samedi, octobre 29, 2005

Réponse de M. Jean-Marc Chevalier

M. Jean-Marc Chevalier a fait paraître ce matin sur le site Cyberpresse.ca cette réponse à mon article de la rubrique Québec Grand Angle, et à laquelle je réagis plus bas:

Votre démarche ne peut qu'être positive pour tout le monde au bout du compte; il faut qu'une vision de l'avenir donne la priorité au bien commun, mais je crois qu'il faut d'abord rendre justice à tous les intervenants.

Vous sous-entendez que les souverainistes ont le monopole de l'intimidation et de la diffamation, mais il me semble que, en tant que souverainiste, moi aussi j'ai gagné le droit de me sentir intimidé avec les accusations de racisme et d'ethocentrisme qui furent lancées très facilement contre le mouvement souverainiste pendant des années; accusations qui semblent heureusement s'êtrent essouflées avec le temps.

Vous affirmez ensuite que les politiciens fédéralistes ont laissé le monopole de la défense de la culture francophone aux souverainistes, mais pour ma part, je ne vois pas quelles actions possibles, pour la défense du fait français au Canada, ont été négligées par les fédéralistes francophones; ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour convaincre le reste du pays de se rendre bilingue.

Si je vous interprète correctement, vous demandez aux fédéralistes de défendre une vision de progrès social auprès des québécois. Le hic, c'est que le débat actuel tend fortement à placer dans le même camp les souverainistes avec les militants plus socialistes et dans le camp adverse, les fédéralistes avec l'élite économique et les néo-libéraux.Si les fédéralistes évoluent vers un discours social plus fort, je ne pourrais qu'applaudir; cela donnerait des chances à un avenir plus positif pour tout le monde, avec ou sans la souveraineté. Malheureusement, le reste du Canada ne semble pas s'orienter sur cette voie et le Québec n'a peut-être pas le poid pour y changer quelque chose.

Cher Monsieur Chevalier,

D'abord, j'apprécie hautement le ton, ouvert et constructif, de votre commentaire. Avec des gens comme vous, on peut débattre dans un climat démocratique, dont le respect mutuel est une condition essentielle. Votre attitude vous fait honneur, ainsi qu'à votre option politique.

J'espère de tout coeur me faire bien comprendre: je ne prétends absolument pas que les souverainistes ont le monopole de l'intimidation et de la diffamation. Bien au contraire, il y a parmi eux une majorité très nette de gens sincères, ouverts et respectueux de la démocratie. Je le dis d'ailleurs avec vigueur dans mes autres articles sur ce blogue. Ce que je dénonce toutefois, c'est la complaisance de l'intelligentsia et de plusieurs leaders indépendantistes à l'égard des tenants de la haine, du fanatisme et de l'intolérance, incarnées par des Pierre Falardeau et ses émules extrémistes, que l'on retrouve notamment dans des cercles comme ceux du journal Le Québécois, qui est financé en large partie à même les fonds publics via les budgets de publicité des parlementaires bloquistes et péquistes. Là-dessus, j'entends rester d'une fermeté implacable, car il faut être intolérant contre l'intolérance. Il est tragique que le mouvement souverainiste ne semble pas capable de se dissocier de ces gens-là (contrairement à l'attitude d'un René Lévesque), qui minent l'esprit de l'ouverture et de la démocratie québécoises, et dont les souverainistes eux-mêmes devraient s'inquiéter de l'influence, car elle entache sérieusement leur option. On ne peut prétendre construire un pays inclusif et ouvert à la diversité si on tolère dans nos camps respectifs la promotion de la haine de quiconque ne pense pas comme soi.

Ceci dit, vous avez raison quant à ceux qui accuseraient l'option souverainiste d'être raciste ou ethnocentrique. Bien que fédéraliste convaincu, je crois qu'il s'agirait là d'une réelle diffamation, qui nuirait à la qualité démocratique du débat sur l'enjeu national. Je crois toutefois que nous devrions ouvrir un débat élargi sur le nationalisme en tant qu'idéologie, et aussi sur le fait que le nationalisme est devenu quasi obligatoire au Québec, tellement son hégémonie est dominante. Car de mon côté, je suis loin d'être convaincu qu'il faille absolument embrasser une idéologie exclusive comme le nationalisme pour assumer pleinement sa langue, sa culture et son identité. Il y a sûrement d'autres approches que le nationalisme qui peuvent permettre de rester ce qu'on est, et même de l'être encore plus, culturellement et socialement, tout en s'affirmant, individuellement et collectivement. Il serait peut-être utile que les souverainistes et les fédéralistes débattent sereinement de cette question, et recherchent d'autres manières d'aborder le débat sur l'avenir de notre société, tout en privilégiant le bien commun auquel vous et moi sommes attachés.

Je vous sais gré de reconnaître les efforts des fédéralistes pour rendre le pays bilingue, ce qui est une manière de promouvoir le fait français au pays. Mais à mon avis, cette réalisation est bien loin d'être suffisante. Il y a toute la place des francophones dans le Canada, en termes de poids et d'influence politique, qui devrait être davantage explorée. Aussi, nous fédéralistes n'avons pas dit grand chose jusqu'ici sur les manières dont nous-mêmes voulons assumer notre langue et notre culture francophones, ce qui va bien au-delà du bilinguisme. Par exemple, où sont les efforts pour renforcer la solidarité et la coopération entre francophones hors-Québec et francophones québécois? Le fédéral devrait pourtant encourager et soutenir les efforts dans cette direction, mais il n'y fait strictement rien. Aussi, il y a toute l'action des citoyens francophones du Canada au sein de la Francophonie internationale, qui devrait elle aussi être encouragée, par le biais de la société civile, et qui permetttrait à la francophonie canadienne, dans toute sa diversité, d'influencer l'évolution de notre monde via les institutions multilatérales et la société civile mondiale. En tout cas, il y a là, il me semble, tout un chantier qui n'a guère été exploré. Mais ne pourrait-on pas au moins en dresser les plans?

Ayant été conseiller des ministres des Affaires étrangères Lloyd Axworthy et Bill Graham, je peux toutefois affirmer que ces deux ministres issus du Canada dit «anglais» avaient appuyé de tout leur poids des projets que j'avais initiés en ce sens, car ils croyaient en l'importance du rôle des francophones dans l'influence canadienne dans le monde, et je me souviens que Bill Graham avait même affirmé publiquement que les Québécois étaient en large partie responsables de ce que l'identité canadienne dans le monde porte de meilleur. Mais, paradoxalement, tous ces efforts ont été platement abandonnés par leur successeur, le ministre Pierre Pettigrew, un Québécois francophone; d'où en bonne partie mes critiques assez virulentes contre la médiocrité qui règne actuellement chez la plupart des ministres fédéraux du Québec, critiques qui ne me valent pas beaucoup d'amis dans ces cercles-là. Mais je me dis que si on n'est pas capable d'être à nous-mêmes les juges les plus impitoyables de notre propre camp, on ne pourra progresser, ni contribuer à l'amélioration de notre société et des conditions de ceux qui y vivent, ce qui devrait être la principale raison d'être de l'engagement politique, qui doit primer sur nos idéologies respectives. De plus, la langue de bois, toujours stérile, n'apporte rien à la crédibilité de toute option politique, et encore moins les slogans insipides fabriqués par ceux que j'ai toujours appelé les «charlatans de la communication».

Sur le plan des valeurs sociales, je ne crois pas que les souverainistes en ont le monopole, et encore moins que le reste du Canada ait le monopole du néolibéralisme, même s'il est vrai que les partis qui défendent le fédéralisme au Québec sont plutôt insensibles à ces questions pourtant cruciales pour le bien-être de tous nos concitoyens. Souvenons-nous que le néolibéralisme a l'idéologie libre-échangiste comme catalyseur. Or, au Québec, on doit se souvenir que c'est Jacques Parizeau et Bernard Landry qui, dès le début des années 80 (voir le dernier tome de la biographie de René Lévesque par Pierre Godin) se sont fait les premiers champions du libre-échange tout azimut, alors que l'élite intellectuelle et culturelle du Canada dit «anglais» était farouchement contre.

C'est pourquoi je vois une certaine duplicité dans le fait que M. Parizeau et plusieurs souverainistes s'agitent partout contre le rouleau compresseur de la mondialisation économique. Souvenons-nous aussi que M. Parizeau avait même accepté un contrat du gouvernement conservateur de Mulroney pour procéder à des études qui justifiaient le libre-échange, et il a même par la suite déclaré publiquement que le libre-échange allait affaiblir le Canada et c'est pourquoi il l'appuyait. Aujourd'hui, il prétend que le Québec doit se séparer car son identité est menacée par la mondialisation des marchés. Donc, le pyromane se fait pompier; je regrette d'avoir à le dire durement, mais il est rare de trouver plus hypocrite que ça. Il y a là une tentative assez grossière de récupération politique du mouvement altermondialiste, qui est assez influent au Québec, en jouant sur les peurs des gens de perdre leur identité culturelle. Personnellement, je crois que nous pouvons avoir assez confiance en nous-mêmes pour prendre toute notre place au sein du Canada et même y jouer un rôle de leader, et aussi pour faire face, en solidarité avec nos compatriotes des autres provinces, au défi de la mondialisation, l'union me paraissant plus forte que le repli sur soi. Ceci dit, je ne prétends pas avoir raison, mais au moins on devrait pouvoir en débattre.

Enfin, il y a des progressistes partout au Canada, notamment chez ces francophones hors-Québec qui ont les mêmes racines que les nôtres mais que nous avons tout simplement éjectés de notre équation de l'enjeu national, en semblant nous foutre du fait que si nous nous séparons, 1 million de francophones risquent de disparaître de la carte dans un avenir prévisible, ce qui est une façon douteuse de promouvoir le fait français en Amérique. Souverainistes et fédéralistes devraient être tous concernés par cette dimension-là, et ne pas se contenter de vagues solidarités de façade, purement verbales et qui ne se traduisent pas en des actes concrets. Que fédéralistes et indépendantistes se regardent dans le miroir, en toute honnêteté, et se demandent ce qu'ils ont fait de concret pour établir de vraies solidarités avec nos compatriotes francophones des autres provinces. Là aussi, on devrait dresser des plans: collaborations institutionnelles, échanges culturels approfondis et mutuels, stratégies politiques communes, etc. ce ne sont pas les éléments concrets qui manquent; il ne s'agit que de s'y mettre vraiment.

Je vis cette dimension de manière quotidienne. Mon colocataire est un étudiant Franco-Manitobain, en maîtrise en science politique à l'UQAM. Eh bien, à chaque semaine, il m'arrive avec des histoires choquantes d'étudiants qui lui disent qu'il est un «Anglais» (même si son accent n'est pas anglais du tout!), ou qu'il est un «Canadian». Pareil mépris est révoltant, et trop fréquent pour ne pas être souligné. En tant que Québécois, cela me fait honte de voir quelqu'un ayant la même culture, la même langue, et les mêmes ancêtres que les nôtres, être carrément mis de côté comme un étranger, ou encore subir la condescendance de Québécois qui osent se dire meilleurs «patriotes» que les «traîtres» fédéralistes. Et imaginez-vous que nous parlons ici de gens étant rendus à des études universitaires avancées...

Les Québécois devraient donc reconnaître qu'ils ont des alliés au Canada dit «anglais» (y compris le million de francophones qui y vivent), et ils devraient au moins dialoguer avec eux, en se départissant de cette attitude assez chauvine du «Nous on est plus progressistes et plus solidaires qu'eux», ce qui est faux et il suffit de voyager dans tout le Canada pour s'en rendre compte. Pas besoin de se prétendre meilleur que les autres pour être conscients de notre identité et de notre spécificité. Ceci dit, même si je ne sens pas cette attitude dans votre propos, Monsieur Chevalier, elle n'en fait pas moins partie du discours trop souvent tenu par les leaders souverainistes et leurs acolytes bien-pensants des milieux culturels et académiques.

En tout cas, je vous remercie, Monsieur Chevalier, de votre contribution constructive au débat, car l'ouverture d'esprit et le respect qui vous animent pouvaient se répandre davantage dans l'espace public québécois, je sens qu'on aurait enfin des chances de contribuer au mieux-être de notre société, et ce peu importe de quel côté nous sommes.