De l’intimidation
Par Daniel Laprès
Article paru dans LA PRESSE, Montréal, 1er octobre 2005, p. A21
Les leaders indépendantistes prétendent souvent qu’eux seuls, contrairement aux fédéralistes, sont de vrais démocrates. Mais on peut en douter, du moins à la lumière d’un livre récent, Voler de ses propres ailes, un recueil d’articles du journal Le Québécois, devenu célèbre cet été en tentant de déclencher contre Michaëlle Jean les fureurs des éléments xénophobes et réactionnaires du Canada anglais — les «purs et durs» dévoilant ainsi leurs alliés objectifs.
Voltaire poussa jadis l’exigence d’éthique démocratique jusqu’à affirmer: « Je suis contre votre opinion, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez l'exprimer ». Dans cet esprit, est réellement démocrate celui qui s’engage à défendre le droit de chacun à s’exprimer en toute liberté, dont le respect des personnes est une condition essentielle. Or, ce livre démontre que plusieurs parmi l’intelligentsia et les leaders indépendantistes, loin d’assumer cet esprit démocratique, font au contraire preuve d’une troublante complaisance pour une haine qui constitue une atteinte directe à la liberté d’expression, une tentative d’intimidation visant à réduire au silence le point de vue opposé, une peste qui tue l’esprit démocratique.
Qu’on ne se demande pas pourquoi plusieurs citoyens fédéralistes n’osent plus s’exprimer ouvertement au Québec. Pour comprendre, lisez ce livre, où le francophone fédéraliste est décrit comme un «traître», une «crapule» dédiée à l’«asservissement» du Québec, un «ennemi» que l’on se retient de ne pas «fesser à coups de deux par quatre» ou de «découper à la chain saw» (je n’invente rien : p. 106).
Mais en plus, si vous êtes souverainiste, mais plus modéré que les Gardes Bleus du journal Le Québécois, vous serez également conspué. Ainsi Françoise David — qui ne risque pourtant pas d’être vue drapée dans l’unifolié un 1er juillet, ayant commis le péché, Ô combien mortel, de questionner certains aspects du projet souverainiste, se voit elle aussi grossièrement dénigrée par un Pierre Falardeau. D’ailleurs, la direction du Québécois a pris soin de reproduire l’article, haineux à en glacer le sang, qu’a écrit Falardeau pour célébrer la mort de Claude Ryan, en le faisant suivre d’articles justifiant cette haine contre celui qui fut en 1982 l’homme du «Québec d’abord!» qui vota avec le gouvernement Lévesque contre le rapatriement de la Constitution.
On peut se demander ce que font dans ce bréviaire de l’intolérance haineuse des Gérald Larose, Monique Richard, Hélène Pelletier-Baillargeon, Hélène Pedneault, Jean-Marc Léger et bien d’autres. Mais au fond, c’est leur affaire et ils n’ont qu’à vivre avec, n’ayant jamais aspiré à diriger les destinées du Québec. Mais par contre, que des personnalités politiques comme Gilles Duceppe, Jacques Parizeau et Bernard Landry (qui a signé la postface en évoquant Falardeau en exemple) y soient associés, voilà qui pose problème. On aura beau proférer toutes les horreurs imaginables contre le reste du Canada, je doute de voir un jour deux de ses anciens premiers ministres s’associer à une œuvre haineuse qui célèbre notamment la mort d’un être humain.
Bernard Landry avait pris l’habitude d’invoquer «le Grand René Lévesque»; outre que, de son vivant, M. Lévesque n’appréciait guère être accablé d’hyperboles du genre, ce qui faisait la «Grandeur» de René Lévesque, c’était qu’il était un démocrate qui savait respecter l’être humain dans ses adversaires, qui avait l’intolérance et le fanatisme en horreur et qui, dégoûté par l’ovation faite à l’un des assassins de Pierre Laporte au congrès du PQ en 1982, secouait sa tête en la tenant à deux mains. Jamais René Lévesque n’aurait signé la postface d’un tel livre.
Dans un message qu’on trouve sur le site internet de l’ineffable journal, Jacques Parizeau assure que ce dernier «reflète de mieux en mieux la mouvance souverainiste au Québec». En parcourant ce livre, dont le titre aurait bien pu être Intolérance et fanatisme pour les nuls, on constate que ce propos de l’ex-premier ministre n’a rien pour rassurer ceux qui veulent que la démocratie règne dans le Québec d’aujourd’hui et de demain.
Tandis que la campagne à la direction du PQ bat son plein, il serait peut-être utile de demander aux candidats à la succession de M. Landry si, au chapitre de l’éthique démocratique, ils auront la décence de se démarquer radicalement de certains des chefs récents de leur parti, pour plutôt adopter l’attitude d’un René Lévesque.