samedi, janvier 27, 2007

Tandis qu'on est dans le sujet...

Ces temps-ci, je suis plongé dans les oeuvres de Paul Henri Thiry d'Holbach (portrait ci-contre), un philosophe de ces Lumières qui furant tant combattues par les tenants des courants idéologiques d'extrême-droite dont je parlais dans mon billet d'hier.

D'Holbach avait en effet tout pour déplaire à des mystificateurs obscurantistes comme Lionel Groulx, Robert Rumilly et les autres réactionnaires qui dominaient dans le Québec des années 1930 et 1940. Anticlérical convaincu, athée résolu et antimonarchiste militant, d'Holbach incarnait tout ce courant de libertés et d'émancipation propre à une certaine France du progrès social, moral et intellectuel et à laquelle étaient allergiques les pères fondateurs du nationalisme québécois prétendu «moderne». Ces derniers étaient plutôt des adeptes de l'absolutisme religieux et monarchique de la France d'avant 1789 et qui, incidemment, était caractéristique de cette Nouvelle-France au retour à laquelle ils aspiraient, tout bêtement. D'où d'ailleurs leur amour passionnel pour le Maréchal Pétain et le régime collabo de Vichy, ainsi que leur zèle à protéger sous leur aile des collabos aussi infects et crapuleux que pouvaient l'être un Bernonville et un Montel, car ces derniers avaient le louable mérite, à leurs yeux, de partager leur idéologie réactionnaire.

Donc, je lisais ce matin le volume des Oeuvres philosophiques de d'Holbach (récemment et heureusement rééditées aux éditions Coda), et voici que j'y trouve quelques lignes qui me font justement penser à la fois à une Esther Delisle et au sort qu'on lui fit subir, de même qu'à un Lionel Groulx et à ses disciples qui s'empressèrent de jouer le rôle d'inquisiteurs pour museler Mme Delisle tout en la calomniant et en la poursuivant de leur hargne vengeresse.

Ainsi donc, ces mots de d'Holbach peuvent fort bien faire songer à l'esprit qui animait Mme Delisle dans son travail d'historienne, de même qu'aux conséquences que ses inquisiteurs lui ont ensuite réservées pour avoir osé enfreindre le tabou: «Pour être utile, l'historien doit être véridique et développer les causes dont les effets ont été avantageux ou nuisibles ; il doit fixer les yeux des peuples sur les délires de leurs maîtres, sur les tableaux sanglants de leurs guerres, de leurs crimes, de leurs attentats contre la félicité publique. Mais l'Histoire ne peut sans danger retracer ces désordres sous un gouvernement épris des mêmes folies et qui ne tolère pas qu'on le montre sous ses traits véritables.»

Quant au bon abbé Lionel Groulx, il n'y a qu'à songer au fait qu'il avait, entre autres forfaits, encombré notre histoire de fables et de légendes ahurissantes à la Dollard des Ormeaux ou Madeleine de Verchères, tout cela pour forger le mythe d'une épopée héroïque qui n'en reste pas moins complètement dépourvue de fondements historiques, et on admettra alors que les mots suivants de d'Holbach lui vont à merveille: «Sous des plumes serviles et guidées par le préjugé, l'Histoire n'est qu'un amas de mensonges et de faits déguisés dont il ne peut résulter aucune utilité.»

Enfin, dans mon billet d'hier, je qualifiais Esther Delisle de «téméraire». Vous comprendrez donc que j'ai bien souri lorsque je suis tombé sur ces lignes: «Comment des tyrans pourraient-ils approuver ou favoriser une curiosité téméraire qui remonte aux principes, qui juge tout d'après sa valeur réelle ou son utilité, qui ose mettre l'autorité même dans la balance de l'examen ? Les hommes sont tellement accoutumés au mensonge, que la vérité leur paraît communément la plus dangereuse des nouveautés. L'ami du vrai semble être pour l'ordinaire l'ennemi de tout le monde.»

En effet, le moins qu'on puisse dire est que Mme Delisle, en se collant à la réalité des faits d'une période peu reluisante de l'histoire de nos élites nationalistes et en communiquant ses découvertes, s'est faite bien des ennemis parmi ceux pour qui la vérité paraît «la plus dangereuse des nouveautés»...