samedi, avril 07, 2007

De quoi lire
pour se déniaiser...

Me voici de retour après deux semaines de grève de "blogage", ayant été assez occupé avec d'autres rédactions qui accaparaient toute mon attention...

Tous mes regrets donc à mes aimables visiteurs, dont certains m'ont gentiment envoyé un courriel pour s'assurer que je me portais bien. Et surtout, noblesse oblige, mes plus sincères excuses à la petite clique d'opposants nationaleux enragés qui sont devenus des fidèles lecteurs de ce blogue, avides qu'ils sont d'y puiser la dose de rage nécessaire à leur ferveur fanatisée et que mes propos, fort hérétiques à leurs yeux, leur procurent allègrement. Que ces âmes zélées se rassurent : vraiment, loin de moi l'idée de leur imposer un sevrage aussi cruel et inhumain...

Je veux vous parler aujourd'hui du dernier numéro (en fait un numéro double) de la revue Liberté (dont j'avais présenté le numéro précédent dans mon billet du 8 janvier dernier). Encore une fois, l'équipe et les collaborateurs de cette revue récidivent dans leur volonté de déniaiser les esprits englués dans la vulgate sociale-nationale à la sauce québécoise pimentée par les Claude Jasmin, les Imam Pierre Falardeau et autres fumistes et charlatans du même acabit, qui, en bons curés qu'ils sont, veulent à tout prix nous imposer leur conception du "Salut National", tout cela prétendument pour notre "Bien", même si ça nous fait mal et dont, surtout, ils décrètent les termes à notre place, puisque pour eux, de penser par nous-mêmes est une chose tout à fait inconcevable, sinon condamnable dès que nos points de vue ne sont pas les leurs.

Le thème de ce numéro est La mort du Québec: pour qui sonne le glas ? , cela en guise de réponse aux propos alarmistes tenus par l'écrivain Jacques Godbout sur la mort du Québec qu'il prévoit pour l'an 2076 (ces propos de Godbout avaient été publiés dans l'édition du 1er septembre dernier du magazine L'Actualité). Ce qu'on sent s'exprimer, sous diverses tonalités, dans cette édition de la revue Liberté, c'est un certain ras-le-bol de ces curés prétendument défroqués qui sonnent constamment le glas des clochers pour protéger la "Nation Québécoise" contre les sombres menaces et complots ourdis pour la réduire à néant, et cela que lesdits complots et menaces viennent des immigrés, des Anglos, de l'Ogre fédéral ou, pire encore, de ces francophones Québécois, ces traîtres qui commettent l'hérésie de croire que le Canada est une bonne chose pour le Québec et qui ne tombent pas en pamoison toute béate ni devant le fleurdelysé, ni d'ailleurs devant quelque drapeau que ce soit.

D'évidence, d'une telle paranoïa, mêlée de défaitisme culturel, les divers auteurs des articles de ce numéro en ont plein leur casque, et leurs propos indiquent qu'ils aimeraient bien qu'on passe enfin à autre chose, cet autre chose étant ce qui nous renvoie à la vie, la vraie, la nôtre, celle qui aujourd'hui appartient à chacun de nous dans notre irréductible individualité, et cela au lieu de nous enliser dans les fantasmes et mythes "nationaux" dont ont nous a gavés jusqu'à plus soif depuis les beaux jours du très réactionnaire chanoine Lionel Groulx, véritable Père fondateur de ce nationalisme identitaire dont se revendiquent toujours les chantres actuels de la "Nation", ceux-ci s'acharnant inlassablement à nous imposer, à partir des tribunes qu'ils contrôlent, un conformisme de plus en plus niais. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à se taper les chroniques d'un toujours prévisible François Parenteau dans le Voir, ou à regarder quelques émissions de Tout le monde en parle...

Vous en doutez encore ? Eh bien, regardez du côté de la scène officielle des arts et de la culture au Québec : si tu grattes la guitare avec un certain talent et que tu veux pogner au Québec, t'as intérêt à faire vibrer la corde nationaliste. Faute de flatter dans le sens du poil la masse nationalisée par tes chansonnettes, ou encore de faire plaisir aux oreilles de ce qui sert maintenant de chroniqueurs au journal Voir, penses-y même pas, t'es foutu, mon vieux... Sauf de très rares exceptions, bien sûr, mais celles-là ne font que confirmer la règle solidement établie en nos belles terres où la pensée unique nationalisto-indépendantiste tient lieu de Loi Sacrée...

Pour vous donner un avant-goût du genre de contenu qu'on trouve dans ce numéro, je vous signale un seul parmi les articles qui y sont publiés, ceci pour ne pas vous priver du plaisir de vous le procurer et d'en apprécier vous-mêmes la lecture au complet... (Bien entendu, soit dit en passant, je suis persuadé que vous aurez le bon goût de l'acheter dans l'une de ces vraies librairies que sont nos librairies indépendantes !) ...

Dans son article qui est le tout premier du numéro, Olivier Kemeid relate d'abord l'expérience qu'il a connue lorsqu'il avait réagi de manière virulente dans Le Devoir aux propos de Jacques Godbout. Kemeid s'était vite vu taxer d'être un disciple de ces Grands Satans que sont aux yeux de nos nationaleux invétérés les Pierre Trudeau, Paul Desmarais ou Alain Dubuc. Pas de surprise ici, cependant : cette rengaine-là, usée jusqu'à l'os, elle est toujours systématiquement servie à quiconque ose critiquer le moindrement la pensée unique nationaliste. Mais les chantres de ladite pensée unique n'ont pas craint le ridicule (qui, après tout, ne tue pas, il est vrai) : Kemeid, voilà un patronyme qui paraissait bien suspect aux oreilles de certains parmi nos nationalistes qui aiment bien pourtant prononcer le plus souvent possible les mots "Québec-pour-le-Monde"... Ainsi, une certaine dame Rolande Allard-Lacerte, dans Le Devoir du 19 septembre 2006, soupçonnait vraisemblablement Kemeid d'être un adepte de la burga. L'ironie, comme le raconte de manière savoureuse Olivier Kemeid, est qu'il est «né au carré St-Louis à Montréal, d'une mère canadienne-française et d'un père catholique blanc-de-peau-quoique-basané arrivé ici à l'âge de six ans». Tiens toé, Madame Allard-Lacerte...

Ensuite, Kemeid s'attaque au révisionnisme qui a frappé la lecture de l'histoire du Québec post-duplessiste. Ainsi, nos nationalistes réussissent à trouver du bon au dictateur corrompu Duplessis, celui-ci ayant eu le mérite à leurs yeux d'incarner un Chef s'étant tenu debout devant Ottawa, cet Ogre fédéral que je vous mentionnais plus haut. Faut d'ailleurs se rappeler que l'un des premiers gestes du Parti Québécois prétendument progressiste, lors de sa première prise du pouvoir en 1976, fut d'ériger la statue de Duplessis devant l'Assemblée Nationale, histoire d'honorer le Chef et sa belle conception de la démocratie et de la liberté. Mais il est vrai que pour les nationalistes, quand on a été champion de la "totonomie provinciale", comme la dénommait si joliment Jean-Charles Harvey, on peut se faire pardonner bien des errements et friponneries, y compris l'arriération sociale, économique et culturelle dans laquelle Duplessis a maintenu la société québécoise durant tant d'années.

Kemeid ne laisse planer aucun doute quant à son peu de goût pour une telle réhabilitation de Duplessis, qu'il refuse toutefois de diaboliser car, après tout, il faut le reconnaître, Duplessis «n'a tout de même pas réussi à extirper complètement le Québec du monde». Donc, montrons quelque indulgence à l'égard de Duplessis pour un tel échec, et en cela je suis bien d'accord moi aussi. Mais Kemeid fronce quand même les sourcils devant la tendance à voir surtout du bon dans ce despote corrompu et ennemi des libertés: «Que l'on nuance une époque entrée dans la légende, soit. Mais de là à passer outre à la Loi du cadenas, la persécution des intellectuels, l'immobilisme social, le conservatisme régressif et avant tout cette perpétuation du passé (...), il y a là un fossé que je ne franchirai pas. (...) Lorsque j'entends les prosateurs de la nuance invoquer tour à tour les grands travaux de Maurice Le Noblet Duplessis, du pont Le Gardeur à Repentigny aux 8000 hommes à l'île Sainte-Hélène en passant par les 35 millions de dollars sous forme de crédits agricoles aux cultivateurs, je me dis - et je sais que la comparaison va vous faire sursauter - qu'on peut également affirmer, avec une certaine vérité historique, que sous le IIIe Reich le taux de chômage était très bas.»

Kemeid, le téméraire bien imprudent, va plus loin, allant jusqu'à critiquer ce même révisionnisme qui fait en sorte que «les écrits de Lionel Groulx sont évoqués avec une certaine tendresse, suivis d'un sempiternel et toujours suspect "il faut remettre ça dans le contexte"».

Ah, "Le Contexte" !!! Heureusement que nos adorateurs de Groulx l'ont, celui-là! Pour eux, "Le Contexte" explique tout, justifie tout, même l'ignoble et l'injustifiable. Groulx était fasciste, anti-démocrate, antisémite et promoteur du cléricalisme le plus réactionnaire. Groulx admirait les Salazar, Mussolini et autres dictateurs fascistes d'Europe, en plus d'avoir souhaité ardemment l'avènement d'un Chef National du même genre au Québec. Mais nos nationalistes nous disent que Groulx ne pouvait pas faire autrement, car c'était à cause du "Contexte"! Pourtant, les Jean-Charles Harvey, Hector de Saint-Denys Garneau, Télesphore-Damien Bouchard, Paul-Émile Borduas et j'en passe, eux aussi, ils étaient dans ce même «Contexte», donc de la même époque que Groulx, mais ça ne les a pas empêchés de s'opposer au nationalisme arriéré de Groulx, à l'antisémitisme, au fascisme, ni de promouvoir des valeurs humanistes et de liberté. On se souvient peu de ces gens, cependant, tandis que Groulx a sa station de métro à Montréal, et bien des rues et collèges dédiés à son nom.

Mais c'est vrai, Groulx, quoique fasciste et réactionnaire jusqu'à la moëlle, nous avait prétendument redonné notre "Grandeur Nationale", et c'est pourquoi nos nationalistes d'aujourd'hui demeurent pour la plupart pâmés devant ce "Grand Homme", même si en vérité il nous a surtout légué une lecture de l'histoire complètement débilitante et mythologisée, remplie par surcroît de bondieuseries patriotardes qui confinent à la plus pure niaiserie. (Au fait, soyez avertis : si jamais vous osez toucher à Groulx, sa plus grande émule d'aujourd'hui, l'Imam Pierre Falardeau, vous fera passer un bien mauvais quart d'heure... C'est qu'en bon réactionnaire qu'il ne manque jamais de prouver qu'il est, l'Imam Falardeau sait reconnaître les siens).

Parlant justement de ces figures de notre histoire qui, dans le même "Contexte" que celui de Groulx, se battaient pour faire entrer le Québec dans la modernité tout en combattant ceux qui, comme Groulx et Duplessis, s'acharnaient à le maintenir dans un état d'arriération globale, Olivier Kemeid souhaite d'emblée qu'on les sorte de l'oubli dans lequel les gardiens du Temple nationaliste les ont confinées. Il appelle à «distinguer ce qui, dans le système alors en place, tentait de lutter, de faire subversion, de provoquer des brèches. (...) Si l'on prend 1933, par exemple, et plus généralement les années 1930, on ne peut ignorer le vent de pensée qui agite la province : la fondation de L'Ordre d'Olivar Asselin, la "rénovation intellectuelle" souhaitée par Le Clairon de T. D. Bouchard, Le Jour de Jean-Charles Harvey, La Relève de Robert Charbonneau, Vivre de Jean-Louis Gagnon. Comment ne pas y voir une période préfigurant les années d'ébullition de la Révolution tranquille ? (...) De ces subversifs-là, nous n'entendrons jamais trop parler ; le devoir de mémoire nous pousse à les honorer, du moins à rappeler leur passage. Or, de la même manière qu'en littérature on a tendance à cautionner les grands canons du roman national au détriment des voix discordantes, l'histoire officielle tend à mettre de côté les précurseurs de la réforme au profit des "grands chefs d'État". La déraison prônée par les précurseurs dérangeait, et dérange encore ! »

Ces quelques éléments ne constituent qu'un survol bien partiel de l'article de Kemeid, qui s'étend sur bien des faits historiques dont l'interprétation qu'il en fait vaut la peine d'être lue et réfléchie. Mais avec de tels propos, je n'ai aucun doute qu'Olivier Kemeid (que l'on ne verra pourtant pas de sitôt, j'en suis sûr, parader dans les rues le corps drapé dans l'unifolié un premier juillet, car cet irréductible tenant de la liberté de pensée ne me semble pas du genre à se laisser embrigader par quoi ou qui que ce soit) va en déranger plusieurs, particulièrement du côté des gardiens du Temple nationaliste. Et, avec bon nombre des auteurs de ce numéro de la revue Liberté - parmi lesquels on retrouve avec plaisir les Pierre Lefebvre, Robert Richard et Michel Morin qui persistent et signent dans leurs hérésies particulières, on peut présumer que Kemeid n'a pas fini lui aussi de déranger. Et c'est tant mieux, car il est plus que temps qu'un vigoureux déniaisage s'opère enfin en profondeur sur la scène culturelle et intellectuelle du Québec.