La Terreur à L'Occidentale

Je veux vous parler aujourd'hui d'un ouvrage en deux tomes, «La terreur à l'occidentale», publié cette année aux éditions Triptyque, et dont l'auteur est Jean Forest, professeur de langue et littératures françaises à l'Université de Sherbrooke (info: www.triptyque.qc.ca) . Je veux vous en parler, parce que cet ouvrage est l'un des meilleurs antidotes contre les fanatismes et intolérances de toutes sortes, politique, religieux, etc., à avoir été publiés chez nous, ou même ailleurs.

On peut même trouver un motif de réconfort dans le fait que cet ouvrage a été produit par un auteur québécois, ce qui prouve qu'on a encore des libre-penseurs chez nous, même s'il faut bien admettre que ce ne sont pas eux qui sont médiatisés: par exemple, Jean Forest, ça vous dit quelque chose? L'avez-vous vu à «Tout le monde en parle», ou a-t-on lu sur lui ou ses oeuvres dans nos journaux?

(Au fait, si ce n'avait été du magazine gratuit «Le Libraire», qui fait non seulement la promotion de la qualité de nos librairies indépendantes québécoises, mais qui répand aussi une vraie connaissance de notre littérature et de ses auteurs, je n'aurais jamais entendu parler de ce livre. Voilà qui fait réfléchir sur nos habitudes d'engraisser ces Wal-Mart du livre que sont par exemple les Renaud-Bray, qui se sont d'ailleurs donnés récemment pour mission de détruire les dernières librairies indépendantes en région, qui sont pourtant celles où on trouve une âme et le goût de lire, sans parler de la réelle compétence des libraires qui nous y servent. Pardonnez-moi ce détour, mais j'y reviendrai... )

D'abord, je souligne le style de l'auteur, dont l'écriture saisit le lecteur au point qu'on ne veut plus quitter le livre dès qu'on en entreprend la lecture. Il a réussi le tour de force de parler de réalités et d'enjeux historiques, culturels et spirituels, d'une manière percutante qui nous captive et nous bouleverse à la fois, car Forest ne fait pas que dénoncer les horreurs du fanatisme et de l'intolérance: son livre nous questionne dans nos propres croyances, dans nos propres tendances à absolutiser nos convictions, si justes pouvons-nous croire qu'elles soient.

On ne sort donc pas indemne de cette lecture-là, car, il nous faut l'admettre, nous sommes tous porteurs de préjugés, et il est plus aisé de se laisser gagner par eux que de s'en méfier, la remise en question de nos conceptions religieuses et politiques n'ayant jamais été guère à la mode. On préfère les prêt-à-penser, puisqu'il est plus simple d'en appeler à des «leaders» ou à des «guides», «grandes gueules» ou autres gourous du genre, que de penser par soi-même.

Le premier tome est surtout consacré à la religion, la chrétienne en particulier. Le terrorisme islamiste fait beaucoup parler de lui de nos jours; s'il n'y a pas lieu de le banaliser, il faut tout de même regarder en pleine face la terreur qui a émergé du christianisme, des débuts de son imposition à notre civilisation occidentale, jusqu'à nos jours, où elle se perpétue sous divers aspects.

Que l'on pense à George W. Bush, qui est persuadé d'avoir été guidé par Jésus-Christ en personne dans sa guerre en Irak, ainsi qu'à la montée inquiétante du fondamentalisme chrétien aux USA, et on pourra constater que la déraison fait toujours ses ravages en Occident. Ou encore, si cela ne suffit pas, on peut songer à l'interdiction du préservatif imposée par l'Église catholique dans les pays en développement où elle a encore une influence certaine sur les esprits et les moeurs, et à l'hécatombe qui en résulte et qui dure toujours. Pendant ce temps-là, des foules immenses continuent d'acclamer aveuglément les Papes partout sur leur passage, en Occident ou ailleurs, le tout amplifié par les médias médusés, dont la complaisance est révoltante. Souvenez-nous de la mort de Jean-Paul II, ce supporteur de Pinochet, ce promoteur zélé d'organisations catholiques d'extrême-droite comme l'Opus Dei, ce pourfendeur éhonté des femmes, des homosexuels et des progressistes, ce persécuteur de la pensée libre dans sa propre Église. Il y en avait assez pour donner la nausée avec tout ce fatras médiatique.

Jean Forest nous fait donc revisiter l'histoire du christianisme, de ses débuts à nos jours, en nous éclairant sur les réalités, souvent sanglantes, qui l'ont distinguée. Il ne prétend certes pas que tous les chrétiens étaient des barbares, mais il faut tout de même admettre que dès que le christianisme s'est mis à marier religion avec pouvoir, des conséquences démesurément funestes s'en sont ensuivies.

En fait, on comprend alors que dès que la diabolisation de l'autre, de celui qui partage une autre foi ou d'autres convictions, entre en oeuvre, la haine montre son visage et aboutit à la destruction, morale ou physique, de cet autre. Cette diabolisation haineuse, comme M. Forest nous le démontre, est nécessaire à quiconque veut dominer la société et les esprits, que les motifs soient religieux, idéologiques ou politiques.

En effet, l'auteur nous fait passer par un parcours historique allant de la genèse de ce phénomène de diabolisation de l'autre à partir de la religion, jusqu'au culte des idéologies, dont celui de la Nation n'a pas été le moindre à exercer ses ravages. Introduit dès le premier tome, ce thème est développé tout au long du deuxième.

M. Forest nous fait pénétrer ces réalités à travers un angle original, qui choque tout en nous invitant à plus de lucidité quant à cette tendance à croire spontanément que l'horreur, c'est toujours les autres. Par exemple, on se félicite encore en Occident des procès de Nuremberg contre les leaders Nazis, coupables d'atrocités réelles et innommables. Mais pourquoi sommes-nous gênés d'aborder ces autres atrocités, innommables elles aussi, perpétrées par les pseudo-défenseurs de la civlisation démocratique? Les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité se poursuivent à chaque jour. Mais pas de Nuremberg pour ceux qui les commettent. Parce que ce sont les nôtres.

En somme, je recommande vivement cette lecture, réellement dérangeante, car elle nous contraint à réfléchir sur nos propres préjugés par rapport à l'histoire de cette civilisation dont nous profitons tous, qu'on le veuille ou non. En lisant ces deux tomes, on comprend que la haine de celui qui ne pense pas comme soi est toujours déshumanisante, toujours destructrice de la dignité humaine, toujours à la source de la violence. Et elle entache toutes nos causes.

Il ne s'agit certes pas d'être sans convictions; en fait, il en faut beaucoup pour se tenir debout devant l'intolérance et le fanatisme, quels qu'ils soient, dussent-ils provenir de notre propre camp. Mais il nous faut, en tout temps, nous efforcer de rester conscients des dérives déshumanisantes que nos convictions peuvent entraîner si on se laisse fanatiser par elles. Et aussi, il nous faut porter une attention vigilante lorsque religion et idéologie sont trop associés à la quête du pouvoir, car ceux qui s'en servent alors ont une tendance très nette à vouloir contrôler les esprits.