vendredi, octobre 14, 2005

Commentaire reçu sur la polémique avec le journal Le Québécois

J'ai reçu le commentaire suivant sur l'article que j'ai publié dans La Presse du 1er octobre et la réponse bien singulière du journal Le Québécois. Son auteur, un professeur d'université montréalais, m'autorise à vous le partager, mais j'ai choisi de ne pas livrer son nom de famille, pour lui éviter certains ennuis éventuels; je précise que je ne partage pas entièrement l'analyse présentée dans ce commentaire, mais celle-ci mérite tout de même réflexion:


«Cher Daniel,

J’ai enfin pu lire ton article sur Cyberpresse, ainsi que la réplique du journal visé. Cette réplique parle d’elle-même : les injures y pleuvent autant que les incohérences.

Ce qui m’inquiète le plus, personnellement, en tant que professeur de philosophie, c’est que personne ne semble admettre que, par essence et par définition, tout nationalisme est exclusion. Le nationalisme mène inéluctablement à l’exclusion de tout ce qui est étranger : les langues, les cultures, les personnes venues d’ailleurs. C’est un reliquat de l’esprit de clocher qui s’est développé au Moyen Âge en Europe autour du fief du seigneur, et avant cela, dans les tribus, dès la plus haute Antiquité. C’est le pain quotidien de ceux qui ont une peur paranoïaque de perdre ce qu’ils ont ou de voir se transformer ce qu’ils ont (insécurité).

C’est la même racine du mal, à savoir le manque d’empathie, qui fait qu’un père n’acceptera pas les choix de ses enfants, mais voudra leur imposer les siens (égoïsme, possessivité).

Le mal, c’est la volonté de détruire l’autre parce qu’il ne vous ressemble pas ; sa cause, c’est l’impossibilité de se « mettre à la place de l’autre » (donc l’empathie), ne serait-ce qu’un instant, pour l’écouter et se demander si, par hasard, il n’aurait pas raison, s’il ne nous apprendrait pas quelque chose que nous ignorions.

C’est ce même manque d’empathie qui est encore la cause des guerres saintes et de ce sentiment bizarre qu’est celui de se considérer comme un « peuple élu ».

C’est d’autant plus bizarre de voir se développer le nationalisme ici, chez les Québécois, qui n’a jamais été un peuple élu, contrairement aux Japonais, aux Allemands (dixit la boucle du ceinturon des soldats allemands : « Gott mit uns »), aux Anglais et aux Américains, aux Huns, pour ne nommer que ceux-là.

Je me rassure en me disant que les jeunes Québécois, parmi lesquels on trouve les plus fanatiques séparatistes, sont en fait victimes d’une confusion : ils confondent indépendance et agitation. Du moment que ça bouge et que ça change, c’est bon. Il faut seulement leur faire comprendre que le changement désiré les implique pour toute leur vie, et leurs enfants aussi. Alors, ils se calment. Le changement est normal, il est inéluctable et souhaitable, mais à une condition : c’est que nous en restions maîtres. Si le changement nous dépasse, alors nous tombons dans le chaos. Il faut que la raison (le cerveau) domine les sentiments (le cœur) ; or, le nationalisme est vécu ici comme un sentiment, non comme un raisonnement, car tout raisonnement pousse nécessairement l’homme actuel à reconnaître que l’internationalisme, la multiethnicité et le multiculturalisme sont en train de transformer le Québécois pure laine, depuis la révolution tranquille, en citoyen du monde.

L’indépendance, de toute façon, ne se fera jamais, et surtout pas avec le PQ. L’indépendance n’est qu’une carotte que l’on agite devant la face des jeunes Québécois pour les faire braire ou voter PQ. Une fois au pouvoir, le PQ s’arrange toujours pour perdre les référendums ou mettre l’idée d’indépendance de côté jusqu’aux prochaines élections, à l’occasion desquelles on sort de nouveau la carotte du réfrigérateur. Le PQ n’a jamais voulu l’indépendance ; il n’a voulu que le pouvoir, et tous les avantages qui viennent avec. Si le Québec devenait indépendant, le PQ n’aurait plus de carottes ni de programme, et ne pourrait presque plus se distinguer du PLQ. Ce qui donne sa couleur bleue au PQ, c’est cette idée d’indépendance ; c’est ce qui fait que le PLQ apparaît comme fade aux yeux des jeunes ; ôtez-lui cette idée, et il devient aussi fade que le PLQ. Ce qu’ignorent les jeunes, c’est que tout parti politique est fade, parce qu’il doit rallier toutes sortes d’individus sans nécessairement leur laver le cerveau avec une idéologie nationaliste. Un tel parti n’est pas dangereux. Ce qui est dangereux c’est le parti qui adopte une idéologie nationaliste. On a vu ce que cela donnait sous l’Allemagne nazie ou, aux États-Unis, sous des Républicains enragés. C’est cela qu’il faut combattre.

Il faut parfois laisser les chiens japper pour qu’ils se calment. Plutôt que de donner l’occasion inespérée d’une tribune à des crétins comme ceux que tu dénonces dans ton article, tu aurais dû consacrer toutes tes énergies à montrer les bienfaits du multiculturalisme. Ces gens-là ne peuvent parler que de ce qu’ils connaissent. Or, ils ne connaissent pas grand-chose, sinon ils n’écriraient pas d’injures ; l’injure et la violence restent les armes du faible et du pauvre. Rien ne sert de tenter de convaincre les gens de voter contre l’indépendance ; il faut plutôt les convaincre de voter pour le fédéralisme et même l’ouverture des frontières. En général, d’un point de vue de psychologie des masses, les gens aiment mieux suivre une idée dans laquelle ils se sentent bien, dans leur droit, et en accord avec la planète, que suivre une idée qui heurte tout le monde et exclut la terre entière ; ils aiment mieux suivre la raison que le cœur. Il faut leur montrer le chemin de la raison.

Ainsi, l’intolérance nationaliste fera place à la tolérance naturelle des Québécois, eux qui sont si conscients et si fiers du melting pot québécois actuel – un véritable modèle face à tous les peuples élus qui pratiquent l’exclusion.

N’oublie pas l’idée centrale du livre d’Yves Michaud, Violence et Politique (Gallimard, 1978, 231 p.) – pas le Michaud d’ici : celui-là enseigne la philosophie à l’Université de Montpellier III – « La violence engendre nécessairement la violence, jamais la paix. »

J’ai bien hâte de te voir jeudi prochain.

Fraternellement.
Jacques»