mercredi, mars 07, 2007

Exit l'esprit de colonisé... mais pour de vrai!

Il est de bon ton chez nos nationaleux et séparateux invétérés de s'en prendre à ceux qui ne partagent pas leurs étroites visions identitaires et collectivistes en les traitant de «colonisés». Sauf que, dans la réalité des choses, on se rend compte, en étudiant la question de près, que les vrais colonisés ne sont pas nécessairement là où certains aiment le prétendre. Mais en un sens, on peut les comprendre: quand on se réfugie derrière des slogans creux et des expressions vidées de leur vrai sens, il est normal d'en arriver à ne plus se regarder soi-même, dans sa vraie réalité, pour ensuite accuser les autres de porter nos propres tares.

Par exemple, l'ineffable Imam Pierre Falardeau, Guide Spirituel de l'aile intégriste et réactionnaire du mouvement indépendantiste, illustre fort bien ce qu'est un parfait taré qui se croit lui-même libre des tares qu'il voit chez celui qui pense différemment de lui: l'un des thèmes de prédilection de ce marginal autoproclamé - mais en même temps chouchou des médias qu'on voit et entend partout - consiste à gueuler que le Québec serait un «pays conquis qu'il faut libérer de ses chaînes». Mais quand on examine sérieusement la réalité des choses, on se rend bien compte du fait que ce qui est «conquis», c'est surtout l'imaginaire revanchard et réactionnaire de notre risible bouffon «national», et que là où il y a des «chaînes», c'est surtout dans la tête de l'Imam Falardeau lui-même, incapable qu'il est de vivre au présent et de se libérer d'une conception de l'histoire qui est complètement tronquée et paralysée par une vision qui réduit les Québécois à l'état de «pauvres victimes». Ceci sans insister sur le fait que l'Imam Falardeau et son troupeau de fidèles brebis bêlantes se gargarisent du mot de «liberté», mais tout en déniant le droit à autrui de jouir de la liberté de penser autrement qu'eux. Et pas besoin d'être fédéraliste pour subir la très réactionnaire matraque falardienne: les indépendantistes qui se montrent à peine plus modérés et moins fanatisés que lui, y goûtent régulièrement eux aussi.

L'Imam Falardeau, avec quelques autres de ses semblables adeptes de la pensée fossilisée, occupe d'ailleurs une bonne place dans le livre que je vous présente aujourd'hui, Le roman colonial (également disponible en anglais chez Douglas & McIntyre) de l'écrivain Daniel Poliquin, un auteur de romans fort remarqués et célébrés par la critique et par de nombreux prix littéraires, dont entre autres L'écureuil noir il y a une dizaine d'années et, plus récemment, La Kermesse.

Poliquin, on le sent bien en lisant ce livre, n'est vraiment pas du genre à se laisser intimider par les torrents d'insultes haineuses éructées constamment par nos réactionnaires nationaleux et séparateux contre ceux qui commettent non seulement l'hérésie de penser différemment d'eux, mais, surtout, de le dire sans gêne aucune. Bien au contraire de toute inhibition imposée, il s'amuse joyeusement à les montrer pour ce qu'ils sont en réalité: des peureux qui trouvent leur confort dans un tissu de certitudes absolues et fondées sur des mythes et clichés débilitants quant à la réalité d'hier et d'aujourd'hui.

Pour établir sa démonstration toute festive, Daniel Poliquin emploie deux personnages fictifs qu'il a créés, mais dont l'esprit et la mentalité sont bien ancrées dans la réalité québécoise d'aujourd'hui: Monsieur Labine et Monsieur Lesieur, l'un s'étant détourné de la foi béate en une histoire forgée des mythes fondateurs propres à la "gloire nationale" et qui s'intéresse davantage au présent et à l'avenir, et l'autre restant braqué dans une stérile lutte pour la "survivance", qui reste essentiellement fondée sur le manque de confiance en soi et sur la peur de l'Autre.

Par ces deux Messieurs, on passe ainsi en revue tous nos ténors nationalistes d'hier et d'aujourd'hui, «mous» comme «purs et durs», mais qui carburent tous à la même sauce revancharde et peureuse. Poliquin prend la liberté de débusquer leurs discours préfabriqués et leurs certitudes fossilisées, tout en remontant, avec de nombreuses preuves et citations à l'appui, à leurs sources essentiellement réactionnaires, héritées d'un chanoine Lionel Groulx et d'autres historiens d'extrême-droite comme Robert Rumilly (ce grand ami et protecteur d'une crapule nazie comme Bernonville).

Poliquin démontre aussi que l'adaptation du nationalisme d'aujourd'hui en un beau discours soi-disant «progressiste» et «civique» n'est au fond que de la foutaise lancée comme de la poudre aux yeux, car en dernière instance, c'est toujours la dimension ethniciste et frileusement identitaire qui l'emporte. En fait, on peut douter qu'un nationaliste qui se croit «sincère» et «ouvert» puisse sortir indemne d'une telle lecture, tellement les faits y sont présentés de manière lucide et étendue ; mais la plupart d'entre eux ont préféré jusqu'ici courageusement éviter de lire Le roman colonial. On peut les comprendre, puisque la vérité perturbe toujours les idées reçues, et plusieurs semblent préférer le doux confort que procure le fait de se plier au conformisme nationaliste , sans trop réfléchir à ses origines et à sa signification réelle pour aujourd'hui.

Mais tous ceux qui ne sont pas des adeptes du prêt-à-penser et de la pensée unique à la sauce nationaliste trouveront plaisir à lire Le roman colonial ; le seul risque qu'ils prendront en faisant cette lecture sera celui de prendre conscience de bien des réalités passées et présentes, tout en s'amusant ferme de la gouaille iconoclaste d'un Daniel Poliquin, qui nous montre à quel point, en matière de nationalisme, le Roi est bel et bien tout nu, même s'il ne s'en rend pas encore compte.