jeudi, mars 22, 2007

Religions :
des choses
à mettre au clair


Dans tout le débat que nous connaissons au Québec sur les accomodements prétendus "raisonnables", on est obligé de constater que, d'abord, on nage en pleine confusion, et aussi que peu de gens se sont risqués à aborder le fond du problème, qui est celui des fondements mêmes des religions et de la place qui doit être la leur dans une société démocratique, ouverte et laïque.

Si la confusion règne, c'est parce que, justement, nous parlons d'accomodements "raisonnables", alors qu'en réalité il n'y a strictement rien de "raisonnable" dans le phénomène religieux. La plupart des croyants l'admettront eux-mêmes, la religion n'a en effet rien à voir avec la raison, car elle relève de croyances strictement surnaturelles et irrationnelles. C'est donc la déraison que l'on consacre par ce genre d'accomodements. En ce sens, ce n'est pas d'accomodements raisonnables dont on devrait parler, mais bien plutôt d'accomodements religieux. Et parler d'accomodements religieux, ça nous force à nous poser certaines questions de fond sur la société dans laquelle on veut vivre.

Par exemple: après nous être débarrassés de l'influence de l'Église catholique qui pesait comme une chape de plomb sur notre société mais qui a été, fort heureusement, chassée par la grande porte de nos institutions collectives, voulons-nous que la religion ressurgisse de nouveau, cette fois en entrant par les fenêtres du sous-sol? Pour ma part, je fais partie de ceux qui considèrent que la religion, c'est strictement une affaire privée, et qu'elle doit rester en dehors de la sphère publique que sont nos institutions sociales et collectives. Les gens peuvent bien croire dans ce qu'ils veulent, c'est leur affaire à eux. Mais jamais nos institutions ne devraient se plier à quelque croyance religieuse que ce soit. Des salles de prière, c'est bon pour les résidences privées ou pour les églises, temples, mosquées, pagodes, etc., mais ça n'a pas d'affaire dans nos écoles où dans tout autre lieu appartenant à l'État, donc à l'ensemble des citoyens, qu'ils soient croyants ou non. Les religions ne devraient bénéficier d'aucun passe-droit à cet égard. C'est à ce prix qu'on pourra garantir le plurarisme, la tolérance, et surtout la liberté, dans notre société.

Aussi, on le voit dans certains pays d'Europe, certains mouvements intégristes sont en train de museler la liberté d'expression. L'affaire des caricatures au Danemark, l'assassinat du cinéaste Théo Van Gogh en Hollande, et aussi la pièce Mahomet, ou le tombeau du fanatisme de Voltaire qu'on a réussi à empêcher de jouer à Genève, ou encore les représentations de l'opéra Inomédée de Mozart qu'on a presque réussi à faire annuler en Allemagne, montrent bien que l'intégrisme islamiste est en train de miner nos libertés fondamentales. D'ailleurs, même ici au Québec, je parierais gros que n'importe quelle troupe de théâtre qui serait assez téméraire pour jouer cette même pièce de Voltaire se verrait l'objet de menaces, sinon d'attentats. C'est dire combien nos libertés ont reculé sous la pression insidieuse et sournoise des fous de dieu et du fanatisme le plus abject.

Pour ma part, je le dis sans gêne aucune: on doit préserver dans notre société le droit de critiquer et de dénoncer les religions, qu'elles qu'elles soient, et d'affirmer haut et fort, si on le pense, qu'elles sont absurdes, aliénantes et insensées. Ce qui est sacré chez nous, ce ne doit jamais être quelque dogme ou fable religieuse que ce soit, ni la parole ou l'icône de quelconque "prophète" ou leader religieux. Ce qui est sacré chez nous donc, c'est le droit à la liberté d'expression sans aucune limite autre que la propagande haineuse, et aussi des principes tels que la liberté absolue de conscience, l'égalité entre l'homme et la femme et un espace et des institutions publiques libres de toute influence religieuse. En un mot, ce qui est sacré chez nous, c'est la personne humaine, sa dignité et sa liberté.

Encore une fois, la religion doit rester cantonnée à la sphère privée. Et on a aussi le droit de respecter ou non certaines croyances, et de dire ce qu'on pense d'elles, même de les dénigrer si on le veut, dans la mesure cependant où les personnes et leurs droits fondamentaux, ceux qui sont partagés par tous dans notre société, sont toujours respectés. Pour ma part, je ne demande pas aux gens de respecter mes convictions philosophiques ou autres, mais cependant, mon droit de dire ce que je pense librement et de critiquer les croyances, lui, doit être respecté. Idem pour ceux qui ont des croyances dogmatiques, qui peuvent bien critiquer les convictions des non-croyants, et aussi les dénigrer s'ils le veulent. Seule une société qui préserve la laïcité dans l'espace institutionnel public peut garantir ces droits et ces libertés fondamentaux et universels, qui doivent toujours être accessibles à chacun, quelles que soient ses croyances ou convictions.

C'est pour alimenter la réflexion sur ces questions importantes pour nos libertés que je signale la sortie récente d'une ré-édition (en format poche, donc économique) du livre de Paul-Henri Thiry d'Holbach, La Contagion sacrée, ou Histoire naturelle de la superstition. Philosophe de l'époque des Lumières (mais dont l'oeuvre a cependant été beaucoup trop négligée jusqu'ici), d'Holbach (dont je parlais pour la première fois dans un billet de janvier dernier) avait été l'un des premiers à faire fi des persécutions religieuses qui le menaçaient constamment pour analyser de manière incisive et sans complaisance l'aliénation religieuse et l'étonnante liste d'absurdités qui leur servent de fondements.

C'est une petite maison française, les éditions Coda, tenue entièrement par des bénévoles, qui s'est attelée à la tâche de faire redécouvrir ce grand humaniste dont le combat a contribué, aux côtés des Voltaire, Diderot et bien d'autres, à faire éclore le droit à la liberté de conscience dans notre civilisation. Les éditions Coda ont donc récemment permis de faire ressortir de l'oubli des oeuvres importantes de d'Holbach dont, en plus de celle dont je vous parle aujourd'hui, Le Christianisme dévoilé et la Théologie portative, dont chacune vaut vraiment le détour.

Lire d'Holbach, c'est se donner les moyens de comprendre la fausseté et l'absurdité des fondements des religions, et leur impact funeste dans l'histoire humaine. C'est ainsi voir les religions pour ce qu'elles sont en réalité: des affabulations inventées de toute pièce pour répandre la superstition et l'esprit de soumission, afin de consolider des pouvoirs absolutistes et liberticides. C'est enfin constater que les religions ont entraîné (et entraînent toujours) des conséquences funestes pour notre humanité, et nul besoin d'en réitérer la liste tellement leurs ravages sont évidents. Comme le démontre d'Holbach, les religions sont incompatibles avec la morale la plus élémentaire et avec les devoirs de chaque être humain à l'égard de son prochain, car elles déresponsabilisent l'individu par rapport à sa propre conscience, qui pour les religions ne doit servir que de hochet à ses interprètes qui cherchent toujours à imposer leurs volontés aux consciences, permettant ainsi de justifier ce qui, trop souvent, s'est révélé immoral et inhumain.

Comme le dit si justement d'Holbach :

«Tout système religieux fondé sur un dieu si jaloux de ses droits qu'il s'offense des actions et des pensées des hommes, un dieu vindicatif qui veut qu'on défende sa cause, une telle religion, dis-je, doit rendre ses sectateurs inquiets, turbulents, inhumains, méchants par principes et implacables par devoir. Elle doit porter le trouble sur la Terre, toujours remplie de spéculateurs dont les idées sur la divinité ne s'accorderont jamais, elle doit appeler les peuples au combat toutes les fois qu'on leur dira que l'intérêt du Ciel l'exige.

Mais Dieu ne parle jamais aux mortels que par des interprètes, et ceux-ci ne le font parler que suivant leurs propres intérêts ; et ces intérêts sont toujours très opposés à ceux de la société. Le vulgaire imbécile ne distinguera jamais son prêtre de son dieu. Dupe de sa confiance aveugle, il n'examinera point ses ordres, il marchera tête baissée contre ses ennemis, et sans s'informer jamais du sujet de la querelle (qu'il serait d'ailleurs incapable d'entendre), il égorgera sans scrupule ou s'exposera à mourir pour la défense d'une cause dont il n'est point instruit. Sa fureur se proportionnera néanmoins, à la grandeur du dieu qu'il croit intéressé dans la querelle. Et comme il sait que ce dieu est tout-puissant et que tout lui est permis, il ne mettra point de bornes à sa propre haine, à sa férocité : il les regardera comme des effets légitimes du zèle que son dieu doit exciter dans ses adorateurs.

Voilà pourquoi les guerres de religion sont les plus cruelles de toutes. En un mot, toute âme en qui le fanatisme religieux n'a point éteint les sentiments de l'humanité, est brûlée d'indignation et déchirée de pitié à la vue des barbaries, des perfidies et des tourments recherchés que la fureur religieuse a fait inventer aux hommes.

Ce fut communément au nom de Dieu et pour venger sa gloire que les plus grands forfaits se sont commis sur la Terre. Si je parcours la Terre en demandant à chacun de ses habitants ce qu'il pense de la bonté, de la justice, de la douceur, de la sociabilité, de l'humanité, de la bonne foi, de la sincérité, de la fidélité de ses engagements, de la reconnaissance, de la pitié filiale, etc, sa réponse ne sera point équivoque : chacun approuvera ces qualités, il les jugera nécessaires, il en parlera avec éloge. Mais si je lui demande, ce qu'enseignent les prêtres, ce que disent les lois et ses souverains, ce que ses usages demandent de lui : jamais nous ne pourrons nous entendre, jamais nous ne tomberons d'accord sur rien.»

Des propos comme ceux de d'Holbach, que ce soit ceux contenus dans cet extrait ou dans le reste de ses oeuvres, relèvent de l'évidence, à condition toutefois qu'on ait le moindrement conscience des faits de l'histoire humaine passée ou présente. La Contagion Sacrée nous fait comprendre, de manière informée et lucide, comment le phénomème religieux s'est emparé de l'esprit humain, et à quelles absurdités - et même horreurs - il l'a conduit. Il y a ici un lien de cause à effet qui est indéniable.

Ce que dit d'Holbach devrait être davantage entendu et réitéré de nos jours, et jamais on ne devrait accepter qu'il soit interdit de le clamer haut et fort, quitte à faire sourciller les fanatiques de toutes sortes, qu'ils soient chrétiens, musulmans, juifs, ou de quelque religion que ce soit. S'ils s'en sentent outragés dans leurs croyances, c'est leur affaire et ça ne concerne qu'eux, tout comme, pour ma part, c'est moi que ça concerne lorsque ma conscience humaine est choquée et outragée devant les atrocités et cruautés commises hier et aujourd'hui au nom des religions, sans parler des bêtises aliénantes qu'elles répandent et qui font injure à l'esprit humain. Libre donc à quiconque de croire à ce qu'il veut, même à des fables, quelles qu'elles soient, car chacun, chez nous, jouit de la liberté de conscience. Mais dans notre société ouverte et démocratique, on devrait toujours avoir le droit de dire librement ce qu'on pense, même concernant les fables religieuses, de même que l'aliénation et les absurdités qu'elles répandent.

Quiconque vit ou choisit de vivre ici devrait comprendre que ce droit à la liberté de pensée et de parole est une chose sacrée et qu'il est l'un des fondements principaux de notre société. Ceux qui ne peuvent supporter une telle liberté n'ont qu'à déménager à Téhéran, en Arabie Saoudite, au Vatican ou dans quelque autre contrée plus compatible avec leur intégrisme et où, sans doute, ils pourront vivre pleinement heureux.