vendredi, janvier 19, 2007

Un gros coup de coeur...

Je suis loin d'être un "expert" en musique, et donc je ne donnerai ici que mon avis bien subjectif - qui est aussi un point de vue de simple amateur - mais très enthousiaste sur l'un des plus grands chefs d'orchestre des cinquante dernières années: Carlos Kleiber. Je désire tout simplement faire découvrir ce génie de la direction musicale à ceux et celles qui ne le connaîtraient pas encore, et ainsi, oserais-je dire, partager avec eux un certain bonheur.

D'abord, quelques précisions sur sa vie: Carlos Kleiber est né à Berlin le 3 juillet 1930, et il est mort assez récemment, soit le 13 juillet 2004 dans le petit village de Konjsica, en Slovénie, où il a été enterré auprès de sa femme, la danseuse de ballet Stanislava Brezovar, décédée tout juste sept mois avant lui. Il était le fils d'un autre grand chef d'orchestre, Erich Kleiber. En 1935, la famille Kleiber, qui n'était pas juive mais cependant farouchement anti-nazie, quitta l'Allemagne pour s'établir en Argentine, d'où le prénom adopté par Carlos (qui était né Karl Ludwig) jusqu'à la fin de sa vie. Un fait singulier est à noter: le père Kleiber fit tout ce qui était en son pouvoir pour dissuader son fils Carlos d'entrer dans la carrière musicale. Il lui imposa des études de chimie à Zurich, mais Carlos se rebella et s'orienta tout de même vers la musique.

Tout au long de sa vie, Kleiber s'est tenu loin des feux de la rampe, n'ayant jamais donné une entrevue à aucun média et, d'un caractère pas toujours facile, il vivait de manière très recluse, étant très jaloux de sa vie privée. Un jour, il a confié à un ami que sa plus grande aspiration était de vieillir dans un jardin tout ensoleillé, en buvant, mangeant et faisant l'amour. Il ne dirigeait pas souvent non plus, malgré les ponts d'or que lui faisaient miroiter bien des promoteurs et orchestres prestigieux du monde, car Kleiber était reconnu comme l'un des plus grands chefs d'orchestre de son époque, avec les Herbert Von Karajan, Leonard Bernstein et George Solti. Son répertoire était restreint, et ses enregistrements sont peu nombreux, car ce perfectionniste méticuleux et tâtillon n'acceptait de graver que ce qu'il jugeait comme parfaitement accompli, et en plus, ayant toujours les nerfs à fleur de peau lorsqu'il dirigeait, il détestait les studios d'enregistrement.

Mais, une fois qu'on avait réussi à le pousser vers le podium, la magie s'opérait. Même s'il exigeait toujours un nombre considérable de répétitions, instrumentistes et chanteurs le respectaient au plus haut point, le vénéraient même, parce qu'il leur faisait croire en la musique qu'ils jouaient. Durant les répétitions, il avait l'habitude de laisser aux musiciens des conseils griffonnés sur un bout de papier qu'il laissait à leur pupitre; il fut cependant très ému lorsqu'il découvrit que les musiciens conservaient précieusement ces messages, qu'ils appelaient des "Kleibergrammes". Placido Domingo a dit de lui: «Il remarque tout. J'essaie toujours de lui faire plaisir, non pas parce que je veux lui faire plaisir, mais parce que je sais qu'il a raison». Lorsque parut, en 1975, la Cinquième de Beethoven dirigée par Kleiber, un critique a écrit: «C'est comme si Homère était revenu réciter l'Iliade».

En fait, les propos de ce critique n'avaient rien d'exagéré. J'ai découvert Kleiber tout à fait par hasard alors que, il y a six ou sept ans, j'avais acheté cette même version de la Cinquième de Beethoven. Bien qu'étant loin d'être un "expert", j'avais trouvé cette version bien meilleure que celles que je possédais déjà. J'en appréciais la vigueur du rythme, et il me semblait que Kleiber avait su rendre à cette oeuvre toute la puissance et la force que Beethoven voulait qu'elle fasse éclater. J'ai donc par la suite porté plus d'attention dans mes achats d'oeuvres classiques, afin d'en choisir des versions dirigées par Kleiber, ce que je n'ai jamais regretté. Par exemple, il faut écouter sa version de la Sixième symphonie de Beethoven (la «Pastorale») pour mesurer combien Kleiber savait donner force et vigueur à des oeuvres généralement livrées dans un rythme beaucoup moins intense.

Récemment, j'ai découvert en marchant avec ma copine sur la rue St-Denis, un nouveau magasin de musique classique, l'Atelier Grigorian (près du boul. Maisonneuve), alors que nous faisions des emplettes pour les Fêtes. Dans la section des concerts DVD, je suis tombé sur des copies des rares concerts dirigés par Kleiber à avoir été filmés. Je me les suis immédiatement procurés, et depuis, j'en regarde au moins un à chaque jour. À vrai dire, je me sens à chaque fois littéralement hypnotisé par son jeu musical, et émerveillé de le suivre alors qu'il initie brillamment le mouvement tout en se projetant de tout son corps et de toute son âme dans la musique. Son expressivité et sa maîtrise sont réellement uniques, et c'est en visionnant ses performances qu'on peut se sentir reconnaissant du fait que des caméras étaient présentes lors de ces représentations, car sinon il ne resterait aucune image filmée de ce génie de la direction musicale, et nous serions à jamais privés du bonheur et du plaisir de le voir à l'oeuvre. D'ailleurs, ma copine ne se lasse pas de visionner ces concerts avec moi... ce qui, je dois dire, fait bien mon affaire! Aussi, ma grand-mère étant une fervente amateure des oeuvres des Strauss, je lui ai offert pour Noël le DVD du concert du Nouvel An donné par Kleiber et l'Orchestre philharmonique de Vienne. Après l'avoir visionné, émerveillée et très émue, elle m'a dit c'était là le plus beau cadeau qu'elle ait reçu de sa vie!

Pour tout dire, un internaute chanteur d'opéra a publié ce message dans un forum: «J'ai 40 ans je suis chanteur d'opéra je viens de découvrir ce musicien. Je suis devenu fou. Je veux me réincarner dans cet homme. C'est le plus grand chef que je connaisse. Il allie dans sa personne la douceur et la fermeté, la justesse absolue des tempi qui fait ressortir l'état d'esprit de la pièce jouée, respect absolu de la partition, humour et sérieux, respect de ses musiciens et beauté de l'homme.»

L'un des DVD disponibles contient la Quatrième et la Septième de Beethoven, un deuxième la 36e de Mozart et la 2e de Brahms (un vrai joyau!), un troisième la 33e de Mozart et la 4e de Brahms, et il y a aussi le Concert du Nouvel An 1989 de l'Ochestre Philarmonique de Vienne, dont on a dit, à juste titre, que le visionnement risque de ne plus faire aimer aucun autre concert du Nouvel An donné par cet orchestre, tellement la direction de Kleiber était magnifique, sinon magique.

Certains croient que visionner un concert de musique classique peut parfois être ennuyant à en mourir. Mais quand on regarde Kleiber diriger, il devient tout simplement impossible de trouver le temps long, en fait on ne voudrait pas que ça cesse. Pour vous donner une idée du génie de Kleiber et de la grâce intense de sa direction musicale, je vous propose de visionner (merci à YouTube!) certaines de ses performances les plus significatives: le premier mouvement de la 4e symphonie de Beethoven (dont la direction puissante et mercuriale de Kleiber fait en sorte que l'on ne saurait jamais plus considérer comme "mineure" cette symphonie de Beethoven) ; le premier mouvement de la 7e symphonie de Beethoven (en deux parties: 1 et 2); et enfin, une pièce du concert du Nouvel An de Vienne: Eljen a Magyar. Vous m'en donnerez des nouvelles!

En tout cas, je tenais à vous partager ce gros coup de coeur, et j'espère que vous aussi aurez la chance d'apprécier ce grand chef qui fut une véritable légende, mais dont l'oeuvre nous touche et nous remue au plus profond, tout en nous faisant goûter un bonheur bien réel.