Tous au camp
de réédu-
cation, vite!!!
Il y a des matins où on se lève en ressentant plus fortement que d'habitude le devoir de se rendre utile à ses semblables, en les éclairant par exemple. En ce jeudi avant-midi, je me sens épris d'un tel sentiment.
Ami lecteur, avez-vous déjà songé à l'état de votre santé mentale? Bien que soit largement répandue l'idée que chacun de nous, d'une manière ou d'une autre, est porteur de «bibittes» psychologiques à un degré ou à un autre, «bibittes» qui sont tout aussi diversifiées que nous sommes d'individus à composer notre société, nous avons peut-être un peu trop banalisé une telle réalité. Car en vérité, vous êtes probablement bien plus fou que vous le pensez.
Selon l'un des principaux dirigeants du journal réactionnaire Le Québécois, M. Patrick Bourgeois, votre situation mentale est gravement préoccupante; à le lire, on serait porté à croire que si vous n'adhérez pas, corps et âme bien sûr, au dogme nationaliste et indépendantiste, vous souffrez de maladie mentale grave, vous êtes un taré, un fou à lier, un aliéné quasi irrécupérable.
Désolé d'avoir à vous le signifier, ami lecteur. Mais il faut voir la Vérité bien en face, du moins si vous fondez quelque espoir en une guérison éventuelle. Faute de quoi, vous serez toujours perçu et dépeint par le journal Le Québécois comme faisant partie de cette masse immense de cinglés portant un entonnoir sur la tête, mais que votre auto-aveuglement vous empêche de percevoir. Pathétique, voire tragique scénario s'il en est un.
Donc, il vous faut d'urgence prendre conscience de l'ampleur de votre mal, et confier votre sort aux mains bienveillantes de la clique de réacs qui dirige le journal Le Québécois, qui saura, elle, vous prescrire la médication appropriée, probablement sous la forme de pilules bleues, à hautes doses bien entendu, quoique, étant gravement aliéné moi-même, je ne puis prétendre être dans le secret à ce sujet.
En fait, à la lecture de l'article de M. Bourgeois, j'ai bien l'impression que, dans mon cas, le traitement devra être bien plus vigoureux, vu la profondeur abyssale de mon aliénation: camisole de force dans une chambre aux murs faits d'une belle mosaïque capitonnée de fleurs de lys et de portraits de Pierre Falardeau, le tout agrémenté d'un haut-parleur gueulant sans cesse et à tue-tête le slogan du FLQ: «NOUS VAINCRONS!!!»
Pour éviter l'accusation de citer «hors contexte», dont nos amis du journal Le Québécois sont friands, je vous réfère aux pages 92 à 95 du livre «Voler de ses propres ailes». Je vous présenterai donc aujourd'hui des citations plus élaborées que ce que je pouvais me permettre dans mon article de La Presse. Mais ceci dit, tout déséquilibré mental que je sois, je ferai l'effort de trouver l'équilibre requis entre des citations plus longues et la nécessité, pour les éditions du journal Le Québécois, de toucher des droits sur la vente de leur livre; donc, j'espère vous donner ainsi le goût de mettre la main sur ce livre, évitant ainsi les accusations d'appel à la censure.
Dans un article au titre évocateur, «Liberté made in Québec», M. Bourgeois nous offre une entrée en matière très édifiante, fondée sur la pensée du Dr. Camille Laurin, figure historique du mouvement indépendantiste québécois (c'est moi qui souligne):
«Afin de justifier son implication politique, le psychiatre (sic) Camille Laurin avançait dans les années 1960-70 l'idée selon laquelle les patients qu'il avait rencontrés au fil des ans souffraient, à quelque part (sic), d'un problème commun. Par-delà les détresses individuelles, le péquiste en devenir percevait les souffrances d'un peuple ne jouissant pas d'une autonomie suffisante pour s'épanouir. Ce n'était donc pas au niveau de l'individu qu'il fallait intervenir pour apporter une solution à ce mal, mais bel et bien au niveau collectif. (...) Le Dr. Laurin était en effet persuadé que le fait que le peuple québécois accède à la pleine et entière liberté politique ferait en sorte de décupler l'estime qu'éprouvent les Québécois pour eux-mêmes. Ce fait appliquerait un baume sur les plaies psychologiques affectant ceux-ci.»
Et le Dr. Bourgeois d'y aller de son savant et éclairant commentaire:
«Le diagnostic jadis posé par le Dr. Laurin selon lequel le peuple québécois souffrait d'une forme de schizophrénie politico-collectiviste est aujourd'hui (...) toujours perceptible. De colonisé qu'il était avant les années 1960, le Québécois est devenu au XXIe siècle un parfait menteur. Un menteur qui se ment à lui-même alors qu'il prétend être libre.»
Ainsi donc, ami lecteur, si vous n'êtes pas soumis à l'idéologie indépendantiste, vous n'avez nul droit de vous considérer libre, car ce serait ainsi vous mentir à vous-mêmes. Donc, oubliez votre libre-arbitre et toute prétention à penser par vous-mêmes; il n'y a pas d'autre alternative: soit vous êtes indépendantiste, ou soit vous êtes un aliéné mythomane atteint de cette maladie, grave et insidieuse, qu'est la «schizophénie politico-collectiviste», selon la belle expression mise de l'avant par le Dr. Bourgeois.
Et si vous êtes atteint d'un mal de l'âme quelconque, ou éprouvez quelque angoisse ou anxiété relevant de la dimension personnelle et privée de votre vie, enlevez-vous vite l'illusion que ce serait dû à des maux de votre enfance, à des traumatismes vécus à certaines étapes de votre vie, ou à d'autres maux psychologiques reliés à la sphère intime de votre existence. Illusions aliénatoires que tout cela !!!
Entrez plutôt dans la marche Sacrée de l'Indépendance, noyez votre identité personnelle et étouffez votre individualité dans le nationalisme identitaire et collectiviste le plus exarcerbé; ainsi, ami lecteur, toutes vos «plaies psychologiques» seront enfin guéries, comme l'assure le rédacteur du journal Le Québécois, qui éprouve une telle compassion pour le pauvre type que vous êtes, que toute sa vie est consacrée à concocter à votre intention rien de moins qu'un «baume» idéologico-politique, qui se révélera bien plus efficace que tous les traitements élaborés jusqu'ici par le développement des sciences psychologiques et psychiâtriques.
Concernant la liberté, le Dr. Bourgeois nous instruit en affirmant que si vous, ami lecteur, vous concevez comme un être libre là où vous êtes et tel que vous êtes, vous manifestez alors un autre symptôme de folie, car il ne peut s'agir que d'une liberté «totalement tournée vers l'individu», «considérablement égoïste».
Bien entendu, le fou furieux que je suis considère que la liberté s'incarne avant tout dans des individus totalement libres, autrement la liberté est une fiction. La liberté est totalement illusoire si elle n'est pas destinée aux individus. De plus, le collectivisme à outrance, tel qu'on l'a tellement vu dans l'histoire, s'est toujours révélé comme un fossoyeur impitoyable des libertés, sans parler des personnes humaines. Mais folies prétentieuses que tout cela, diagnostiqueront les gens du journal Le Québécois. Alors passons outre mes futiles considérations d'aliéné...
Selon le Dr. Bourgeois, le «schizoïdique québécois contemporain» se trouve partout autour de nous. Étant trop idiots pour nous en rendre compte, nous le côtoyons pourtant «de ci, de là, via les lieux publics», il est là, tout près, qui prétend «à qui veut l'entendre qu'il est le plus libre des hommes».
Cette folie de se prétendre libre, présente chez presque tout québécois qui, peut-être comme vous ami lecteur, a l'illusion de se croire toujours sain d'esprit, peut être heureusement jugulée, selon le Dr. Bourgeois, par nul autre que le «Visionnaire» (au risque de me faire passer pour un monomaniaque par le Dr. Bourgeois, je vous propose tout de même, ami lecteur, d'aller voir ce que Voltaire pensait des «Visionnaires»: dans son temps, il s'agissait surtout d'illuminés; j'ai parfois bien l'impression que cette définition a conservé quelque pertinence pour notre époque).
Le «Visionnaire» donc, est là, tout près de vous, disponible pour vous éclairer, car lui connaît votre esprit mieux que vous, qui êtes trop aliéné pour savoir où se situe votre propre intérêt. Et vous trouverez le «Visionnaire» parmi ceux qui fabriquent un journal, dont le titre est Le Québécois.
Le «Visionnaire» ne pourra toutefois vous guérir si vous refusez toujours d'admettre son diagnostic vous concernant, et si vous rejetez aussi le remède qu'il vous offre dans sa grande bonté, remède qui n'est nulle autre chose que de sacrifier votre liberté de conscience par une adhésion aveugle au dogme indépendantiste tel que défini par le journal Le Québécois.
Faute de quoi, le Dr. Bourgeois a tout de même la bonté de vous mettre en garde: vous serez éternellement pointé du doigt comme un vulgaire «soumis qui se ferme alors comme une huître».
Voilà donc le diagnostic final posé par le Dr. Bourgeois, la sentence est prononcée : vous n'êtes qu'une huître, ami lecteur, si vous refusez toujours de vous métamorphoser en un combattant enrégimenté dans les troupes de l'indépendance et du nationalisme identitaire, prônés si «férocement» et «durement» par le journal Le Québécois (selon les doux euphémismes que ces messieurs emploient dans leur réponse à mon article de La Presse).
De plus, vous avez intérêt à ne pas vous révéler comme un tiède dans ce Combat Sacré, autrement vous aurez droit vous aussi à toutes les injures falardiennes imaginables. Il faut haïr, sinon le combat ne peut être réel car ce serait sombrer dans l'«humanitarisme larmoyant», dixit Falardeau.
Le Dr. Bourgeois clôt son article fort instructif par un éloquent et définitif: «Tout est là. Tout est dit.» En effet, Dr. Bourgeois...
«Vous ne pensez pas comme moi, donc vous êtes fou». Si ce n'est pas là de l'intolérance, dites-moi donc ce que c'est...
On a bien sûr envie de se tordre de rire en lisant pour la première fois de telles élucubrations. Mais en relisant, on trouve ça de moins en moins drôle, car on se rend compte que ces gens-là se prennent au sérieux. Ils se croient, figurez-vous...
C'est pourquoi on devrait réellement s'inquiéter de la complaisance et de l'appui d'une large partie de l'intelligentsia et des leaders politiques indépendantistes à l'égard de ces gens-là.
En terminant, je vous pose la question: vous savez comment a toujours abouti ce genre de traitement psychiâtrique de la politique et de l'idéologie?
Regardez l'histoire du XXe siècle, et vous m'en donnerez des nouvelles... Un indice: cherchez du côté des camps de rééducation et des asiles psychiatriques pour dissidents politiques.