. Cessez d'exclure les fédéralistes québécois de leur identité québécoise, et alors on croira que l'essentiel de votre mouvement est basé sur l'ouverture, la tolérance, et sur le droit des autres à s'exprimer librement et dans le respect, qui est un droit élémentaire en démocratie.