samedi, novembre 12, 2005

Du nationalisme étriqué
Cornellier, Louis
Le Devoir, 12 novembre 2005

Fondateur du journal indépendantiste Le Québécois, Patrick Bourgeois est un militant batailleur. Les fédéralistes, pour lui, sont moins des adversaires idéologiques que des ennemis. Inspiré par la pensée décolonisatrice d'Albert Memmi, Bourgeois considère le Canada comme un pays agressivement assimilateur et le Québec comme une colonie en lutte pour sa liberté. Cause première de ce triste état de fait, la Conquête anglaise, selon lui, aurait transformé les Québécois en êtres peureux et traumatisés sur le plan identitaire, et seule l'indépendance pourrait renverser la situation. Aussi, si vous êtes favorable à cette solution, Bourgeois vous considère comme un frère d'armes, mais si vous êtes contre, vous êtes un traître, un vendu ou, comme Pierre Elliott Trudeau, un «génocidaire en puissance». On est près, ici, de la pensée d'un Pierre Falardeau qui, d'ailleurs, est le préfacier de ce livre.

Pour être contestable à certains égards, cette pensée un peu brutale n'en reste pas moins légitime en ce qu'elle s'appuie sur certains arguments valables. Le malaise ressenti à la lecture de We Are Québécois when ça nous arrange ne tient donc pas au parti pris indépendantiste et décolonisateur de son auteur, mais plutôt aux insinuations à saveur ethnique qui lui tiennent lieu de stratégie argumentative.

On peut penser, en effet, que Justin Trudeau, Ben Mulroney et Yann Martel, en se faisant les chantres d'un bilinguisme salvateur et garant d'une ouverture sur le monde, se trompent, nuisent au projet souverainiste et doivent être contestés. Laisser entendre, comme ils le font, que le projet d'un Québec indépendant et français est rétrograde parce que l'avenir sera aux identités multiples relève de la bêtise idéologique et de la mesquinerie. Aussi, critiquer leur attitude de parvenus identitaires est donc un devoir intellectuel et il est pertinent de s'y employer.

Là où Bourgeois dérape, toutefois, c'est quand il attribue la source de leur attitude à leurs origines ethniques. Facile de comprendre, suggère-t-il, pourquoi ces gens-là sont des traîtres quand on constate qu'ils appartiennent à «une nouvelle race de bâtards» issue, par filiation, du «métissage ethnique» et riche en «collabos» à la double identité. On croirait lire du mauvais Lionel Groulx (je précise, parce qu'il y en a du bon)! Ce glissement du débat d'idées vers une chasse au complot fondé sur l'origine ethnique est profondément malsain et n'aide pas la cause souverainiste en donnant raison à ses adversaires les plus primaires.

Montrer que Jean Charest nuit au Québec en s'accrochant obséquieusement à la logique fédéraliste, que Paul Martin n'a rien d'un ami du Québec et qu'Alain Dubuc est prêt à toutes les bassesses argumentatives pour discréditer le projet souverainiste est un juste combat. Affirmer, par ailleurs, que leur fédéralisme s'explique par leur identité métissée relève de la xénophobie la plus crasse et est parfaitement indéfendable puisque cela voudrait dire que les idées tiennent à l'origine ethnique.

Il n'y a rien de scandaleux, redisons-le, à qualifier des gens de mauvais penseurs, d'adversaires, de mercenaires, voire d'opportunistes, quand on a des arguments pour ce faire. On peut, oui, dire haut et fort: voici, à mon avis, des gens dont les opinions et les gestes nuisent au progrès du Québec. Nous sommes, alors, dans l'argumentation, aussi polémique soit-elle. Présumer d'un lien de causalité entre les origines ethniques et la pensée (et non entre la culture et la pensée, ce qui serait autre chose) nous fait toutefois quitter ce terrain pour nous entraîner dans l'orbite d'un antihumanisme déshonorant que le souverainisme, tout comme le fédéralisme d'ailleurs, doit fuir comme la peste.

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We are Québécois when ça nous arrange
Patrick Bourgeois
Les Intouchables
Montréal, 2005, 160 pages

La critique de Louis Cornellier est intéressante. Indépendantiste chevronné, il n'en sait pas moins faire preuve de civilité, contrairement à la haine totalitaire des responsables du journal Le Québécois qu'il critique dans son article. Ceci dit, Cornellier lui-même, dans ce même article, tient un propos qui n'en est pas moins porteur d'éléments questionnables en matière d'éthique du débat public.

Premièrement, Cornellier évoque le livre de Bourgeois comme étant «bien près de la pensée d'un Pierre Falardeau». Pas besoin pourtant de prendre une telle précaution: les vues de Bourgeois et de Falardeau sont carrément identiques, fondées sur une haine politique, un fanatisme et une intolérance qui incarnent l'exact contraire de l'esprit de la démocratie. Nous sommes ici en présence d'une pensée politique totalitaire, où quiconque pense autrement est vu comme l'«ennemi de la Nation» qu'il faut abattre, et non comme une personne ayant le droit à son opinion. Apologistes de la violence verbale, les Bourgeois et Falardeau nourrissent une haine qui pourrait bien, si on n'y prend garde, développer des conséquences funestes pour notre société.

Aussi, il ne s'agit pas d'une pensée «un peu» brutale, comme le dit Cornellier. Cette pensée EST carrément brutale, pas seulement «un peu». Pourquoi Cornellier sent-il le besoin d'utiliser une telle précaution, alors que les faits démontrent que ces gens-là sont des apologistes de la violence?

Cornellier s'amuse aussi à trouver du «bon» dans l'oeuvre de Lionel Groulx, ce chantre du fascisme et du nationalisme identitaire qui a imprégné de sa marque le nationalisme québécois contemporain. J'aimerais bien qu'il expose davantage en quoi Lionel Groulx a laissé du «bon». Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'essentiel de son oeuvre a fait la promotion d'un nationalisme ethnique, refermé sur lui-même, en plus d'avoir livré une conception de l'histoire qui est gravement mensongère, déformant les faits les uns après les autres.

Enfin, Cornellier fait preuve d'une certaine intolérance lorsqu'il parle des fédéralistes. Ainsi, Jean Charest s'accrocherait «obséquieusement» au fédéralisme, comme s'il ne défendait en rien les intérêts du Québec, alors que son bilan jusqu'à maintenant n'est pas sans accrochages sérieux avec Ottawa. Serait-ce que chaque fédéraliste québécois serait nécessairement «obséquieux»? Pourquoi recourir à une telle insulte? Pourtant, il n'y a qu'à écouter les leaders indépendantistes pour se rendre compte qu'eux aussi ne sont pas sans «obséquiosité» lorsqu'ils évoquent, de manière souvent lyrique et exhaltée, les «lendemains radieux» de l'accession du Québec à l'indépendance politique, qu'ils présentent constamment comme l'avènement de la «Terre Promise».

Et bien entendu, Cornellier, en bon indépendantiste inconditionnel, se doit de qualifier un Alain Dubuc d'adepte de «toutes les bassesses argumentatives pour discréditer le projet souverainiste». Dans cette logique, n'importe quel commentateur et analyste fédéraliste ne saurait jamais être entendu, peu importe l'aspect rationnel et fondé de ses arguments, et si vous critiquez le projet indépendantiste avec une certaine efficacité en appuyant vos propos sur les faits bien tangibles, votre critique ne peut, selon les propos de Cornellier, qu'être vile et basse. Au diable donc le respect qui pourrait permettre un débat plus éclairant qu'un tel lancement d'anathèmes...

En ce sens, Cornellier n'est guère éloigné de la pensée de Bourgeois et de Falardeau, qu'il semble critiquer, assez timidement je ferai remarquer, seulement pour se démarquer de l'aspect infréquentable de cens gens-là, mais, ceci dit, il ne semble guère remarquer que les leaders politiques les plus en vue du camp indépendantiste, soit les Bernard Landry, Jacques Parizeau, Gilles Duceppe et consorts, ne cessent d'appuyer les oeuvres du journal Le Québécois, en y participant fièrement. On n'a qu'à faire la somme de toutes les publicités dans ce journal payées par les députés du Bloc Québécois et du Parti Québécois (publicités en fait payées par les contribuables), pour s'en rendre compte. Que l'élite politique du mouvement indépendantiste donne ainsi sa caution à ces adeptes du fanatisme et de l'intolérance, voilà une chose sur laquelle Cornellier ne semble guère se formaliser, alors que s'il était vraiment l'humaniste qu'il affirme être, il devrait s'en indigner.